[CRITIQUE] : La Llorona
Réalisateur : Jayro Bastamante
Acteurs : Maria Mercedes Coroy, Sabrina de la Hoz, Julio Diaz, Juan Pablo Olyslager,...
Distributeur : ARP Sélection
Budget : -
Genre : Thriller, Historique.
Nationalité : Guatémaltèque, Français.
Durée : 1h37min
Synopsis :
La Llorrona : seuls les coupables l’entendent pleurer. Selon la légende, la Llorona est une pleureuse, un fantôme qui cherche ses enfants. Aujourd’hui, elle pleure ceux qui sont morts durant le génocide des indiens mayas. Le général, responsable du massacre mais acquitté, est hanté par une Llorona. Serait-ce Alma, la nouvelle domestique ? Est-elle venue punir celui que la justice n’a pas condamné ?
Critique :
#LaLlorona est un film étrange. Prenant une légende comme appuie, Jayro Bustamante utilise les codes du cinéma d'horreur pour raconter l'histoire du génocide de son peuple et filmer la rage de l’injustice, dans un Guatemala où le négationnisme a pris le dessus. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/AmkInhEZN5— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 23, 2020
Si l’on se fie uniquement au titre du troisième film de Jayro Bustamante, nous avons l’impression d’avoir droit de nouveau à un film d’horreur avec un mythe connu de tous : la pleureuse, qui devient folle après l’abandon de l’homme qu’elle aime, tue ses enfants, condamnée à errer et hanter les personnes sur son chemin. Plusieurs films sont sorties avec ce personnage, dont La malédiction de la dame blanche (The curse of la llorona pour le titre VO) sorti dans nos salles l’année dernière. Il n’est pas question de jump-scare ou de scénario limite crédible dans La Llorona de Bustamante, mais de l’histoire du génocide du peuple Maya-Ixiles au Guatemala. Après Ixcanul et Temblores, celui-ci ferme le triptyque du cinéaste guatémaltèque qui a voulu mettre en avant trois mots, utilisés comme insulte, pour décrire les militants qui défendent les droits de l’homme : “indiens”, que l’on retrouve dans son premier long-métrage, “homosexuel” pour le deuxième, et dans le film qui nous intéresse, “communiste”, utilisé pour nommer les manifestants s’insurgeant sur la décision de la justice d'acquitter le dictateur coupable du génocide pendant la guerre civile.
En 2013, l’ex-président du Guatemala Efrain Rios Montt est condamné pour génocide et acquitté quelques temps après pour vice de forme. Une décision de justice qui a provoqué une rage au sein de la population du pays, qui ont vu ce jugement comme une trahison sur les horreurs vécues. Jayro Bustamante ne nomme pas explicitement Montt et le transforme en Général Enrique Monteverde, un homme retraité et malade, qui se rend à son procès accompagné de sa femme et de sa fille. Comme dans la réalité, Monteverde est d'abord condamné puis acquitté. L’injustice est palpable au moment du procès. Une femme vêtue d’un voile raconte les atrocités commises par l’armée, d’une manière digne, soutenue par son peuple derrière elle. Monteverde, lui, n’est que arrogance : il nie les faits, le génocide n’a pas eu lieu. Pour une partie du peuple cette outrage ne peut rester impunie, ils décident d’assiéger la villa du Général. Personne ne peut sortir. Leur présence hante les habitants de la maison. Par des jets de pierre, des chants, de la musique, des cris, ils rappellent leur colère aux Monteverde, démunis face à tant de rage.
À partir de ce moment-là, La Llorona se transforme en huis-clos étouffant. Car la fierté montrée par le Général en public n’existe plus en privé, il n’est qu’un homme malade et fatigué. Les nuits, il entend une femme pleurer, hanter la maison. Il l’a poursuit, arme au poing et manque de tuer des membres de sa famille pendant ses crises de somnambulisme. Les domestiques, tous mayas, partent car ils reconnaissent le mythe de la pleureuse, celle qui vient aux hommes coupables d’atrocités. Le cinéaste décide de faire de ce fantôme non pas une femme en colère face à un abandon mais une véritable justicière, vengeant tout un peuple qui réclame que justice soit rendue. Les acteurs du génocide, les décisionnaires ne seront pas à l’abri. Tandis que la pleureuse referme son étau sur sa proie, les femmes qui entourent Monteverde et qui l’ont toujours soutenues commencent à se poser des questions. Sa fille est incapable de suivre le procès d’une traite, voit son père comme un malade qui n’a plus aucun pouvoir. Elle se demande aussi où est passé le père de sa fille, disparu mystérieusement. Sa femme, Carmen, passe ses nuits à cauchemarder et se retrouve dans la peau d’une maya pendant la guerre, qui voit ses deux enfants menacés par des fusils. Dans ce crescendo de plus en plus horrifique, dont la nouvelle domestique Alma semble en être la cause, la réalité et le cauchemar se confondent. La lumière s’assombrit, même de journée, les manifestants changent de visages, la tension monte jusqu’à atteindre un point de non retour. Un travail minutieux est mené sur le son, au niveau des dialogues pour qu’on est une impression de proximité avec les personnages. Le spectateur se retrouvent donc lui aussi à l’intérieur de la villa hantée, avec l’impossibilité de sortir.
Il était important pour Bustamante de filmer la rage de l’injustice, dans un pays où le négationnisme a pris le dessus. Le personnage de Carmen le dit clairement dans le film “parler du passé est une perte de temps, il faut aller de l’avant”. La Llorona est une réponse à cette façon de penser : on ne peut commettre un crime sans en payer le prix.
Laura Enjolvy