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[CRITIQUE] : À Couteaux Tirés


Réalisateur : Rian Johnson
Acteurs : Daniel Craig, Chris Evans, Ana De Armas, Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Don Johnson, Toni Collette, Lakeith Stanfield,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Policier, Comédie, Drame
Nationalité : Américain
Durée : 2h11min

Synopsis :
Célèbre auteur de polars, Harlan Thrombey est retrouvé mort dans sa somptueuse propriété, le soir de ses 85 ans. L’esprit affûté et la mine débonnaire, le détective Benoit Blanc est alors engagé par un commanditaire anonyme afin d’élucider l’affaire. Mais entre la famille d’Harlan qui s'entre-déchire et son personnel qui lui reste dévoué, Blanc plonge dans les méandres d’une enquête mouvementée, mêlant mensonges et fausses pistes, où les rebondissements s'enchaînent à un rythme effréné jusqu'à la toute dernière minute.





Critique :


Rian Johnson a vu son nom devenir la cible de “haters” en 2017. La cause, l’épisode VIII de la nouvelle saga Star Wars, qu’il a écrit et réalisé. Des pétitions ont circulé pour retourner entièrement Les Derniers Jedi. Des menaces de mort lui ont été adressées. Pourquoi tant de haine ? Le cinéaste de Looper et de Une arnaque presque parfaite s’était totalement approprié la saga, en devenant le seul de cette nouvelle trilogie à écrire son scénario entièrement, sans co-auteur. Expérience qui lui rapportera toutefois, car malgré les mauvaises critiques de fans en colère, le monsieur est au commande d’une toute nouvelle trilogie Star Wars. Que faire entre ces deux grosses productions ? Un whodunnit Agatha Christien voyons, quelle question ! Cela n’est pas si étonnant si on y réfléchit venant d’un réalisateur qui se sert des codes du genre qu’il filme pour insérer un propos plus percutant et global, qui se sert de symboles pour parler transmission et politique. À Couteaux Tirés est donc plus qu’une petite enquête sympathique, mais va se servir de l’univers imagé et codifié, façonné par Dame Christie et nous emmène dans une Amérique rongée par l’appel du gain et du privilège.


Rian Johnson nous plonge donc dans une famille riche, avec une personnalité différentes pour chaque membre. Harlan Thrombey, le patriarche est un célèbre auteur de roman policier. Un sombre matin, sa gouvernante le retrouve mort, le cou tranché. Un suicide d’après la police, mais certains indices laissent penser à un homicide. Un mystère que compte bien défaire le détective Benoit Blanc, une sorte de mélange entre Sherlock Holmes et Hercule Poirot, campé par un Daniel Craig qui se régale dans ce rôle. Le scénario s’amuse des clichés du genre et prend tous les archétypes d’un livre policier pour brosser le portrait de la famille. Une famille vénale, qui cache bien son jeu. Une famille qui n’a rien de soudée quand il s’agit de l’héritage, une énorme somme d’argent. Mais le réalisateur nous prend de revers et opte pour une révélation partielle tôt dans l’enquête. Mais ne vous inquiétez pas, Johnson s’amuse aussi à brouiller les pistes, pour le plus grand plaisir des aficionados.
La mise en scène prend un parti pris simple : la caméra montre la vérité, elle ne ment jamais. Encore faut-il comprendre la puissance et la symbolique des images, car si la caméra est vérité, les personnages eux, s’enfoncent dans le mensonge. Si on peut penser au jeu de société Cluedo, cité dans le film, le récit et le film en lui-même est un héritage, un hommage à Agatha Christie. Cela se voit dans le ton “humour anglais” qui se moque des personnages, dans la façon de mener l’enquête, ainsi que dans ce besoin de créer quelque chose de nouveau artistiquement, de briser les codes établis du whodunnit. Également dans la manière de donner toutes les clefs au spectateur, sans qu’il le sache, d’une façon qu’on ne se sentira jamais pris pour des imbéciles au moment du twist final, de la révélation du meurtrier. À Couteaux Tirés est un scénario original, mais arrive à capter l’essence même de l’oeuvre de l’autrice, à lui rendre hommage tout en l’adaptant à notre temps. Chapeau Rian ! 


Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas l’inspecteur de police ou le détective privé le personnage principal, mais une des suspects, Marta, l’infirmière de la victime, jouée par une Ana De Armas des plus touchantes. C’est par son biais que Rian Johnson va pouvoir complexifier son propos, lui donner une saveur politique très actuelle. Alors que les autres personnages restent des caricatures (ce qui aide à donner cet humour décalé truculent), Marta, elle, est d’une pureté, d’une bonté de cœur qui doit faire face à la pire des espèces : le blanc privilégié. Car Marta est une immigrée, et se retrouve à devoir gérer les blagues racistes, enrobées d’hypocrisie déguisée. “Tu fais partie de la famille” lui disent-ils plusieurs fois, alors qu’elle n’a même pas été invitée aux funérailles et retourne au manoir uniquement car la police demande à l'interroger avec la famille.
Le monde que peint Rian Johnson est impitoyable, hypocrite. Il se sert d’un genre cinématographique très codé, d’un univers humoristique marqué, pour y livrer un constat glaçant : les privilèges nuisent. Il faut briser les règles, se remettre en question, car le monde change et il serait temps de changer avec lui. 


Laura Enjolvy



Il y avait quelque chose de profondément grisant à l'idée de voir Rian Johnson, cinéaste talentueux qui n'a pas forcément à prouver quoique ce soit aux yeux des cinéphiles les plus avertis, s'offrir - et par la même occasion, nous offrir aussi - une récréation ludique et barrée sur grand écran avec un casting totalement dingue, passé l'accueil injustement mitigée de son pourtant fantastique et singulier (comparé aux précédents opus de la saga) The Last Jedi.
Le bonhomme avait envie de se faire plaisir en usant du genre si codifié du polar mystérieux et énigmatique, marquant un retour aux sources hautement salvateur au coeur des premières heures de sa filmographie (le néo-noir Brick et Une Arnaque Presque Parfait marchaient sur une appropriation maline - et sombre - du genre), comme pour signer un film-somme avant de repartir dans les étoiles, ou la liberté de ton et d'expression risque d'être sensiblement différente - pour être poli.
Car oui, À Couteaux Tirés à tout du savoureux film-somme, reprenant l'habitude savoureuse du cinéaste à constamment redistribuer les cartes et livrer des rebondissements que l'on ne voit pas (toujours) venir, tout en catapultant son auditoire au coeur d'une aventure excitante et amusante à la fois, croqué avec une précision magistrale.


Tout du long, Johnson garde constamment son spectateur sur ses gardes en suivant scrupuleusement au pied de la lettre, la formule classique du film à meurtres/whodunit tout en pastichant avec une irrévérence respectueuse, l'oeuvre d'Agatha Christie (une famille bougeoise, le meurtre de sa figure la plus âgée, un héritage dans la balance.. on marche sur du velours) dans un immense Cluedo bling-bling et furieusement méta, distillant ses secrets bien avant que les esprits les moins affutés ne les voient venir, tel un magicien du cinéma qui vous demande de regarder sa main gauche, alors que la droite vous montre sans broncher toute la vérité.
Mais loin de n'être qu'un mystère extrêmement amusant à résoudre et une véritable évasion sur pellicule comme on en a rarement vu ses dernières années, Knives Out offre aussi un commentaire  cinglant sur la situation de l'Amérique contemporraine - et de la société en générale -, boursouflée par les inégalités sociales et le racisme ordinaire - mais pas que.
Une bande jonglant entre une facture vintage et nostalgique enivrante (et esthètiquement soignée), et une modernité de ton intimement grisante, incarnant même pour ne rien gâcher, un véritable terrain de jeu délurée pour une galerie de comédiens ne demandant que cela et ayant chacun de l'opportunité de se démarquer - même si certains restent indiscutablement, film d'ensemble oblige, sur le carreau.
Dans la peau d'un Clouzot du pauvre à l'égo surdimensionné, Daniel Craig  cabotine joyeusement et signe une partition enjouée incroyablement théâtrale (c'est absolument génial de le voir s'exciter quand il découvre, évidemment en retard, des faits important sur son enquête), avec un timbre du sud volontairement exagéré qui volerait presque la vedette (tout comme la fantastique Toni Colette) à la sublime Ana De Armas, pilier central du métrage et seule confidente digne de la victime.


