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[COOKIE TIME] : #1. La face cachée de The Shape of Water


C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !




Je n'avais pas prévu d'écrire quelque chose sur The Shape of Water. J'avais été plus que bouleversée par le film, incapable d'en parler, même pour former une simple phrase. C'est d'ailleurs une simple phrase qui m'a décidé, lue et relue un peu partout. Après avoir visionner un film, j'aime beaucoup lire des critiques, de magazines mais surtout de blogueurs cinéma. Que l'auteur.e soit d'accord avec mon avis m'importe peu, je trouve juste intéressant d'avoir des avis d'autres cinéphiles. Et parfois, je découvre une part du film que je n'avais pas réalisé ou un argumentaire assez dense et bien construit. Cela fait partie d'un de mes petits plaisirs du matin pendant mes jours de repos. En lisant des critiques de The Shape of Water, une phrase revient assez souvent « le scénario est assez simple ». Parfois « le scénario » est remplacé par « l'histoire » ou « le film ». J'étais assez surprise, ce n'est pas le premier adjectif qui me vient à l'esprit quand je pense au film de Guillermo del Toro. Mais j'ai remarqué que cela revenait assez souvent, de personnes différentes, qu'ils ou elles aiment le film ou non. J'ai du coup remarqué que la plupart se consacraient sur l'histoire d'amour du film. Evidemment, c'est la partie la plus visible, la première couche de vernis. Mais se consacrer uniquement sur cet aspect est une monumentale erreur comme dirait notre ami Schwarzy dans Last Action Hero. Donc parlons de la face cachée de The Shape of Water.

Revenons tout d'abord sur la phrase coupable de cet article. Ce n'est que mon avis mais un scénario n'est jamais « simple ». C'est tout d'abord un long travail, d'une ou de plusieurs personnes. Écrire n'est jamais facile, surtout quand il est question de créer. Même les films les plus ratés ont un but, définit par le scénario. Une histoire n'est pas juste une simple histoire, la ou les personnes veulent véhiculer quelque chose au travers, qu'on soit d'accord avec ce qui est proposé ou non. Rabaisser un scénario à cet adjectif est pour moi offensant pour l'équipe à l'écriture.


Ceci étant dit, revenons à notre choucroute.



En plus de parler d'amour, Guillermo del Toro nous démontre la sainte masculinité et ses déviances, surtout ses déviances. Le choix de l'époque n'est pas un hasard, les années soixante étant assez fermées d'esprit sur les femmes, le racisme et l'homophobie.
Le personnage principal et ceux qui lui sont proches font partie de minorité et évidemment ce choix non plus n'est pas anodin. Elisa est une femme orpheline, ayant un handicap : elle est muette. Giles, son ami et voisin est un ancien alcoolique et il est homosexuel. Son amie et collègue Zelda est une femme noire. Ils sont tous les trois dans la précarité : Elisa et Zelda travaillant en tant que femme de ménage et Giles qui essaye désespérément récupérer son ancien boulot perdu à cause de son addiction.

À l'inverse, ceux qui ont le pouvoir et qui veulent s'en prendre à « l'asset » comme ils appellent l'homme amphibien en anglais, sont tous des hommes blancs. Nous avons Strickland qui incarne l'homme idéal des années 60 : marié, deux enfants, peut se permettre de s'offrir une cadillac. Le personnage aurait sa place dans la série Mad Men. Nous avons aussi le Général Hoyt, qui incarne l'autorité suprême, qui n'accepte pas l'échec, avec un discours très stéréotypé : si un homme échoue, ce n'est pas un véritable homme.

