[FUCKING SERIES] : Des vivants : se réparer après l'enfer du 13 novembre
(Critique - avec spoilers - de la série)
On serait tenté de parler immédiatement de résilience pour évoquer les protagonistes de la série Des vivants, mais ces derniers rejettent profondément ce terme. Nous ne l'utiliserons donc pas ici, au moins c'est dit. Les membres de la bande des Potages (contraction entre « potes » et « otages ») se réunissent régulièrement, tant pour rire autour d'un verre et chanter ensemble que pour partager leurs traumatismes. Et pas n'importe quel traumatisme : Arnaud, Marie, David, Caroline, Grégory, Stéphane et Sébastien se sont connus le 13 novembre 2015 au Bataclan, où ils ont été retenus en otage dans un couloir à l'étage par deux terroristes.
Comme le souligne Emmanuel Carrère dans V13 (une excellente chronique judiciaire qui sera évoquée dans les dernières minutes de la série), toutes ces victimes qui sont encore là et peuvent parler de ce qu'elles ont vécu sont perçues comme des figures héroïques aux yeux de tous. Pourtant, la plupart d'entre elles ne se voient pas de cette manière. Comment aborder leur histoire tout en tenant compte de leurs ressentis ? Comment évoquer leur héroïsme quotidien, leur manière de survivre et de se reconstruire ? Les ressentis sont multiples, se côtoient, se bousculent, et parfois se contredisent. Ce constat rejoint les enjeux centraux de la série Des vivants. Comment parler du Bataclan ? De l'horreur pendant et après les attentats ? A quel degré ?
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On peut aussi aborder la controverse entourant le tournage. Les scènes de flashback se déroulant la nuit du 13 novembre, distillées comme des pièces d'un puzzle à reconstituer afin de surmonter le traumatisme, ont été filmées dans la fameuse salle parisienne. Certains y voient un manque de respect envers les victimes, tandis que d'autres estiment qu'il est essentiel de rendre cette vérité visuelle accessible à tous, afin que ceux qui n'y étaient pas prennent conscience de ce que personne ne peut imaginer. Il faut admettre que la violence et la peur ressenties dans cet étroit couloir surgissent parfaitement à l'écran, remuant le spectateur. Le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade ainsi que certains membres des Potages expliquent dans diverses interviews qu'ils refusent de sanctuariser le Bataclan, qui doit aussi rester un lieu de vie.
Malgré toutes ces interrogations et ces débats autour de la série, Des vivants est une pure réussite, commémorant avec justesse les dix ans des attentats. Jean-Xavier de Lestrade, qui avait récemment réalisé la série Sambre, est le réalisateur idéal pour traiter un sujet aussi douloureux. Il oscille habilement entre fiction et approche documentaire, mettant en lumière des gens ordinaires face à une souffrance dantesque. Son talen réside dans sa capacité à éviter l'indécence et le voyeurisme. La douleur traverse les personnages sans jamais être exhibée de manière excessive. Les cicatrices sont bien présentes mais Lestrade filme aussi avec une grande honnêteté des femmes et des hommes qui se relèvent au fil des huit épisodes se déroulant entre 2015 et 2021. Le proverbe dit qu'il faut du temps pour guérir de ses blessures, et c'est exactement ce que raconte Des vivants, même si les personnages n'en guériront jamais complètement. Arnaud, Marie et les autres iront mieux grâce à leur solidarité, traversant ensemble l'enfer après l'enfer.
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Ancien documentariste, Lestrade parvient à transcrire avec une exactitude désarmante les émotions les plus profondes des personnages. Les vrais potages, qui font d'ailleurs des caméos à tour de rôle, ont partagé avec Lestrade et son coscénariste Antoine Lacomblez, pendant deux ans, tout ce qu'ils ont vécu après le Bataclan et ont donné leur accord pour que leurs histoires soient racontées sur France Télévisions. Avec pudeur, tout sonne terriblement vrai, que ce soit dans leurs moments de souffrance, parfois à travers des détails qui semblent banals (comme la perte des affaires laissées dans la salle de spectacle ou confisquées par la police) ou dans des aspects plus intimes (couple, désir d'enfant, gestion des enfants, sexualité). Mais aussi dans les instants de joie car la vie continue aussi, même si elle a été bouleversée, que les plans ont changé et que l'on voit forcément les choses différemment.
Il fallait une distribution de qualité pour incarner ces personnages touchants. Parmi les comédiens les plus connus du grand public, on retrouve les excellents Benjamin Lavernhe et Alix Poisson qui forment le couple Arnaud et Marie. Mariés, cela ne les empêche pas d'éprouver des sentiments contraires face à cette tragédie : Arnaud, sorti en dernier de ce couloir et sonné par l'explosion des terroristes, sombre dans une profonde dépression, tandis que Marie, dans le déni, cherche refuge dans une apparente gaieté. David Fritz Goeppinger, souvent présent dans les médias pour parler de son expérience (il a notamment publié Il fallait vivre en octobre dernier), est remarquablement incarné par Thomas Goldberg. N'oublions pas non plus les autres Potages, comme Antoine Reinartz et Anne Stefens, qui jouent avec pudeur le duo d'amis Grégory et Caroline, ou Félix Moati, convaincant dans le rôle de Sébastien, qui exprime ses tourments mêlant colère et impulsivité. Enfin, l'acteur belge Cédric Eeckhout incarne un Stéphane attachant et fédérateur.
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Grâce à sa structure chorale, Des vivants est une série bouleversante qui saisit avec finesse la profondeur des émotions individuelles face à un traumatisme collectif. Elle nous rappelle qu'au cœur de l'obscurité, une lueur d'espoir existe, mise en lumière par l'amitié et la solidarité. Malgré la gravité de son sujet, la série parvient à être captivante et jamais pesante pour le spectateur, suscitant une profonde empathie envers ses personnages.









