[CRITIQUE] : Uncut Gems
Réalisateurs : Benny et Josh Safdie
Acteurs : Adam Sandler, Idina Menzel, Julia Fox, Lakeith Stanfield, Kevin Garnett, The Weeknd, Pom Klementieff,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Thriller, Drame, Comédie, Policier.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h15min
Synopsis :
Un propriétaire de bijouterie, au sein de Diamond District à New York, et revendeur à ses heures perdues, voit sa vie bouleversée lorsque sa marchandise est volée.
Critique :
Pur tourbillon chaotique sous tension et sans temps mort, #UncutGems a tout de la roulette russe sur pellicule dont la prestation immense d'un Adam Sandler habité, sert de rotation karmique. Une explosion hypnotique, un ride déstabilisant et frénétique, un put*** de diamant noir. pic.twitter.com/B4Moys7t1y— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 22, 2020
Au moins une péloche par an, le ratio est généreux depuis que le génial Adam Sandler est passé du côté obscur de la force en signant un partenariat avec le démon (pour l'industrie) Netflix, et c'est une nouvelle qui est loin de nous déplaire tant on adore sincèrement la filmographie du bonhomme, remplie jusqu'à la gueule de petits plaisirs coupables aussi délirants qu'attachants, peuplés autant de stars établis que de vrais amis du comédien.
Le hic, c'est que le mojo délirant de son cinéma semble s'être dilué dans la juteuse pyramide de billets verts qu'il a reçu - et qu'il reçoit encore -, et les dits films produit par la major sont décemment à des années lumières de ce qui faisait le sel de ses trips comiques à la limite de l'over the top (le terrain de jeu de son cousin redneck Will Ferrell).
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Sauf que le bonhomme a une conscience, et elle semble faire quelques sursauts d'orgueil ces derniers temps, histoire de rappeler à tous ceux qui voudront bien le voir, qu'il n'est pas que le tâcheron vaguement drôle du giron bas du front de la comédie US, et que bien encadré avec un - ou plusieurs - cinéaste qui sait ce qu'il veut réellement de lui, il est capable de belles choses, digne des plus grands.
Si The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach avait gentiment ouvert la porte, Uncut Gems des frangins Safdie lui, enfonce le clou avec une frénésie dingue, offrant au comédien l'écrin parfait et presque miraculeux qu'il avait tant besoin, pour signer la plus belle prestation de sa carrière.
Vision démente au coeur du Diamond District diamantifère de New York (excepté un prologue étouffant dans les mines d'opale de Welo, en Éthiopie), cloué aux basques d'un diamantaire juif, Howard Ratner, dont le destin est lié à de magnifiques opales noires, la péloche démarre de manière on ne peut plus évocatrice : l’exploration coloscopique du fondement d'un anti-héros qui, justement, voguera tout du long dans les méandres nauséabonds aussi bien d'un milieu sans morale ni restriction (un monde abject et de merde, n'ayons pas peur des mots), que d'une vie constamment remis en cause par une auto-destruction constante et frénétique (soit un penchant profond pour toujours se foutre... dans la merde).
Un film de tripes, qui prend par les tripes et qui vit dans ce qu'elles doivent donner au quotidien, et chez Howard, elles sont autant le moteur que le dépositaire des impulsions maladives et anxieuses d'une âme qui se mutilent sans justification et dans tous les sens possible, jamais attirée vers les voies fragiles de la raison et de la satisfaction.
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Véritable ride de poudreuse fondant lentement dans les narines, dont la tension et l'énergie ne redescendent jamais, Uncut Gems embrasse à pleine bouche autant la folie enivrante et assourdissante que la beauté meurtrie et crasseuse d'une Grosse Pomme rarement filmée avec autant de hargne et de nervosité caméra au poing.
