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[CRITIQUE] : Malmkrog


Réalisateur : Cristi Puiu
Avec : Agathe Bosch, Frédéric Schulz Richard, Diana Sakalauskaite, Ugo Broussot, Marina Palii, István Teglas,...
Distributeur : Shellac
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Roumain, Serbe, Suisse, Suédois, Bosniaque, Macédonien.
Durée : 3h20min

Synopsis :
Nikolai, grand propriétaire terrien, homme du monde, met son domaine à la disposition de quelques amis, organisant des séjours dans son spacieux manoir. Pour les invités, parmis lesquels un politicien et un général de l’armée Russe, le temps s’écoule entre repas gourmets, jeux de société, et d’intenses discussions sur la mort, l’antéchirst, le progrès ou la morale. Tandis que les différents sujets sont abordés, chacun expose sa vision du monde, de l’histoire, de la religion. Les heures passent et les esprits s’échauffent, les sujets deviennent plus en plus sérieux, et les différences de cultures et de points de vues s’affirment de façon de plus en plus évidentes.



Critique :


Criti Puiu nous offre la possibilité de débattre sur divers sujets philosophiques, religieux et politiques pendant plus de trois heures, dans un immense manoir au fin fond de la Transylvanie.
En effet, l'instigateur de la nouvelle vague roumaine revient en salles avec Malmkrog, une adaptation libre et personnelle du texte de Vladimir Soloviev, Trois Entretiens. Tourné en peu de temps, dans des conditions particulières, aidé par les acteurs qui ont grandement participé à l’élaboration du film, Cristi Puiu nous enferme dans cette luxueuse maison où des domestiques se mettent en quatre pour servir les cinq protagonistes qui nous sont présentés. Nous ne verrons les terres enneigées transylvaniennes que deux fois en trois heures vingt. Pendant toute une journée (ou quelques jours, le temps n’existe plus), Nikolai, Olga, Madeleine, Édouard et Ingrida vont parler, manger parfois, se taquiner mais surtout échanger leurs opinions tranchées. Ils refont le monde dans leur bulle bourgeoise, d’un ton verbeux ambitieux où le mot “vilain” devient provoquant. La condescendance se noie dans la courtoisie, la curiosité dans la controverse. Ils sont affables entre eux, s’échangent de temps à autre des coup d’œil facétieux, mais sont précautionneux à ne jamais porter atteinte à l'intégrité de la personne, seulement à ses idées. Le murmure de la maison, vivante par les allées et venues des domestiques, du branle bas qui initie la préparation d’un dîner, un curieux événement violent, rien ne viendra les priver de leurs discussions passionnantes et passionnées.


Malmkrog débute par un long panoramique pour découvrir l'imposant manoir qui surplombe la plaine. Nous sommes à la campagne, les moutons laissent des traces sur la neige. Puis nous rentrons dans la maison et captons une conversation en cours de route. Quelques plans plus tard, nos cinq protagonistes sont rassemblés dans une grande pièce à vivre et débattent vivement sur la guerre et la morale. Le plan s’étire, le temps se dilate tandis que la conversation dérive. Nous sommes face à un premier plan-séquence, où la caméra se déplace lentement, au gré des personnages qui marchent le long de la pièce. Parfois, elle décide de suivre l’un d’entre eux qui sort du cadre, avant de se recentrer sur la conversation. Le point de vue finit toujours par revenir à la conversation, précisément comme les convives, incapables de laisser le moindre sujet sans qu’il soit creusé jusqu’à la moelle. Alors qu’ils sont, pour la plupart, d'origine russe, la langue utilisée est le français (comme l’exigeait la haute société). Les monologues, déclamés comme de véritables tirades, font état de la musicalité de la langue, de la richesse de son vocabulaire et témoigne de la caractéristique que l’on attribue aux français : celle de débattre, d’étaler son point de vue, persuadé de sa supériorité intellectuelle.


Malgré le peu de mouvement de caméra, la mise en scène de Cristi Puiu développe sa propre musicalité et prend de la densité en changeant le rythme de montage à chaque chapitre. Si dans les premiers temps, la profondeur de champs et les mouvements étirés sur la longueur sont au cœur de la mise en scène, le réalisateur va petit à petit approcher sa caméra pour filmer une scène de repas où la discussion sur l’Évangile sera musclée. Le chef opérateur fait un travail remarquable sur le cadre et la lumière. Les portes, les fenêtres, les miroirs offrent dans le décor de quoi isoler un des personnages et l’encadrer pour le mettre en avant ou à l’inverse, pour l'obscurcir. D’une lumière naturelle diffuse, qui assombrit le cadre au lieu de l’embellir, Tudor Vladimir exprime par la beauté picturale de sa lumière et son esthétisme froid, la lutte qui se déploie devant nos yeux, entre différentes opinions morales qui n’arriveront jamais à se mettre au diapason. La temporalité non-linéaire donne parfois de drôles de scènes qui ne trouvent aucune explication. Dans un accès de violence, venue soudainement, de nombreux protagonistes meurent, avant d’être de nouveau présent dans la séquence suivante, sans rien pour nous indiquer une quelconque conséquence. Pourtant, Nikolai regarde pendant un court instant le lieu du drame. Une réminiscence ? Une vision du futur, où la bourgeoisie sera mise à mal par la révolution Russe ? Cette courte scène est peut-être présente pour nous montrer le destin de la haute société, qui ne restera pas longtemps protégée du monde extérieur par leurs idées philosophiques et leur dogmatisme biaisé. Leur réalité est limitée à l’intérieur même du château, où même l’organisation domestique leur est cachée. Les serviteurs se fondent dans le décor, tels des fantômes, prenant vie uniquement quand ils “servent” avant de disparaître du cadre et de la vue des invités.


Alors que les débats mis en lumière dans Malmkrog peuvent trouver résonance dans notre époque, Cristi Puiu questionne la légitimité de la classe intellectuelle qui se livre à une discussion confortable, faite de platitude et de philosophie, dans un monde au bord du chaos. Le réalisateur mène sa propre guerre, celle de la parole cinématographique. En étirant le temps, et en réduisant l’espace, il interroge cette prise de la parole, mais surtout, le peu de place que l’on donne à l’écoute, le facteur le plus oublié.


Laura Enjolvy 



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