[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #73. Maurice
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Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#73. Maurice de James Ivory (1987)
2017. Sur la scène du Dolby Theater s’avance James Ivory, 89 ans, plus vieux récipiendaire d’un Oscar, pour son adaptation du roman d’André Aciman, Call Me By Your Name. Un accomplissement personnel qui contient en son sein un écho lointain, car le film réalisé par Luca Guadagnino renvoie à une autre œuvre du cinéaste américain : Maurice. Ce film sorti en 1987 s’inscrit dans un triptyque de Ivory s’articulant autour d’adaptation de l’auteur E.M. Forster; Chambre avec vue en 1985, Howards End en 1992 et donc Maurice qui sert en liant entre les deux, puisque réalisé en 1987.
Début du XXe siècle. Maurice, un jeune bourgeois londonien, intelligent et sensible, se lie d’une tendre amitié avec un de ses condisciples, Clive. Des sentiments qui se transforment peu à peu en amour, mais dans la société victorienne, l’homosexualité, considérée comme pêché, est passible de prison. Afin de pouvoir assumer sa différence et s’épanouir enfin, Maurice devra affronter de nombreux tourments.
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30 ans avant Call Me By Your Name, James Ivory esquisse, déjà, la passion masculine, l’étincelle du sentiment, l’amour qui bouffe, qui heurte, qui disparaît. Là où le film, mettant en vedette Timothée Chalamet et Armie Hammer, se déployer comme une bulle hors du temps; Maurice se fracasse dans la rigidité d’une société anglaise réprimant la notion même de plaisir.
Éveil affectif autant que sexuel, Maurice reprend la forme du récit initiatique, dans lequel, le héros va devoir faire des choix afin de se trouver lui-même. Mais, tout du long, le film n’a de cesse de faire peser un danger, une oppression, une culpabilité sur ses personnages. Que cela soit lors d’un cours sur la fécondation, d’une lecture de texte mettant en avant la sexualité des anciennes civilisations ou un séjour à la campagne; le regard, les remarques, les gestes ne cessent de rappeler aux personnages leurs statuts, leurs anormalités, leurs déviances.
Ivory y souligne avec beaucoup de tact, comment un contexte peut modeler l’être dans sa chair et son esprit. Maurice est présenté dès le début comme un gentleman conformiste, sa pensée est corsetée par l’inflexibilité de l’époque. Sa rencontre avec Clive le chamboule dans ses certitudes, en effet, au contraire de Maurice, Clive est un libre-penseur, un brin provocateur, il aime bordéliser les mœurs comme lorsqu’il lâche à son ami un « je t’aime ».
Car, bien vite cette attirance intellectuelle qu’à Maurice pour Clive - et inversement, va se faire plus libidineuse. Un glissement sentimental qui se concrétise dans une scène bourrée de sensualité où Maurice caresse avec fébrilités les cheveux de l’homme qui l’attire, avant que Clive ne vienne l’embrasser. Un baiser qui scelle le début d’un tiraillement intime pour les personnages ; et opère un basculement, là où Maurice tient a vivre cette passion dans son entièreté, autrement dit sexuelle, Clive y préfère un amour platonique, compromis personnel qui, il le croit, le protège de tout jugement.
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Les sentiments viennent alors s’embourber dans l’âge adulte, la bulle que représenter les confortables couloirs de la faculté, laisse place aux responsabilités, aux ambitions, aux attentes d’autrui. La disgrâce d’un ami proche de Maurice et Clive entraine une remise en question de ce dernier se soldant pour une volonté d’éloignement. Un pivot, qui fait basculer le film, Maurice est désormais seul face à lui-même, il assiste au choix de vie de Clive, qui continue de cultiver à son égard une étrange amitié. Ivory délaisse les élans sentimentaux pour explorer son personnage, se soigner ? Se délivrer de ce poids qui l’exclut des autres ? Rentrer dans le rang ? Voilà les résonances internes qui traversent Maurice.
Dès lors, le film confronte Maurice à deux futurs possibles. D’un côté, celui de Clive, reniant ses aspérités profondes. Il devient ce qu’il a toujours détesté, un homme corseté par les conventions qui ne vit avec la peur du scandale. De l’autre, celui d’Alec Scudder, jeune garde-chasse, qui trouble Maurice dans la pugnacité de son approche. Il est son antithèse, simple domestique qui ne réprime en aucun cas qui il est, au contraire, il vit avec la passion qui l’habite.
C’est ici que se cache tout l’aspect récit initiatique de l’œuvre. La question qui traverse de part et d’autre le long-métrage est simple, limbique, universelle : Qui suis-je ? Maurice cherche sa place dans un microcosme englué dans la notion de castes, dans une morale réductrice, comme le souligne l’hypnotiseur que consulte Maurice « l’Angleterre n’a jamais eu beaucoup d’inclination pour accepter la nature humaine ». C’est en cela que le parcours de Maurice bouleverse; il doit pour être heureux s’assumer en reniant pour cela tout ce qu’il lui a été inculqué, s’émanciper du jugement pour finalement se perdre dans l’amour, l’irrationnel, le passionnel, l’indispensable.
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Dans son ultime scène, Clive, après une dernière discussion avec son ancien amant, rejoint sa femme. Il sait qu’à présent Maurice va vivre sans réserve l'ardeur qui l’habite envers Alec. Alors qu’il regarde par la fenêtre, il revoit le jeune homme dont il était tombé amoureux. Preuve ultime que malgré ses efforts pour rentrer dans le rang, Clive se ment à lui, son bonheur est encapsulé dans des souvenirs, là où Maurice vie le sien.
Thibaut Ciavarella