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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #101. 菊豆 (Jú Dòu)

Copyright Solaris Distribution

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !




#101. Ju Dou de Zhang Yimou (1990)

Alors que son merveilleux Shadow a embellit les bacs cet été, sans être passé par une case salle obscure pourtant essentielle au vue de sa beauté incroyable (tous ceux ayant pu le voir sur grand écran l'an dernier, en plein Étrange Festival, attesteront grandement cette vérité), Zhang Yimou nous revient par la petite porte des ressorties en cette rentrée trouble, avec son merveilleux second long-métrage, Ju Dou, longtemps désapprouvé par l'establishment chinois alors qu'il incarne pourtant, le premier film local à avoir obtenu une nomination pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Dominé par la fantastique Gong Li, alors compagne et muse exceptionnelle du cinéaste, le film plante sa caméra au coeur de la rigide Chine féodale des années 20 (mais qui pourrait tout aussi bien se dérouler un siècle plus tôt), ou les clans familiaux soucieux de leur pérennité/descendance, n'hésitaient pas à régler par eux-mêmes, les relations conjugales de ses membres.

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Si l'amour est le seul luxe universel dont les pauvres peuvent autant jouir que les riches, Yimou démontre que cela n'est pas forcément le cas dans tous les parcelles de terres du monde, et encore moins à toutes les époques.
On y suit l'histoire tragique de deux amants maudits, Ju Dou et Yang Tianqing, vivant sous la croupe d'un vieil homme, Yang Jin-shan, riche propriétaire d'une teinturerie, qui les asservit tous les deux avec sa volonté cruelle; la première est une belle jeune femme achetée pour qu'elle lui offre un héritier male, le second est son neveu, dont il est l'oncle adoptif.
Sadique et impuissant, il se divertit en tourmentant sa fiancée sous les oreilles impuissantes de son neveu; lui est trop pauvre pour pouvoir prétendre au mariage, elle est tout aussi pauvre pour avoir la possibilité de choisir son époux.
Et c'est dans ce climat de terreur et d'érotisme contenu, que les deux vont se donner l'un à l'autre jusqu'à commettre l'irréparable : avoir un enfant, que la femme assurera être celui du vieil homme.
Mais parce que le karma est un retour de flammes implacable, l'enfant devient un petit monstre haineux et volontaire, tandis que le vieil homme vieillit et finit par être paralyser suite à un accident - une chute d'âne.
Si la liaison qui les unit perdure (plus que le soutien face au brimade, l'idée de vengeance est devenu avec le temps, un ciment encore plus fort de leur union), leur tromperie devient encore plus dangereuse lorsque leur fils vieillit assez pour comprendre ce qui se passe et renier cette union lui qui, ironiquement, ressemble plus au vieillard aigri et violent qu'au jeune homme vigoureux qui l'a engendré...

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Douloureuse et mutique fable sur un amour impossible, troublant et perverse jusque dans son final aussi sinistre que mélodramatique (semblant tout droit sortie d'un Buñuel), aussi sanglant que dénué de toute miséricorde, le formidable Ju Dou peut clairement se voir comme une parabole, au-delà même de son statut de drame vibrant, anxiogène et contemplatif (ou Yimou prenait déjà tout son temps pour saisir la beauté et la gravité de ses histoires), sur l'ancien ordre du maoïsme - autant du point de vue du vieux marchand (Mao), que de l'enfant (la garde rouge).
Mélodrame imperturbable et terrible, ou les jours soit remplis de suspicion et les nuits d'un mélange bouillant de passion et de violence, dont la beauté visuelle et les couleurs rappellerait presque l'âge d'or Hollywoodien, Ju Dou est une oeuvre incroyable, qui recontextualise pleinement deux des thèmes charnières de la filmographie du cinéaste : la mise en images sans tabou des valeurs ancestrales et traditionnelles de la Chine rurale, mais aussi et surtout, les portraits puissants de femmes luttant contre leur condition et leur manque cruel de liberté.
Une merveille, rien de moins.


Jonathan Chevrier


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