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[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #63. Amadeus

© Copyright 2002 - Warner Brothers - All Rights Reserved

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !



#63. Amadeus de Milos Forman (1984)

Il existe de ces films dont on se demande si en parler est pertinent. Car tout a été dit, mille fois. Des œuvres qui ont su traverser les décennies sans une seule ride, des films aussi beaux et percutants de nos jours qu’à leur sortie en salles. Si ce billet enfoncera des portes ouvertes, j’espère qu’il transpirera la passion et l’amour, deux mots qui définissent parfaitement mon ressenti après chaque visionnage.
Milos Forman a dû émigrer aux Etats-Unis dans les années 70’s, à cause du Printemps de Prague. Ses films, avant son émigration, étaient teintés d’anti-conformisme, car le réalisateur voulait trancher avec les films traditionnels tchécoslovaque communiste de l’époque. Malgré l’échec commercial de son premier film américain, Taking Off, Forman se fait un nom dans le Nouvel Hollywood avec Vol au-dessus d’un nid de coucou, qui lui vaut l’Oscar du meilleur réalisateur. Il est rare d’avoir un film considéré comme un chef-d’oeuvre à notre époque, avoir déjà cette étiquette au moment de sa sortie. Pourtant, le constat est là pour le troisième film américain de Milos Forman, Amadeus, qui nous intéresse ici. Oscarisé à huit reprises en 1985, le long-métrage a rapporté plus de cinquante et un millions de dollars (pour un budget de dix-huit millions). Il est vrai que Amadeus coche toutes les cases du film “oscarisable” encore valable de nos jours : il s’agit d’une adaptation d’une pièce de théâtre, d’un biopic, avec une transformation d’acteur (le vieillissement de F. Murray Abraham), d’un film d’époque (avec le lot de costumes et décors que cela requiert). Pourtant, ce genre de film n’inspire que du dédain pour les cinéphiles, montrant la vacuité de Hollywood, ses schémas tout tracés, ses codes qu’il utilise ad nauseam car si une recette fonctionne, pourquoi pas la donner à chaque fois ? Alors, pourquoi Amadeus passe à travers les mailles du filet ? Pourquoi est-ce un Grand film, celui qui nous donne des frissons, celui qui nous fait frétiller sur nos sièges, celui qui nous donne un spectacle de cinéma époustouflant, alliant la musique à l’image, dans une folie qui contient autant de génie que de passion ? Essayons d’y répondre. 


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Amadeus est le deuxième prénom d’un des compositeurs les plus connus : Mozart. C’est aussi du latin, que l’on peut traduire par “l’aimé de Dieu”. Si le film est envahi par la musique de Mozart, c’est le compositeur Antonio Salieri qui ouvre et ferme le film. Et il en sûr, Mozart est l'aimé de dieu, l'élu, celui qui amènera sa Grâce par la musique. “Pardonne, Mozart, pardonne à ton assassin” crie-t-il à la ville de Vienne, avant de tenter de se suicider. Ce monsieur, qui a consacré toute sa vie d’adulte à la musique, était le compositeur officiel de l’empereur Joseph II. Enfermé dans un hospice après avoir attenté à sa vie, il va se confier auprès d’un prêtre venu exprès voir ce qu’il en était, au vu de son accusation de meurtre. Le prêtre trouve un vieux monsieur torturé, dérangé, parlant avec flamme de musique, le cœur dévoré par la haine quand il prononce ce nom : Mozart.
Pour un homme qui a consacré sa vie à la musique, jusqu’à faire vœu de chasteté auprès de Dieu pour qui lui donne talent et opportunité, la pilule passe mal quand il s’aperçoit que sa musique est tombée dans l’oubli. Dieu l’a abandonné, au profit d’un petit homme espiègle, grivois, arrogant, passionné, alcoolique, libertin, au rire cristallin, explosif, inoubliable. Sa vie entière ressemble à une farce, son génie le détruit, son oeuvre est réduite à être jugée par des éminences qui n’ont aucune oreille musicale : sa vie comme sa musique est palpitante, vivante, excessive mais divine. Tom Hulce a su lui donner du charme, nous offrant une humanité déconcertante tant Mozart a été déifié depuis.
En face de lui, Salieri, campé par l’excellent F. Murray Abraham, est tout le contraire. Calme, déterminé, il a su se glisser dans les petits papiers de l’empereur avec sa musique au classicisme réconfortant. Un bon musicien, un excellent compositeur, qui ne marquera malheureusement jamais les esprits. Il ne montre jamais son vrai visage, que ce soit à son père, à l’empereur, à Mozart, à lui-même. Salieri n’est que secret, qu’il cache derrière un masque de tranquillité. Ce n’est que pendant sa confession, sur ces vieux jours (alors que ironiquement l’acteur porte un maquillage/masque) qu’il se laisse aller à sa haine, à son amour, à son admiration. F. Murray Abraham nous offre une prestation à couper le souffle, grandiloquente, vigoureuse, son amertume nous saute à la gorge.
Amadeus a été tourné en lumière naturelle, un exploit déjà effectué par Kubrick avec Barry Lyndon certes, mais dont on se doit d’admirer le résultat quand on sait la difficulté de tourner en pellicule. Miroslav Ondříček, le chef opérateur attitré de Milos Forman a donné vie à la ville de Vienne en filmant Prague (ville natale du réalisateur), pour des raisons pratiques (Vienne étant beaucoup trop moderne pour un film se passant au XVIIIe siècle). La musique est évidemment au centre du récit, elle nous guide. Nous invitant tout d’abord, avec la Symphonie N. 25, pendant que les flocons de neiges tombent et la tragédie de Salieri aussi, la musique ne nous quittera jamais. Si elle n’est pas présente dans un plan en son extradiégétique ou intradiégétique, les personnages parlent d’elle. Elle invoque les instants comiques, la tragédie. 


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Milos Forman découpe son récit d’une façon très classique : un retour sur les événements en flash-back avec quelques scènes dans le présent pour lier le tout. La mise en scène peine à mettre les deux personnages dans un même plan, montrant à quel point Mozart reste et restera inatteignable pour Salieri. Même à la fin, quand celui-ci pourra être témoin lui-même du génie créatif, Mozart écrivant sans le savoir son propre Requiem, ils ne seront jamais dans le même plan, séparés par un champ/contre champ net. Salieri est dans l’ombre, alors que Mozart prend de l’espace, de la lumière. Paradoxalement, Mozart meurt, emporté par des pelletés de chaux, dans une fosse impersonnelle. Et Salieri vit, se flétrit, pendant que la musique de Mozart prend de la valeur, de la popularité alors que la sienne tombe dans l’oubli le plus profond. Une malédiction de l’ombre, de la médiocrité. “Je parle pour tous les médiocres du monde. Je suis leur représentant. Je suis leur saint patron. Médiocres ou que vous soyez, je vous absous. Je vous absous.” dit-il à la fin du film, nous laissant de glace face à cette vérité frappante. Mais cette réplique laisse place au rire explosif de Mozart, qui ne lui laisse même pas l’honneur de finir le film. Fondu au noir.
Exercice impressionnant de cinéma, Amadeus restera à tout jamais un grand film. D’une vitalité qui transperce la pellicule, Forman nous donne une merveilleuse leçon d’humilité. Que sommes-nous face à l’Art, sinon des spectateurs de l’ombre, qui ne pourront uniquement transmettre oralement le génie, mais jamais y avoir accès, à part de rares chanceux ? 


Laura Enjolvy


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