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[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #15. Paris, Texas

Copyright Tamasa Distribution

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !




#15. Paris,Texas de Wim Wenders (1984)


“Le cinéma c’est la mise en image de l’espace et du temps” m’avait dit un jour un professeur de mise en scène. Et je pense sincèrement que nos chef-d'œuvres cinématographiques comprennent cette phrase. Paris, Texas en fait bien sûr parti. Réalisé par l’allemand Wim Wenders, dont c’était le dixième long-métrage, le film gagne la Palme d’Or au festival de Cannes de 1984. Une blague pour le réalisateur qui a conçu son film de la façon la plus archaïque qui soit et dont le mixage n’était même pas fini quand le festival avait débuté. Paris, Texas est intemporel. Plus de trente ans après, les images, les paysages et l’émotion restent intact. Une casquette rouge, l’immensité du désert, une vitre, un pull rose, les images, la simplicité de sa mise en scène loin du clinquant qui définit les années 80’s. Le film reste car il est ancré en nous, dans la chair. 

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Parfois, la façon dont a été crée le film est aussi intéressant que le film en lui-même. Le premier nom du projet était Transfixed, où Travis le héros du film errait dans le désert, sans papier et rentrait illégalement dans son propre pays. Wenders s’était inspiré du recueil de nouvelles Motel Chronicles de son ami, Sam Shepard qui l’aide à écrire une première version de l’histoire. Le réalisateur décide de commencer le tournage avec un scénario inachevé, certain que le film s’écrirait mieux avec des images. Mais Wim Wenders se retrouve seul (Sam Shepard étant un monsieur extrêmement occupé). Sans son co-auteur, Wenders patine un peu. Mais la vie est bien faite et les étoiles étaient alignées. Le père de l’enfant qui joue Hunter et qui se doit d’assister au tournage est scénariste Il s’appelle Lewis Minor Kit Carson. Il propose donc au réalisateur de l’aider à réécrire le film et à l’améliorer. Paris, Texas est le fruit d’un travail à six main, huit si on compte l’assistante de Wim Wenders, Claire Denis (oui c’est celle que vous croyez), qui retranscrivait chaque soir les conversations téléphonique avec Sam Shepard, qui participait quand même activement à la réécriture.

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Nous suivons donc Travis, qui parcourt le désert à pied avec un but précis. Se rendre à Paris… au Texas. N’arrivant pas à s’hydrater, il tombe dans les pommes dans une station service. Son frère vient le chercher, mais Travis refusera de prendre l’avion pour aller à Los Angeles. C’est donc par un long trajet en voiture que les deux frères se retrouvent, en silence car Travis ne sort presque aucun mot. Quatre ans les séparent. Quatre ans de disparition, laissant le fils de Travis, Hunter, à la charge de son frère Walt et de son épouse française, Anne. Ce road trip est comme une préparation psychologique pour Travis, une façon de s’acclimater à une vie de famille qu’il a longtemps mis de côté. Le spectateur qui est totalement perdu au premier abord apprend doucement l’histoire de Travis et comprend qu’il n’aura pas toutes les clefs tout de suite, qu’elles vont venir petit à petit. Nous sommes emportés par le mouvement de Travis, par ses volontés. Par sa volonté d’aller au Texas à pied pour aller rendre hommage à sa mère, originaire de la ville de Paris. Par sa volonté de traverser l’Amérique en voiture au lieu de l’avion. Par sa volonté de retrouver la mère de son fils, Jane, l’amour de sa vie. Le fil qui tient toute ses histoire est donc Travis, qui traverse ce scénario limpide et simple, merveilleusement rythmé par l’amour qui uni tous ces personnages et qui, par la simplicité de ses dialogues, en dit beaucoup plus que ce que l’on croit. 

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Si le scénario est passé par plusieurs regards, c’est bien celui de Wim Wenders qui domine dans la mise en scène. C’est avec un regard extérieur et européen qu’il filme ses grandes étendues désertes, ce rêve américain inaccessible pour les outsiders comme Travis ou Jane. Il utilise l’intime pour raconter l’Amérique, ce grand pays où nous pouvons tout perdre, l’amour, la dignité. C’est pour cela que Wim Wenders joue sur les échelles : le désert , les building, l’immense vue de l’hôtel où Hunter regarde la ville. Pourtant, c’est dans un endroit confiné que se retrouvent Travis et Jane, dans un peep-show, où les hommes vont oublier leur soucis le temps d’un numéro à travers une vitre sans tain. C’est aussi le regard du chef opérateur, Robby Müller qui vient magnifier l’histoire par les plans et les couleurs et qui donne une atmosphère unique à Paris, Texas. Une harmonie se dessine, que ce soit pour les plans du désert, avec une lumière dorée mais inconfortable ou les lumières néons qui parsèment la deuxième partie du film de rouge, de bleu et de vert. Il utilise également la lentille demi-bonnette (split focus en anglais), une lentille coupée en deux et qui permet d’avoir la mise au point à deux endroits différents dans l’image. Robby Müller l’utilise ici pour rapprocher Travis de Jane, malgré la vitre, pendant le monologue de fin et leur permet juste pour un instant de se retrouver ensemble, de ne faire qu’un. 


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Si Paris, Texas est considéré comme un chef d’oeuvre, c’est parce qu’il lie harmonieusement tous les corps de métier. Un scénario peu bavard, mais qui raconte une ancienne histoire d’amour passionnelle, même si rien ne peut être fait pour raviver la flamme. Une photographie magnifique. Des acteurs qui incarnent parfaitement leur personnage (Harry Dean Stanton donne de la tendresse à Travis, Nastassja Kinski donne de l’émotion à Jane, juste avec un regard). Une musique qui hante (la ligne de guitare de Ry Cooder). Incontestablement le plus beau, le plus émouvant, le plus intemporel des films des années 80’s. 


Laura Enjolvy