Rarement au-delà, évidemment, de la caméra d'un roi Scorsese qui, plus encore que pour Good Times, hante tous les bords de la pellicule de cette lettre d'amour totalement assumée à son égard, portée par une figure Ferrara-esque souvent antipathique mais qu'il est pourtant impossible, aussi contradictoire que cela puisse paraître, à ne pas adorer.
Jouant les funambules de l'extrême (via un système complexe de mensonges, d'escroqueries, d'objets en gage et d'une chance incroyable) avec des collaborateurs/créanciers dont l'exaspération se montre de plus en plus physique et frontale, risquant toujours plus gros autant par goût que par nécessité de toujours se mettre en danger, Howard est littéralement la rotation karmique d'une roulette russe sur pellicule chaotique et hypnotique, dont la générosité délirante épuise aussi bien qu'elle déstabilise.
Si Good Time pouvait se voir comme une fuite désespérée, anarchique et fiévreuse vers l'avant, Uncut Gems lui, est un électrochoc à l'urgence encore plus palpable, une spirale infernale qui fait du surplace et tourne constamment sur elle-même, tel l'Ouroboros qui se mord continuellement la queue mais dont l'impact est finalement encore plus viscéral.
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À la lisière de la chronique sportive faisant de l'extase son mojo majeur, ou le gazon est remplacé par le bitume terne et pavé de billets verts de NY, le ballon par une opale à la fascination mystico-égicentrique et ou l'adversaire n'est autre qu'une grande faucheuse face à laquelle on ne se prive d'aucune provocation superflue, et dont la conclusion, proche du Scarface de De Palma, ne peut se terminer que douloureusement dans le sang et la solitude ridicule la plus totale; la bande peut également se voir comme une fable macabre, une tragédie inévitable sur un accro au jeu dont le pari le plus persistant et arrogant est sa propre vie, un fou dont les (nombreux) problèmes sont créés de sa propre initiative, mais dont les conséquences ont depuis longtemps quittés son contrôle.
Merveilleux et habité dans la peau de ce marchand noir bruyant et agité, qui récoltera de la plus brutale des manières les ravages d'un quotidien déglingué, Adam Sandler se montre sous un visage proprement inédit devant la caméra des Safdie, poussant les nuances de son jeu vers une insécurité malveillante étonnante et captivante, gonflant de manière croissante ses mimiques habituelles pour mieux les sublimer.
Un pur manifeste de dilemme psychologique qui possède et incarne toutes les émotions du métrage, un esprit conscient et déterminé à se détruire tout autant qu'il est persuadé de pouvoir se sortir de toutes les situations possible, et qui colle parfaitement à ce que les deux cinéastes nous ont toujours offert jusqu'alors, avec il est un vrai un poil moins de maîtrise (qui est venue avec la maturité, assurément) : une plongée creusée et affûtée dans l'état d'esprit de personnages hautement combustibles, poussés par des tendances destructrices à valser sur une corde raide juste pour le plaisir fugace de survivre jusqu'au lendemain, pour mieux recommencer de plus belle.
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Thriller psychologique et contemporain sombre as hell, court-circuité par des saillies comiques délirantes, dominé par la précision dingue d'une réalisation visionnaire contrôlée de A à Z (et qui offre, de manière totalement improbable, un hommage furieux et sincère à feu Tony Scott) et par la photographie granuleuse de l'orfèvre Darius Khondji (qui capte le réalisme bouillonnant d'un Manhattan aussi oppressant que pimpant), Uncut Gems prospère dans le chaos le plus total d'une Amérique fantasmée et délabrée, déstabilise son auditoire, le secoue dans tous les sens (notamment grâce à la bande son cosmique et tout en percussion de Daniel Lopatin) pour mieux lui asséner un uppercut à lui en décoller la machoire jusque dans ses ultimes secondes.
Une claque haletante, rude et psychédélique dont on ne ressort pas indemne, et qui n'a aucun mal à se classer, déjà, comme l'une des séances les plus importantes de l'année ciné 2020.
Jonathan Chevrier