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[CRITIQUE] : Sale Temps à l'Hôtel El Royale

 

Réalisateur : Drew Goddard
Acteurs : Chris Hemsworth, Jeff Bridges, Dakota Johnson, Jon Hamm, Cynthia Erivo, Lewis Pullman, Cailee Spaeny,...
Distributeur : Twentieth Century Fox France
Budget : -
Genre : Policier, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h22min.

Synopsis :
Sept étrangers, chacun avec un secret à planquer, se retrouvent au El Royale sur les rives du lac Tahoe ; un hôtel miteux au lourd passé. Au cours d’une nuit fatidique, ils auront tous une dernière chance de se racheter… avant de prendre un aller simple pour l’enfer.



Critique :



1969. Une chanteuse, un prêtre, un vendeur et une femme dès plus mystérieuse et impolie se retrouvent à l’hôtel El Royale, célèbre pour sa construction à cheval sur deux états : la Californie et le Nevada. Tel l’hôtel Overlook, le El Royale est incroyablement désert, une invitation à de nombreuses péripéties.


10 ans avant, un homme mystérieux dans une chambre de l’hôtel, démonte le plancher pour y cacher un sac tout aussi mystérieux, avant de se faire descendre. Nous spectateur, nous voyons tout cela comme des voyeurs. Ce qui prend sens quand on découvre avec le personnage de Jon Hamm l’envers du décors du El Royal : un long couloir sombre qui donne des vues sur toutes les chambres. Plus le film avance, plus tout ce qu’on voit n’est pas la vérité. Cette vérité qui se dévoile petit à petit, prétexte à des situations de plus en plus barrées, à l’instar d’un film de Tarantino.
Derrière ce polar noir, Drew Goddard. Celui qui a réalisé La cabane dans les bois (film horrifique brillant), scénariste d’épisodes de Buffy contre les vampires (aucun besoin de présenter cette série), Lost (idem), du film Seul sur mars (de Ridley Scott) et Showrunner de Daredevil, la série Marvel. Pour son deuxième film en tant que réalisateur, il attaque avec un casting de qualité : Jeff Bridges, Dakota Johnson, Jon Hamm, Chris Hemsworth,...


Le film se scinde en 3 partie bien distincte. La première nous présente les personnages : Cynthia Erivo, Jeff Bridges, Jon Hamm et Dakota Johnson, plus Lewis Pullman, le seul et unique employé. Le choix de leur chambre est tout sauf anodin comme on peut le voir. Le vendeur veut absolument la suite nuptiale (pour soi-disant entreposer ses nombreuses affaires mais en fait, pour enquêter), le prêtre veut une chambre bien précise (pour y chercher le fameux sac), la personnage campé par Johnson veut une chambre éloignée des autres (pour y cacher la jeune fille de son coffre) et la chanteuse (qui est peut-être la plus innocente) veut juste une chambre où elle ne gênerait personne pour chanter. La deuxième partie enquête sur le passé des protagonistes, ce qui les a fait venir à ce moment au El Royale. La troisième partie est le véritable moment qui justifie le titre Sale temps à l’hôtel El Royale, la fin des apparences, là où tout se joue avec un Chris Hemsworth en bad guy.


La force du film, et ce qui le rend différent d'un polar classique, est sa propension à trouver des moments d’émotions dans le thriller. Dans le couloir, premièrement quand on écoute Cynthia Erivo chanter les Isley Brothers, ne savant pas qu’elle est épié, tout en force et en vulnérabilité. Dans la conversation entre Eviro et le faux prêtre, Jeff Bridges, qui au détour de mensonge, évoque sa maladie (véritable cette fois-ci), l’alzheimer et sa peur. Ou Johnson, qui laisse tomber sa carapace quand elle sent sa soeur lui échapper, sous la coupe du gourou Hemsworth. Ce contrepoint entre les séquences totalement barrées et celles, plus posées qui montrent la vulnérabilité est la force du film.


Loin d’être anodine, l’année d’action du film est mise comme une métaphore sur tout ce qui se passe. Les Etats-Unis de 1969 symbolise la fin du rêve : la conquête de la lune est juste une gueguerre entre pays pour savoir qui a la plus grosse … fusée, la guerre du Vietnam n’a aucun sens et tue des millions d’hommes, Charles Manson sévit à Los Angeles. Finit la grandeur de L’Amérique, bonjour la désillusion, la méfiance et la peur. Sale temps à l’hôtel El Royale prend tout ce contexte, mais n’en fait pas plus qu’un arrière fond avec ce mystérieux enregistrement choquant.
Grâce à sa magnifique mise en scène fluide, à ses dialogues savoureux et son côté pulp théâtrale old school, Sale temps à l’hôtel El Royale est un film jouissif et étonnement émouvant. Mais juste pour prévenir : ne prenez surtout pas de chambre au El Royale !


