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[CRITIQUE] : The World To Come


Réalisatrice : Mona Fastvold
Acteurs : Katherine Waterston, Vanessa Kirby, Casey Affleck, Christopher Abbott,...
Distributeur : - (Sony Pictures Releasing France)
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Romance.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h38min.

Synopsis :
Quelque part à la frontière de la côte-est américaine, au milieu du XIXe siècle. Abigail réside avec son époux dans une ferme en pleine campagne. Au printemps, elle fait la connaissance de Tallie, sa nouvelle voisine. Une relation étroite se noue vite entre les deux femmes, qui cherchent à combler le vide obsédant qui les entoure.



Critique :


Il n'y a rien de plus désarmant dans une passion, qu'elle soit contenue ou exposée, qu'un baiser, un acte pur, chaste et jamais sans conséquences, encore plus quand il lie dans l'amour et le secret les coeurs de deux femmes mariées dans l'Amérique du XIXe siècle; deux femmes dont l'union ne peut prendre vie que pendant l'absence de leurs maris respectifs.
C'est ce qui arrive à Tallie, mariée à Finney, et Abigail, mariée à Dyer, deux âmes tentant de faire au mieux malgré les difficultés d'une vie qui les frappent de différentes manières - la seconde vient de perdre un enfant, la première essaye en vain d'en avoir un -, mais surtout deux âmes coincées dans des mariages sans véritable amour, et qui se sentent cruellement déconnectés de leurs statuts d'épouses.
Bien que leurs maris soient des hommes différents - l'un déborde de violence tandis que l'autre la réprime - elles se sentent pourtant presque redevables des restrictions de leur mariage, toutes deux occupées par le travail qu'on attend d'elles.

COURTESY BLEECKER STREET FILMS/VLAD CIOPLEA

Elles se réconfortent dans leur relation foisonnante et bientôt interdite, nourrie à l'abri des regards de leurs hommes, jusqu'à ce que ceux-ci ne puissent s'empêcher de le remarquer...
Tout The World To Come n'est finalement que contraste et inversion, de ces femmes qui s'aiment dans une société qui n'accepte pas - encore - cette vérité (les deux étant d'ailleurs elles-mêmes différentes, l'une étant timide quand l'autre est extravertie), de ces saisons qui embrouillent leurs significations (ici l'amour jaillit en hiver, alors que le printemps invite à la dévastation), de cette nature qui semble se rebiffer (elle est plus menaçante et autoritaire que belle), de ce chagrin qui ne fait pas naître la douleur mais l'excitation d'une impensable romance, autant que le soulagement de découvrir que la vie peut être plus qu'une douleur quotidienne.
Rendant palpable l'inexprimable et le refoulé dans son portrait édifiant de la femme au foyer dans la société conservatrice ricaine du XIXème siècle, Mona Fastvold rend surtout quasiment surréaliste la romance entre Tallie et Abigail (qui ont une vie intérieure distincte de celle de leurs maris), si près et pourtant si loin l'une de l'autre, si dangereusement proche de la frontière séparant leur vie d'épouse à celle d'amante, que tout aurait presque des allures de pur fantasme - notamment, peut-être, dans le manque d'hésitation de ses héroïnes.
Dommage que dans le même temps, elle pare son récit d'un esprit infiniment littéraire voire même épistolaire, via un artifice à double-tranchant : la voix-off d'Abigail et son journal intime, un dispositif à la fois perspicace pour donner encore plus de vie à cet amour interdit (il exprime d'ailleurs pleinement son éveil et son excitation romantique), mais plombant un brin son explosion sensorielle en la liant continuellement à des mots (malgré l'empathie que dégage la voix de Waterston).

COURTESY BLEECKER STREET FILMS/VLAD CIOPLEA

Récit vibrant sur deux femmes pionnières
qui deviennent inopinément amantes (superbes Vanessa Kirby et Katherine Waterston), dont l'attirance déconcertante et pourtant passionnante est voué à un amour indicible (autant parce qu'il doit être secret qu'il n'a aucun mot - à l'époque - pour être nommé); The World To Come peut se voir comme une vision authentique et douce des récits historiques rugueux et - souvent - au féminin de Kelly Reichardt, au coeur d'une Amérique indomptée.
Un beau drame digne, intime et plein d'espoir quant au monde à venir - tout est dans le titre -, dans lequel l'amour interdit trouvera autant son nom, que le droit d'exister.


Jonathan Chevrier