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[CRITIQUE] : Jane par Charlotte

Réalisatrice : Charlotte Gainsbourg
Avec : Jane Birkin, Charlotte Gainsbourg, Jo Attal
Distributeur : Jour2fête
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h30min

Synopsis :
Charlotte Gainsbourg a commencé à filmer sa mère, Jane Birkin, pour la regarder comme elle ne l’avait jamais fait. La pudeur de l’une face à l’autre n’avait jamais permis un tel rapprochement. Mais par l’entremise de la caméra, la glace se brise pour faire émerger un échange inédit, sur plusieurs années, qui efface peu à peu les deux artistes et les met à nu dans une conversation intime inédite et universelle pour laisser apparaître une mère face à une fille. Jane par Charlotte.


Critique :


« C’est terrible, je vais avoir quarante ans ! » partageait Jane Birkin devant la caméra d’Agnès Varda en 1988. Jane B. par Agnès V. témoignait de la fascination qu’exerçait l’actrice et chanteuse, icône d’une époque synonyme de liberté et de sexe. Un documentaire teinté de fiction, qui pour la première fois, ouvrait les portes de son intimité. Trente-quatre ans plus tard, c’est sa propre fille, Charlotte Gainsbourg, qui pousse de nouveau les portes de l’intime.

Jane par Charlotte, titre sous forme d’hommage sans détour à la cinéaste hélas décédée, déploie une étonnante pudeur dans le voyeurisme que convoque automatiquement le choix de filmer sa mère pour la faire découvrir au monde. Mais le choix de Charlotte est tout d’abord intime, et le fil de ce documentaire singulier ne se départit pas de cette intimité. C’est d’ailleurs la première question qu’elle pose à Jane, alors en voyage au Japon pour une tournée de concert. « D’où nous vient cette pudeur ? », lui demande-elle, dans un face à face qui se termine par les larmes de Jane — dont on ne sait pas si ce sont les questions de sa fille ou la démarche en elle-même qui la met dans cet état. Ce premier entretien, suivi par d’autres dans différents endroits du globe (Japon, Paris, New-York) et différents décors, pose les bases du projet de la réalisatrice, qui est peut-être de comprendre cette mère qu’elle a dû partager avec la terre entière. Elle nous l’offre sur un plateau mais sonde dans un même temps son énigme profonde : qui est finalement Jane Birkin ?

Copyright Nolita Cinema - Deadly Valentine

Charlotte Gainsbourg traite cette question durant l’intégralité de son film et ne suit pas un script pré-déterminé. Elle ne crée pas de fiction dans son documentaire et s’affiche également auprès de sa mère. Parler de Jane revient à parler de Charlotte finalement. Sa fille, Jo Attal, la petite dernière, ne quitte pas sa mère et sa grand-mère, formant ainsi une palette de générations et l’avenir d’une famille qui n’a jamais quitté les écrans. Jo, que l’on a vu brièvement dans Les Choses humaines, le dernier film d’Yvan Attal, commence à suivre le même chemin, peut-être inconsciemment. Qu’importe la pudeur de ces femmes, la lumière de la célébrité a toujours fini par les attraper et les garder en son sein. Malédiction ou bénédiction ? Ou alors un peu des deux ?

C’est pourquoi les différentes Jane se superposent dans les yeux de Charlotte. L’artiste, chanteuse complexée par sa voix, qu’elle finit par embrasser totalement en choisissant d’accepter d’effectuer des concerts. La femme, symbole d’une génération émancipatrice vieillissante, choississant également d’’embrasser le temps qui passe. « Je suis floue » confie-t-elle à sa fille, « mais heureusement, la voix ne change pas ». Son cancer et divers soucis médicaux sont abordés brièvement, soulignant ainsi la peur sous-jacente de la réalisatrice de perdre sa mère. Et évidemment, la mère, qui a subi l’horreur de perdre un enfant (Kate Barry, qu’elle a eu avec son premier mari John Barry, est morte subitement en 2013, à l’âge de quarante-six ans). Dans une sublime séquence, où le visage de Jane est à demi-cachée par un poème projeté sur le mur derrière elle, Jane parle de but en blanc de cette période sombre. Une phrase lui barre le visage, tandis qu’elle partage sa détresse et sa culpabilité vis-à-vis de ses deux autres filles, Charlotte et Lou Doillon, qu’elle a l’impression d’avoir abandonnée pour sa tristesse. Un autre grand absent revient à la vie dans Jane par Charlotte, Serge Gainsbourg. Pour la première fois depuis trente ans, Jane Birkin revient dans sa maison, sorte de musée macabre où (presque) rien n’a changé. « J’ai l’impression qu’il va bientôt revenir » nous dit Charlotte, autour de cet amas de souvenirs, où même les aliments dans le frigo n’ont pas bougé et pourrissent — seules preuves que le temps a passé.

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Finalement, Jane par Charlotte s’apparente non pas à une recherche de l’autre mais à une déclaration d’amour. Là où les mots s’arrêtent, les images prennent le relais. Des images réalisées par une femme et une fille devenue mère à son tour et qui aujourd’hui, la comprend plus que jamais. Le regard prend une place capitale dans ce documentaire et offre un miroir émouvant au film d’Agnès Varda. C’est maintenant une fille qui voit sa mère dans son entièreté, comme un objet filmique qu’elle fut et qu’elle peut être encore, comme une femme admirée, sexualisée et médiatisée et surtout comme une mère énigmatique qui se dévoile dans une caméra-regard tendre et pudique. « Varda avait raison, il faut capturer » annonce Jane Birkin. Capturer pour comprendre, capturer pour se souvenir et garder une trace de l’instant présent.


Laura Enjolvy


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