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[CRITIQUE] : Sorry we missed you


Réalisateur : Ken Loach
Acteurs : Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Britannique, Belge, Français.
Durée : 1h40min

Synopsis :
Ricky, Abby et leurs deux enfants vivent à Newcastle. Leur famille est soudée et les parents travaillent dur. Alors qu’Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile, Ricky enchaîne les jobs mal payés ; ils réalisent que jamais ils ne pourront devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. C’est maintenant ou jamais ! Une réelle opportunité semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette afin de devenir chauffeur-livreur à son compte. Mais les dérives de ce nouveau monde moderne auront des répercussions majeures sur toute la famille…



Critique :


Le cinéma social a, depuis les années 60’s, son porte parole officiel, le réalisateur britannique Ken Loach. Aĝé maintenant de quatre vingt trois ans, il a plus d’une vingtaine de films à son actif (sans compter les documentaires), deux palmes d’or et un nombre incalculable de prix en tout genre. Il filme sans concession, sans artifice et sans misérabilisme la misère dans son pays, les décisions politiques qui touchent finalement toujours la plus basse classe social. Parfois radical, ses films arrivent toujours à nous toucher (comment ne pas l’être face à tant d’injustice ?). Juger à tort de “cinéma ennuyeux comme la pluie”, Loach décide de faire un cinéma ancré dans une réalité qui nous parle, quitte à passer outre une mise en scène soignée. Ce sont les personnages qui importent, leur histoire. Pas d’artifice, pas de superflus. Trois ans après Moi, Daniel Blake, Ken Loach nous revient, avec son acolyte scénariste de toujours Paul Laverty, avec Sorry we missed you, où nous suivons une famille de Newcastle broyée petit à petit par un système en essor grâce aux nouvelles technologies, ce qu’on appelle plus communément : l’ubérisation.


Mais qu’est-ce que c’est concrètement ? Venant du nom de l’entreprise Uber, qui a en quelque sorte créé ce mouvement économique ou en tout cas, elle a permis son expansion, on appelle ubérisation le fait que le client soit directement en contact avec le professionnel via une application (ou autre), qui lui permet de savoir où en est sa commande en temps réelle. La géolocalisation, les smartphones ont bien entendu aidés, il est tellement facile de se commander à manger et de savoir exactement où est le livreur, dans quelle rue, s’il s’arrête ou non. Cela est facile pour nous, mais on ne se demande jamais de comment cela se passe de l’autre côté de la barrière.
Ken Loach s’intéresse ici à une famille middle-class de Newcastle. La mère, Abby, est aide à domicile, métier difficile où on l’oblige à avoir du recul (comme appeler ses patients “clients”) alors qu’elle est là pour les aider à se lever, manger, faire la toilette, notamment de personnes âgés ou en situation de handicap. Elle ne compte pas ses heures, malgré un emploi du temps très serré (une de ses patientes s’étonnera même de sa plage horaire de travail “ mais où sont passés les journées de huit heures” lui dira-t-elle). Le père, Ricky, vient de trouver un nouvel emploi, avec lequel il espère pouvoir enfin devenir propriétaire d’une maison et rembourser toutes leurs dettes. Il devient livreur de colis “à son compte” (les guillemets ont de l’importance).


Le camion est à sa charge, ainsi que tout colis perdus ou non remis en temps et en heure. Pas de pause toilette, une plage horaire de quatorze heure par jour, six jours sur sept. Chaque journée non travaillée est une journée perdue. Il se doit même de se trouver un remplaçant s’il se trouve dans l’incapacité de venir. Leur deux enfants, Seb et Liza, se retrouvent donc souvent seuls. Si Liza fait tout comme il faut pour que ses parents aient un vie plus simple, leur aîné, en pleine crise d’adolescence, aurait bien besoin de leur présence. La famille soudée va glisser dans un cercle vicieux, qui peut à tout moment les séparer.
Et c’est là tout le sujet de Sorry we missed you, montrer l’esclavagisme moderne, un rouage pesant sous couvert d’une liberté illusoire. Ricky, qui pensait avoir une certaine liberté grâce à son camion, s’aperçoit que le stress et les heures qui défilent l’éloignent de ses enfants, de sa femme, de son but de départ. Nous avons un portrait réaliste d’une famille, dont la société, machine à rouleau compresseur, les broie. Histoire intimiste, mais qui se veut universelle, ce qui est un peu la marque de fabrique de Ken Loach. Sorry we missed you est une descente en enfer. Si pendant les premiers instants du film, la fatigue est vite balayée par les bref moments en famille, ces rares moments d’humanité seront ruinés par l’absence, la frustration. Ken Loach nous dit que la société met péril le dernier rempart avant l’aliénation totale, même dans le titre du film, qui souligne l’absence pesante des parents, ainsi que l’avis de passage laissé à la livraison de colis.


Malgré son âge, malgré sa longue filmographie, Ken Loach est toujours aussi en colère dans une société où la temporalité se mélange. Le temps de travail prend le pas sur le temps de repos, quitte à y mettre en danger sa santé (physique et mentale), sa famille. Sorry we missed you est un film important. Il n’y a que le cinéma pour nous amener à comprendre, parce qu’il nous embarque dans un voyage émotionnel, parce qu’il montre ce qu’on ne veut parfois pas voir.


Laura Enjolvy

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