Nous avons donc les hommes qui détiennent le pouvoir et s'en servent pour faire le mal contre les minorités qui se battent avec leur propres armes contre eux. C'est pourquoi une de mes scènes préférées est le fameux « fuck you » qu'envoie Elisa à Strickland après avoir réussi le sauvetage de l'homme amphibien. Cette scène est assez emblématique car Strickland incarne la virilité, l'homme qui a réussi, qui a les pleins pouvoirs. Il le dit lui-même, questionner Elisa et Zelda ne sert à rien car ce sont de simples femmes de ménage. Le fait est que ce sont les mêmes personnes qu'il prend de haut qui ont fait le coup. Quand Elisa lui dit d'aller se faire foutre en langue des signes, c'est une femme qui prend le pouvoir à sa façon.
En parlant d'ailleurs de l'homme amphibien, il est présenté tout d'abord comme un monstre par les personnes travaillant au laboratoire (surtout par Strickland évidemment), il le mutile, le tailladant de deux doigts. Mais le spectateur s'aperçoit plus tard que la créature est maltraitée et que l'attaque contre Strickland était donc de la légitime défense. Le monstre, ce n'est pas la créature aquatique, mais bien l'homme, bien pensant, sûr de sa supériorité.



The Shape of Water évoque également la solitude. Les personnages, de part leur différence sont rejetés de la société. Giles, à cause de sa sexualité est rejeté d'un café. Dans ce même café, un couple d'afro-américain sont rejetés et invités à aller dans un endroit pour leur semblable, on peut donc imaginer le racisme que se prend le personnage de Zelda. Et Elisa est orpheline et en plus est muette. La mise en scène, avec ses plans en courte focale le démontre bien. Guillermo montre souvent au début Elisa dans un plan large dans son appartement, entouré de beaucoup d'objets (petit aparté mais le travail sur la décoration de ce film est dingue) mais totalement seule. Et pourtant, ce sont tous les trois des personnages assez positifs. Elisa a ses petites manies, ses petits plaisirs (la baignoire) et s'en contente. Les traits d'humour du film vient de Zelda et de ses punchlines. Elle se plaint beaucoup mais ne se morfond jamais. Seul Giles est mitigé, mais garde le moral grâce à sa voisine et amie qui prend soin de lui.

Le film de Guillermo del Toro n'est pas si manichéen. Le personnage du Dr Hoffstetler le représente bien. Il fait partie du laboratoire et étudie la créature. Mais il s'oppose à la violence et à sa destruction. Quitte à désobéir aux ordres de Strickland et du général mais aussi de son propre pays.

Comme dit un peu plus haut, le choix des années 60 n'est vraiment pas anodin. Les États-Unis étant en pleine guerre froide, en pleine ségrégation. Tout ce qui ne faisait pas partie du “rêve américain” était rejeté. Il régnait une peur de l'autre, une peur de la différence. Sujet très présent dans le cinéma de Del Toro. La place de la femme dans la société était encore sujet à débat. La révolution sexuelle et les manifestations pour la contraception des femmes et l'IVG n'étaient pas encore d'actualité.



Dans un podcast de No ciné (twitter : @No_Cine) sur le film, un des protagonistes parlaient des comparaisons avec Amélie Poulain. Pour lui, il n'y a pas lieu de comparer. Amélie Poulain est une histoire d'amour d'enfant, Amélie est une femme enfant. Au contraire de Elisa, qui est une adulte, ayant le contrôle sur sa sexualité. J'ai lu beaucoup de chose d'ailleurs sur la sexualité de Elisa , notamment sur le fait qu'elle se masturbe tous les jours dans sa baignoire, avec le minuteur car elle fait cuire des œufs durs en même temps. Ce passage à été moqué (même pendant la projection à laquelle j'ai assisté où des personnes derrière moi ont trouvé cela hilarant). Qu'est-ce que démontre le réalisateur avec ce passage ? Et bien qu'elle connaît son corps tout simplement. Elle sait exactement que le temps de faire cuire ses œufs sera suffisant. Elisa est une femme épanouie sexuellement, ce que n'était pas Amélie Poulain. Les deux films parlent d'une histoire d'amour et ont une esthétique forte mais la comparaison s'arrête là.

Peut-on parler de scénario simple ? Pour moi, non. Le film a plusieurs couche de lecture, certaines sautent aux yeux, d'autres prendront plus de temps et plus de visionnage. Je n'ai moi-même pas tout vu, ni tout analysé dans cet article. Je ne l'ai vu pour l'instant qu'une seule fois, mais j'ai si hâte de replonger dans l'univers si doux et si agréable et laisser le film me bouleverser encore et encore.


J'espère que vous aussi. 


Laura Enjolvy