[COOKIE TIME] : #7. Unsane : A-t-on vu le même film ?
C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !
Attention, cet article contient des spoilers !
Ce n'était pas prévu mais me voici
prête à écrire un article sur le nouveau film de Steven
Soderbergh, Paranoïa (de son petit nom anglais Unsane,
que je vais employer maintenant car je le préfère) sorti sur nos
écrans le 11 juillet. Je n'ai jamais raté un film de ce réalisateur
depuis petite, avec Ocean's Eleven,
en 2001. C'est donc les yeux fermés que j'y suis allée, car
Soderbergh arrive toujours à me divertir. Je ne m'attendais pas à
en ressortir aussi bouleversée. Pourtant je connaissais le thème du
film, le harcèlement mais au vu de la bande annonce et comment le
film était vendu, je pensais qu'il serait juste un prétexte. Je
pensais voir un film presque d'horreur et une descente aux enfers
avec une femme atteinte de paranoïa. Il n'en est strictement rien.
Le film parle avec une justesse incroyable de harcèlement, de la
peur constante des femmes et de la difficulté d'en parler à cause
d'un système détraqué. Vu que j'adore lire les critiques et
analyses après avoir vu un film, j'ai donc fait comme à mon
habitude. Mais au lieu de me mettre de bonne humeur, cette pratique
m'a frustrée. Pourquoi ? Parce que j'ai eu la désagréable
impression de ne pas avoir vu le même film que les autres. Pas que
les critiques étaient mauvaises ou inintéressantes. Mais aucune ne
parlait de ce qui est pour moi le sujet principal du film.
Voici donc
mon point de vue sur un film pertinent et plus important qu'il n'y
paraît.
Intéressons nous
déjà à l'histoire. Nous suivons donc Sawyer, une trentenaire
célibataire qui est arrivée récemment dans une nouvelle ville,
dans un nouveau boulot, à sept cent kilomètres de sa famille. Alors
qu'elle affirme à sa mère que tout va bien et qu'elle s'intègre
parfaitement, nous en tant spectateur, nous voyons bien qu'il n'en
est rien. Ses collègues ont l'air de la détester, elle ne mange
rien et passe ses soirées à avoir des aventures sans lendemain avec
des hommes rencontrés sur une application. Mais elle excelle dans
son boulot. La raison de son déménagement ? Sawyer a été
harcelée pendant deux ans par un homme rencontré au hasard pendant
son bénévolat dans un hôpital. C'est pour cette raison qu'elle
décide de voir une psychiatre. Sauf que cette consultation tourne au
cauchemar car en signant un malencontreux papier, elle se retrouve
enfermée contre son grès pendant sept jours. Sa situation empire
quand son harceleur se trouve dans l'équipe des soignants. Elle ne
peut donc pas s'échapper. Alors que la bande annonce et le synopsis
officiel laissait présager que le doute pourrait planer dans le film
si David le harceleur de Sawyer était vraiment à l'hospice ou si
c'était du à sa paranoïa. Mais pourtant le film ne laisse guère
le temps au spectateur de douter, car on sait très vite que tout est
vrai et qu'elle n'imagine rien. Ce qui rend le tout anxiogène et
très réaliste.
Comme
on le sait tous, Unsane
a été tourné à l'Iphone. Bien évidemment, ce choix de caméra
pour cette histoire est tout sauf une coïncidence. Alors oui, le
téléphone est un élément important dans le film : elle parle
avec sa mère au téléphone le plus souvent, on lui prend son
portable en entrant dans l'hospice, elle ne peut plus téléphoner
suite à son appel désespéré au 911 (le numéro d'urgence aux
États-Unis). Mais pourquoi choisir de tourner avec un téléphone
pour une histoire de harcèlement ?Le choix est intéressant car
de nos jours c'est par le téléphone que passe la plupart des
harcèlements que subissent les femmes. Par sms, par les réseaux
sociaux, les femmes ne sont à l'abri nul part avec l'arrivée
d'internet. Car tout est tellement plus facile grâce à l'anonymat.
