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[CRITIQUE/RESSORTIE] : L'Anglaise et le Duc



Réalisateur : Éric Rohmer
Acteurs : Lucy Russell, Jean-Claude Dreyfus, Rosette, Alain Libolt,...
Distributeur : Solaris Distribution / Pathé Films
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Français.
Durée : 2h09min.

Date de sortie : 5 septembre 2001
Date de ressortie : 12 novembre 2025

Synopsis :
Sous la Révolution, la vie périlleuse d’une belle anglaise royaliste résidant en France et ses relations, tantôt tendres, tantôt orageuses, avec le duc d’Orléans, cousin de Louis XVI, mais acquis aux idées révolutionnaires. Elle parvient à le persuader de l’aider à sauver un proscrit, mais non à le dissuader de voter la mort du roi.

D’après le récit Journal de ma vie durant la Révolution française de Grace Elliott.





Il y a quelque chose de profondément rassurant dans le fait que de nombreux cinéastes, même au crépuscule de leurs existences, continuent encore et toujours à tourner, continuent d'avoir quelque chose de pertinent et important à dire sur notre société contemporaine, continuent à avoir la même envie simple de nous conter des histoires - fictionnelles ou non -, mais surtout qui continuent d'avoir une pure et sincère envie de cinéma, qui dépasse fièrement les limites du temps et de l'âge.

Au crépuscule de sa foisonnante filmographie, feu Éric Rohmer, 81 ans au compteur et une caméra alors encore en verve (il enchaînera quelques temps plus tard, avec Triple Agent et le magistral Les Amours d'Astrée et de Céladon), démontrait qu'il n'était décemment pas assez vieux pour ces conneries - loin de là même -, en adaptant les mémoires de l'aristocrate écossaise du XVIIIème siècle, Grace Elliott (Journal de ma vie durant la Révolution Française, publié à titre posthume, une adaptation cela dit partielle tant Rohmer recentre le récit autour de la relation d'Elliott avec le duc d'Orléans), avec L'anglaise et le Duc, où le bonhomme s'appuyait sur la description littéraire saisissante de la Révolution française, pour défier, tout comme son auteure, la vérité du récit populaire par le prisme de l'art.

Une auscultation - à la narration épisodique - de l'histoire avec un grand H d'un point de vue contre-révolutionnaire, qui ne dénote pas de ses précédents fictions historiques - La Marquise d'O... et Perceval le Gallois -, tant elle apparaît même cohérente avec toute sa filmographie et le prisme même de son approche cinématographique, lui qui n'a jamais cherché à s'imposer comme un père la morale qui juge où condamne la réalité ou même ses personnages : il les expose tels qu'ils sont, au plus près de leurs ambiguïtés, dans un réel souci de curiosité - presque innocente - comme de compréhension.
Rohmer provoque donc, intelligemment et sainement, mais surtout observe, décortique, questionne la réalité tout autant que la cruauté derrière le prix de la liberté et de l'égalité, au point de rendre empathique des figures aristocrates sans pour autant que l'on soit partisan de leurs idéologies.

L'ouverture d'esprit dans ce qu'elle a de plus pure, délicate et simple, ici encapsulée dans la beauté du verbe mais aussi la beauté des images (la réflexion philosophie et l'effort esthétique s'entremêlent sans écraser jamais l'autre), où de véritables peintures vivantes viennent enrichir subtilement comme psychologiquement (même avec un bricolage numérique certes pas toujoues heureux), l'univers des personnages et de leurs existences; viennent formellement illustrer le changement radical et implacable que le bouleversement humain et social de la Révolution a imposé à toute une nation et, dans le même mouvement, à l'art et son expression.

Pour renouer avec la vérité et la comprendre, Rohmer la réinvente de manière enjouée, théâtrale mais surtout sans filtre : face à l'inhumanité sanglante éclaboussant les traits lumineux du tableau de la liberté, les petites histoires au second plan sont toutes aussi importantes que celles que l'on placent au premier.
Une merveille d'intelligence et de créativité, rien de moins.


Jonathan Chevrier