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[CRITIQUE] : Deux Procureurs


Réalisateur : Sergei Loznitsa
Avec : Aleksandr Kuznetsov, Aleksandr Filippenko, Anatoliy Belyy, Andris Keišs,...
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Français, Allemand, Hollandais, Letton, Roumain, Lituanien, Ukrainien.
Durée : 1h58min.

Synopsis :
Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur général à Moscou. A l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.





Sergei Loznitsa, l'un des esprits les plus vifs du cinéma contemporain et auteur des examens cinématographiques les plus complets de l'histoire ukrainienne (son monumental L'Invasion, passé quelques temps sur la plateforme de la chaîne Arte, a enfin atteint les salles le mois dernier), renoue enfin avec la fiction pure et dure, sept après Donbass, tout en traversant la frontière pour s'attaquer cette fois à l'histoire russe de l'intérieur - en adaptant une nouvelle du physicien et prisonnier politique Georgy Demidov, écrite en 1969 mais publiée quarante ans plus tard apres avoir été saisie par le KGB.

Copyright Pyramide Distribution

Très vite et sans le moindre équivoque, Deux Procureurs s'affirme comme un exposé lapidaire et amère à l'humour misanthrope (dans sa seconde moitié tout du moins), sur la violence arbitraire comme l'inhumanité du stalinisme où le cinéaste observe et analyse l'histoire pour mieux la recracher d'une manière rigoureuse et géométrique (exit la caméra à l'épaule et le Scope, bonjour à une mise en scène plus distancé mais pas moins claustrophobique dans ses effets cimme dans ses longs plans fixes), ne laissant ainsi absolument aucune place à la rédemption, et encore moins à l'espoir.

Flanqué à l'aube de la Seconde Guerre mondiale - 1937 - et en pleine vague de purges, au plus près de la quête de justice d'un jeune procureur bolchévique chevronné et intègre, Alexander Kornev, décidé à sauver un prisonnier victime de la NKVD et à se confronter à l’imposante mécanique bureaucratique stalinienne; la narration (très) linéaire fait totalement de l'horreur d'un système implacable et tentaculaire son sujet, la laisse errer tel un fantôme (le spectre soviétique, qui a in fine toujours nourrit le cinéma de son auteur) et se développer à ses côtés, pourrissant le moindre élan d'un semblant d'humanité dans une indifférence glaciale - à l'image de son univers carcéral anxiogène -, avant de l'enfermer entre quatre murs profondément étroits où toute idée de résistance est à la fois naïve et impossible (il ne fait aucun doute que son héros, par sa quête et le cadre où il la mène, ne peut avoir qu'une destinée à l'issue tragique).

Copyright Pyramide Distribution

Sans doute un poil trop étiré pour son bien, certes, Deux Procureurs n'en reste pas moins un fascinant et prenant thriller politico-Kafkaïen sous tension où Loznitsa prend son temps (quitte à, sans doute, laisser plus d'un spectateur sur le carreau) pour décortiquer simplement mais pas sans complexité ni psychologie profonde, le mécanisme tortueux du régime soviétique qui, à de nombreux égards, fait douloureusement écho à l'état du monde contemporain.


Jonathan Chevrier