[CRITIQUE] : Un Illustre Inconnu
Réalisateur : Matthieu Delaporte
Acteurs : Matthieu Kassovitz, Marie-Josée Croze, Eric Caravaca, Siobahn Finneran,...
Distributeur : Pathé Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Français.
Durée : 1h58min.
Synopsis :
Sébastien Nicolas a toujours rêvé d’être quelqu’un d’autre. Mais il n’a jamais eu d’imagination. Alors il copie. Il observe, suit puis imite les gens qu’il rencontre. Il traverse leurs vies. Mais certains voyages sont sans retour.
Critique :
Captivant,#UnIllustreInconnu est un thriller existentiel noir et férocement pessimiste, porté par un Kassovitz impressionnant @PatheFilms
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) November 18, 2014
Force est d'admettre qu'un trimestre aussi bandant de qualité que celui que connait actuellement le cinéma français depuis la rentrée 2014, ça ne tombe pas du ciel tous les décennies, et encore moins tous les ans.
Tellement riche en bonne surprise que l'on a même sacrément du mal à toutes les citées (Maintenant ou Jamais, Hippocrate, Gemma Bovery, Saint Laurent, Bodybuilder, Lou ! le film, Samba, Vie Sauvage, Une Nouvelle Amie, La Prochaine Fois je viserai le Cœur ou encore Respire), le septième art hexagonal est touché par la grâce ces derniers mois, et l'on espère sincèrement que cette baraqua du bon gout n'aura de cesse de perdurer pour les mois à venir.
Ayant la lourde tâche de reprendre le flambeau de la réussite à Fontaine, Zem, Dahan ou encore Bonello, Matthieu Delaporte et son compère au scénario Alexandre De la Patelière, nous reviennent donc cette semaine avec une œuvre méchamment noir et buzzé (on se rappelle de sa campagne promo osée et ayant fait couler beaucoup d'encre, jouant sur des fausses usurpations d’identités sur Facebook), Un Illustre Inconnu.
Un retour étonnant, puisqu'à l'époque du triomphe du Prénom, nous n'aurions pas forcément pu prédire que le duo se retrouverait à la tête d'un projet aussi diamétralement opposé de leur premier long que l'est cet Illustre Inconnu.
Et pourtant, ce film porté par un Matthieu Kassovitz visiblement tout aussi inspiré que pour le récent Vie Sauvage (voir même plus), et son thème fascinant du trouble identitaire, avait tout pour joliment allécher les cinéphiles que nous sommes, dans un mois de novembre ou les péloches d'exception débarquent à tous les coins de salles...
Un Illustre Inconnu ou l'histoire de Sébastien Nicolas, un homme discret qui souffre de dépersonnalisation.
Sans aucune imagination, il observe les gens qui l'entourent, allant jusqu'à suivre certains d'entre eux pour pouvoir les imiter et leur ressembler.
C'est un homme vide qui est passionné par les autres et qui ne se sent bien que lorsqu'il se glisse dans la peau d'autres personnes que lui.
Pour cela, il se fabrique des prothèses de visage et utilise des perruques, devenant avec un réalisme troublant ceux qu'il a méthodiquement observé.
Sébastien Nicolas a le comportement identique à celui d'un serial-killer mais il est bien incapable de faire le mal.
Tout ce qu'il veut, c'est être heureux en étant quelqu'un d'autre.
Et puis un jour sa vie bascule lorsqu'il rencontre Henri de Montalte, violoniste vieillissant qui n'est pas sans partager quelques traits communs avec lui.
Sébastien va alors se glisser dans la peau de de Montalte et y trouver une vie meilleure, aussi dangereuse soit-elle...
Porté par un postulat de départ hautement fascinant et génial - mais foutrement casse-gueule on est d'accord -, soit l'itinéraire d'un être fade et sans vie, qui a le besoin vitale de voler/usurper celle des autres pour se sentir exister, Un Illustre Inconnu s'avère in fine un excellent moment de cinéma, aussi intelligent que généreux qui renouvelle un genre rarement usé dans le cinéma hexagonal.
Infiniment noir et prenant, axé sur le thème du double et du trouble de l'identité, le nouveau long ambitieux de Matthieu Delaporte jouit d'un scénario malin et minutieux (il est vrai un peu moins dans le troisième acte) qui s'autorise tout tout en remettant constamment en question le spectateur aussi bien sur le périple de Sebastien - souvent crédible - que sur sa propre existence (le fantasme de pouvoir devenir quelqu'un d'autre, qui a touché chaque être humain au moins une fois).
Autant thriller existentiel tendu, joliment imprévisible et prenant que drame émouvant, magnifié par une mise en scène habile et inspiré (un teint grisâtre du meilleur effet qui va de pair avec la personnalité fade du héros, sans compter un sens des décors et des couleurs étonnant de maitrise) et une volonté remarquée de s'inscrire dans la droite lignée des thrillers Hitchcokiens - trop peut-être -, le second métrage de Delaporte (qui ne devrait décemment pas avoir de mal à faire son trou dans la durée au sein du septième art français) impressionne par son audace et son détournement des codes (celui du polar et du film de serial killer en tête).
Si il n'est pas dénué de quelques défauts assez notable au point de le faire légèrement boité (une intrigue trop étiré sur la longueur, un final moralement discutable voir même limite inutile, ou encore l'usage du thème de la paternité un brin maladroit), il peut en revanche, s'appuyer sur la force et le talent de l'un des acteurs/cinéastes les plus engagés et sous-estimés de ses vingt dernières années.
Dans l'une - si ce n'est LA - meilleure performance de sa carrière, le caméléon Matthieu Kassovitz, méconnaissable et impeccable, campe un Sébastien Nicolas - dont le patronyme est on ne peut plus passe-partout - étrangement empathique au point que ne peut s'empêcher de le suivre avec une certaine attention.
Doublement, voir même triplement impliqué d'une certaine manière (le rôle de Sébastien Nicolas, celui d'Henri de Montalte et de Sebastien dans la peau d'Henri), son jeu, très impressionnant, tout en nuance et en justesse fait des merveilles.
Captivant, noir et férocement pessimiste, Un Illustre Inconnu est le genre de film français que l'on aimerait voir pulluler dans nos salles obscures, incroyablement ambitieux aussi bien thématiquement, dans sa forme que dans sa volonté farouche de bousculé les conventions d'une distribution dans la généralité, affreusement banale.
Ou une énième preuve, si besoin était, que le cinéma français ne s'est jamais aussi bien porté que durant le dernier tiers de cette année 2014...
Jonathan Chevrier