Porté par un amour sincère et indiscutable du genre, ingénieuse et rafraîchissante enquête sur un mystère dont on se délecte autant de déceler tous les tenants (un de ses mystères que la victime, l'écrivain Harlan Thrombey, aurait sans doute aimé, si tenté est qu'il est jamais un jour été capable d'en écrire un aussi bon), que le message social puissant qui s'enlace autour de lui, À Couteaux Tirés est une merveille de divertissement drôle, racé et intelligent, un whodunit malin, léchée et qui n'a jamais peur de se renouveler.
Une vraie pépite enthousiasmante de cette riche fin d'année ciné 2019.


Jonathan Chevrier



Plus de quarante ans ont passé depuis le décès de la grande romancière britannique Agatha Christie. Pourtant, son oeuvre continue non seulement de se vendre par centaines de milliers d’exemplaires, mais à inspirer les réalisateurs du petit et grand écran. Si À Couteaux Tirés n’est pas l’adaptation d’une oeuvre précise de la Reine du crime, il est un superbe hommage à son univers, et une déclaration d’amour au genre “Whodunnit”. 



Rian Johnson, qui a réalisé et écrit le film (oui, il existe un monde après Les Derniers Jedi, et les “fans” de Star Wars devraient apprendre à tempérer leur agressivité), avoue être un grand fan de la série Hercule Poirot, aussi bien les anciens que les nouveaux avec John Malkovich dans le rôle du détective. Ici, pas de moustache soigneusement élaborée ni d’accent franco-belge forcé comme on a pu le voir encore récemment, mais un imperméable couplé à un parlé brut du sud des États-Unis : nous avons fait la connaissance du détective Benoît Blanc, incarné avec jubilation par Daniel Craig. Son regard perçant et ses réparties cinglantes en font un excellent personnage, avec quelques gaffes qui le rendent irrésistible.
Benoît Blanc a donc été missionné par un client anonyme au manoir de Harlan Thrombey, grand auteur de polars retrouvé mort le lendemain de son anniversaire. Chaque membre de la famille d’Harlan est soupçonné, passé au crible par la police. Brillamment mis en scène, les interrogatoires dévoilent aux spectateurs les mensonges des personnages tout en posant leurs personnalités respectives en l’espace de quelques minutes. L’excellent casting renforce l’ensemble, toujours dans la pure tradition des films du genre.
L’originalité du film tient cependant à son mélange d’inspirations : Hitchcock vient se mêler à Christie, dans le décor gothique du manoir Thrombey mais aussi dans son héroïne Marta, incarnée par Ana de Armas, innocente infirmière à domicile qui se retrouve mêlée à l’enquête bien malgré elle. On la voit d’ailleurs davantage encore que Daniel Craig (dommage), puisqu’elle joue un rôle prépondérant dans l’avancée des investigations, avec des talents cachés… originaux !.




L’humour n’est d’ailleurs pas en reste dans À Couteaux Tirés, et représente un gros point fort du film. Rian Johnson jongle habilement entre les tons, passant du thriller à la comédie, à défaut de complètement tromper les spectateurs sur l’identité du coupable… Et il est tout simplement impossible de ne pas se laisser emporter dans l’histoire et l’enthousiasme évident de l’équipe du film. Un excellent moment de cinéma en somme, que l’on imagine très bien devenir une bonne série de films...


Victoire