C'est une porte ouverte à tout type de comportement systématique :
des messages d'inconnu via Messenger ou twitter, des milliers de
commentaires invitant au viol pour un simple post sur Facebook ou un
tweet. Nous sommes dans un climat dangereux pour les femmes. C'est
pourquoi le choix de tourner à l'Iphone 7 l'histoire de Sawyer et
David est plus que judicieux. David tombe « amoureux » de
Sawyer et trouve que le parfait moyen de prouver cet « amour »
est de lui envoyer des milliers de messages, de l'attendre à son
boulot, de s'introduire chez elle, etc... La particularité des
Iphone est cette énorme profondeur de champs et un effet
d'altération des perspectives. Cela donne l'impression d'être des
voyeurs en tant que spectateur. Un sentiment de malaise monte petit à
petit grâce cette mise en scène. Peu de gros plans, le personnage
est souvent seul avec des plans très larges. Le peu de profondeur de
champs rend impossible les flous et donne un effet de proximité
désagréable.
Toute
l'histoire autour de l'institution psychiatrique et l'arnaque à
l'assurance n'est pas le vrai propos du film mais il est un parfait
prétexte pour enfermer son héroïne dans sa solitude. Car le film
ne propose aucune réelle analyse sur la condition des hospices. Par
contre, il nous propose une analyse pertinente sur la peur constante
des femmes et comment cette peur est perçue de l'extérieur. Le fait
d'être harcelé peut provoquer un état d'isolement chez les
victimes. Beaucoup n'osent ni en parler, ni lancent de poursuite.
Celles qui trouvent le courage se sentent incomprises. Tout ceci se
retrouve avec les scènes de flash back, où Matt Damon (ici en
conseiller sur la sécurité) lui propose des solutions. Elle doit
changer d'habitude, renoncer à sa vie sociale, se terrer chez elle.
C'est ce qui donne cette solitude vu en début de film. Le fait
d'être enfermé l'amplifie. Elle n'est pas écoutée par les
soignants, ni par la police. Quand ils interviennent, ils ne
demandent pas à la voir et lisent son dossier en diagonal. Il se
passe la même chose quand sa mère vient. Personne ne lui donne de
solution. La société ne fait rien pour les victimes. Un lourd et
déprimant constat se fait sentir: c'est aux victimes elles-mêmes de
trouver une solution. Dans la réalité, cela passe par le fait de
fermer tout réseaux sociaux, de changer de numéro, etc... Dans le
film, Sawyer étant en contact direct avec son harceleur et de plus
dans une position de faiblesse (il fait parti du personnel, elle fait
partie des malades), il lui faudra trouver des solutions plus
radicales. Il est d'ailleurs intéressant de parler des autres
personnages du film: les alliés de Sawyer (sa maman et Nate le
journaliste). La mère de Sawyer est une femme, qui se confronte en
vain à la justice. Nate est un homme et le seul qui croit Sawyer. On
constate qu'il fait lui aussi parti d'une minorité car il est noir.
Les personnes racisées sont aussi sujet au harcèlement. Il est en
plus journaliste, donc en recherche de vérité. Mais il est égalment
enfermé. Il arrive cependant à se fondre dans la masse pour un
temps pour mieux la dénoncer. David, lui par contre se fait passer
pour un gars gentil. Tout le monde l'apprécie. Le genre de personne
dont les proches pourraient dire "mais il était pourtant si
gentil, je ne le crois pas coupable". Encore une fois, un
personnage qui résonne bien dans notre réalité. J'aime d'ailleurs
me dire que le Unsane du titre fait référence à lui (on
peut traduire ce mot par psychopathe). C'est pourquoi je n'aime pas
du tout le tire français. Paranoïa ne me plaît pas car il
renvoie à cette phrase trop souvent prononcer "mais tu es
parano" quand une femme témoigne. Le film ne se finit pas par
un happy end: Sawyer voit encore son agresseur partout et elle est
atteinte de stress post traumatique à cause de ce qu'il s'est passé
dans la forêt.
En plus d'être important, c'est
aussi enrichissant d'avoir un point de vue différent.
Laura Enjolvy