[CRITIQUE] : Les Enfants d’Isadora
Réalisateur : Damien Manivel
Acteurs : Agathe Bonitzer, Manon Carpentier, Marika Rizzi, Elsa Wolliaston,...
Distributeur : Shellac Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français
Durée : 1h24min
Synopsis :
Après la mort de ses deux enfants en avril 1913, la danseuse mythique Isadora Duncan a composé un solo intitulé La mère. Dans un geste d'une grande douceur, une mère y caresse et berce une dernière fois son enfant avant de le laisser partir. Un siècle plus tard, quatre femmes font la rencontre de cette danse.
Critique :
Avec #LesEnfantsdIsadora, Damien Manivel signe l'un des meilleurs hommages possible à la mythique danseuse Isadora Duncan, une femme libre et en avance sur son temps, qui a su faire d’une horrible tragédie, un moment de poésie pure. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/LHH1KaMS6C— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) November 16, 2019
Isabella Duncan fait partie des figures de proue de la danse du siècle dernier. Sa célébrité était autant pour sa danse, qu’elle a révolutionné, que pour sa vie privée à la fois sulfureuse et tragique. Sulfureuse, car sa sexualité questionnait les médias (elle entretenait des relations très intimes avec des femmes) et tragique car le deuil l’a entouré. Le 19 avril 1913, ses deux enfants Deirdre et Patrick, respectueusement six et trois ans, meurent dans un accident de voiture. Elle ne s’en remettra évidemment jamais. Elle raconte longuement cet épisode de sa vie dans son autobiographie et comment, pour alléger un tant soi peu son chagrin, elle a créé un solo intitulé “ Mother” (“La Mère”), où par la danse, elle leur dit au revoir. Elle a toujours refusé qu’on la filme, il ne reste pas de trace réelle de cette danse, à part une partition. C’est ce que raconte Damien Manivel dans son quatrième long-métrage Les Enfants d’Isadora, cette recherche des pas, de la danse à travers quatre femmes. La transmission de la danse, mais surtout de l’émotion d’un corps à un autre.
Il en fallut du temps à Damien Manivel pour filmer son autre grande passion, la danse. Par peur peut-être, ou parce qu’il attendait le parfait sujet. Et il n’y a pas de meilleur sujet que Isadora Duncan, pour les aficionados. C’est une des premières danseuses qui a voulu se libérer des jougs de la danse classique sur le corps féminin. Les pointes, le tutu, les codes figés. Elle a donc danser pieds nus, avec des voiles légers sur son corps. Elle a redonné sa place à la beauté du corps, du geste. Tout est danse, chaque geste de notre corps comporte une poésie qu’elle a exploité dans ses écoles de danse. Le film de Manivel est porté par cela, dans une langueur qui peut faire peur à plus d’un. Si vous cherchez un film qui bouge (avec une danse toutes les dix minutes), passez votre chemin. Il n’est pas question de cela ici, nous voyons très peu la danse de Duncan. Pourtant, si on y prête attention, la danse est partout, surtout dans la mise en scène très épurée du cinéaste, qui capte chaque geste, même minime pour mieux rendre hommage à la célèbre danseuse et à son héritage.
Le sujet majeur du film Les Enfants de Isadora est la transmission. Tel un véritable ballet, le film est coupé en trois parties, trois actes bien distincts, qui se répondent cependant. Le premier nous montre une danseuse, Agathe Bonitzer, qui voue une obsession pour le solo. Elle lit la biographie de la danseuse, recherche la partition, répète chaque geste d’une façon méticuleuse. La deuxième partie nous montre les répétitions d’un spectacle avec la chorégraphe Marika Rizzi qui apprend le solo à la jeune Manon Carpentier. Puis le dernier acte, c’est Elsa Wolliaston, spectatrice du solo de Manon, qui danse dans son salon, émue par ce qu’elle vient de voir. Les images essayent de capter les émotions des danseuses, de cette transmission de la sensation de perte, du deuil, du chagrin intarissable qui se dégage de “La Mère”. On sent le travail rigoureux derrière la caméra, de ce regard de cinéaste, mais aussi de danseur, ces deux passions qui ici forment un beau duo. Tout devient signification : un reflet, un geste, une marche. C’est cette lenteur et cette précision presque chirurgical qui peuvent rebuter. Mais si on se laisse porter par le rythme des gestes, tout n’est que beauté et émotion, comme le voulait Isadora Duncan dans l’ensemble de son oeuvre.
La danse, plus qu’un enchaînement de geste gracieux, est vecteur d’émotion. Il faut habiter le geste, trouver sa propre manière de le faire. Damien Manivel signe un des meilleurs hommages qu’on peut rendre à cette femme libre et en avance sur son temps, qui a su faire d’une horrible tragédie, un moment de poésie pure.
Laura Enjolvy