Laura Enjolvy 



Scénariste émérite pas forcément célébré à sa juste valeur, considéré un brin à tort comme le simple lieutenant de J.J. Abrams (Alias, Lost, Cloverfield) et Joss Whedon (Buffy contre les Vampires, Angel), Drew Goddard, pas aidé par les aléas cruels d'Hollywood (les projets mort-nés Sinister Six et Robocalypse de Spielberg), est avant tout et surtout une fine plume que l'on s'arrache (la série Daredevil, Seul sur Mars, World War Z) et un grand cinéaste en devenir.
Pour preuve son premier essai, La Cabane dans les Bois, détournement expérimental et en bon et dû forme du genre horrifique, brouillant gentiment les frontières du réel pour mieux offrir à son auditoire un jouissif survival horrifique et manipulateur.


Une petite claque méta comme on en voit que trop peu, tout simplement.
Quatre piges plus tard, et toujours avec le (très) charismatique Chris Hemsworth en vedette, il nous revient encore plus ambitieux avec Sale Temps à l'Hôtel El Royale, thriller férocement old school et théâtrale citant directement le récent - et brillant - Les Huit Salopards de Quentin Tarantino (même si Goddard lui, digère ses références pour mieux s'en éloigner là où QT se les réapproprie avec la même maestria), avec son habile jeu des faux-semblants tant les personnages, tout comme l'hôtel (jadis reconnu, et qui à sa propre personnalité et ses propres secrets), ne semblent jamais réellement ressembler à ce qu'ils prétendent être.
Polar noir (très noir même) à la lisière du huis clos voyeuriste littéralement barré, Bad Times at The El Royale a tout de la mise en images d'un fantasme de cinéphile pour Goddard, un diorama astucieux et référencée complètement tordue et qui, justement (comme La Cabane dans les Bois), s'amuse à tordre les conventions dans un sommet de tension à la moralité passablement fracturée et irréparable; tout comme l'Amérique de 1969, dont le contexte politique bouillant et remplit de désillusion, laissait sa population se réveiller durement d'un (faux) rêve à la gueule de bois quasi apocalyptique (la gouvernance de Nixon, la guerre du Vietnam, les émeutes de Stonewall, la conquête spatiale, la guerre froide, Woodstock,...).


Digérant subtilement le contexte de son époque - sans pour autant pleinement affirmer un quelconque statut politique -, mélangeant les genres avec une ambition folle, le film expose gentiment mais surement ses enjeux (tout autant qu'il prend son temps pour laisser exploser les secrets de chacun avant de les lier dans le chaos le plus complet) et prend son temps pour mettre en place sa lente et implacable plongée dans les entrailles d'un enfer coloré qui n'aura de cesse de déstabiliser et de faire douter son auditoire dans un flux de tension sourde, constamment sous ébullition (et bien aidé par la partition palpitante et " Carpenter-esque " de Michael Giacchino) jusqu'au point de non-retour franchit lors du dernier tiers, avec l'arrivée tonitruante d'un Chris Hemsworth hypnotique - et au déhanché de serpent venimeux - en chef de culte hippie (sans doute la partie la moins maitrisée du métrage).
Délirant et surprenant dans tous les sens du terme avec sa multitude de perspectives d'événements gravitant autour d'une seule et même nuit sauvage, le cauchemar imaginé par Goddard, dont l'affection pour ses personnages transpire de tous les pores de la pellicule, se voit judicieusement paré de dialogues savoureux, et le metteur en scène ouvre même volontairement le champ des possibles autant via son écriture que sa direction d'acteurs, pour des interprétations inédites de sa riche distribution : Chris Hemsworth et Jeff Bridges en tête, même s'il est impossible de ne pas mentionner le (gros) potentiel de scenes stealers à la fois de Cynthia Erivo (parfaite, et dont la voix fantastique fout réellement des frissons) et de Lewis Pullman (attachant).


Oppressant, vertigineux et (très) drôle, porté par une mise en scène très théâtrale de la violence et du suspense, mais également par une densité thématique impressionnante et une esthétique rétro-glam fantastique (immense travail de précision signé Martin Whist ), Sale Temps à l'Hôtel El Royale est une expérience de cinéma captivante et pulp, un thriller noir certes un poil trop familier pour les amoureux du genre, mais dont le coeur immense qui s'en dégage n'aura pas de mal à en séduire plus d'un - voire même tout le monde.


Jonathan Chevrier

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