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[CRITIQUE] : Frankenstein


Réalisateur : Guillermo Del Toro
Avec : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Christoph Waltz, Charles Dance,…
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame, Épouvante-Horreur, Science-fiction, Fantastique.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h30min.

Synopsis :
Le réalisateur oscarisé Guillermo del Toro adapte le roman classique de Mary Shelley sur Victor Frankenstein, un scientifique brillant mais égocentrique qui donne vie à une créature lors d'une expérience monstrueuse, menant finalement à la perte du créateur comme de sa tragique création.





C'était la question à un million de dollars (enfin plus, tant le budget alloué par la firme au Toudoum doit compter quelques zéros de plus), que pouvait apporter la poésie du cinéma de Guillermo Del Toro à l'œuvre imposante de Mary Shelley, transposée (et pillée) un nombre incalculable de fois.
La réponse se trouvait pourtant, au coeur même de la question : que pouvait bien ne pas apporter le papa du Labyrinthe de Pan à l'œuvre originale, lui dont la filmographie n'a été qu'un hommage vibrant aux figures tragiques et monstrueuses, dans des oeuvres embrassant fougueusement un surnaturel aussi complexe que sincère.

Après tout, James Whale et son propre Frankenstein, sommet d'horreur gothique rarement inégalé (sauf par lui-même et son fantastique La Fiancée de Frankenstein), a toujours été l'un des marqueurs les plus importants de ses inspirations, l'idée alors de s'inscrire pour de bon dans son ombre était d'exorcisme ainsi toutes ses obsessions, était aussi juste qu'évidente, lui permettant en plus d'encore un peu plus le sillon d'une frange personnelle de sa filmographie récente, déjà introduite par son magnifique Pinocchio, où la création de l'humble scultpeur Gepetto (qui était finalement tout autant le héros de l'histoire que sa création), n'était pas tant une entreprise pleine d'amour que le fruit Frankenstein-esque d'une nuit d'ivresse où le chagrin de la perte d'un fils à la guerre, l'avait fait créer la vie à partir d'un morceau de pin.

Copyright Netflix

Et, dans le même mouvement, ce petit garçon de bois n'était pas non plus l'incarnation parfaite et mélancolique du souvenir d'un enfant perdu, mais bien un petit être téméraire et impulsif, intérieurement et physiquement imparfait, brut et inachevé, un " monstre " comme les aimait le cinéaste, dont il allait en extraire la beauté dans la maladresse et l'aspect chaotique de ses gestes et de ses interrogations au coeur d'un monde peut-être encore plus anarchique que lui.
Son Frankenstein s'inscrit sans encombre dans la même lignée, tant Del Toro prend au pied de la lettre le mot " adaptation " pour mieux irriguer sa narration des thèmes qui lui sont chers (des traumatismes infantiles à une mort omniprésente, en passant par la rencontre sublime et fantastique entre l'humanité et la monstruosité, l'affirmation doukoureuse de l'anormalité comme l'opposition à la figure paternelle), tout en bouclant une sorte de boucle créative où il rend hommage à l'un des totems de son imagination fertile, le façonne à son image tout en lui apportant quelques élans de modernité essentiels (quitte à atténuer la complexité philosophique et psychologique de l'œuvre de Shelley, voire à se perdre dans une première moitié un poil trop longue pour son bien).

Notamment dans une inversion logique du rapport de force entre les personnages titres (où l'importance salutaire offerte à Elizabeth, véritable miroir du monstre, qui aurait peut-être pu avoir ici un chapitre rien qu'à elle), pour mieux prendre le point de vue du monstre et non celui de son créateur au parcours méphistophélique (lancé qu'il est dans une odyssée de descente puis de retour des enfers de l'inhumanité et l'immoralité la plus absolue, moins dans une quête arrogante de vouloir tromper la mort tel un cerveau divin, que de se confronter de plein fouet à sa haine freudienne envers son géniteur pour mieux devenir, à son tour, un horrible père), qu'il rend progressivement beau à travers une " trahison " iconographique pour le coup assez bien pensée, tant elle appuie sa vision totalement John Miltonienne de la créature de Shelley (un maquillage évolutif et nuancé, qui la fait passer de sauvage et bestiale à plus humaine), sans pour autant ignorer la brutalité de ses excès de violence (qui répond autant à celle de son père/créateur, qu'à la colère inévitable et implacable d'un monde profondément cruel).

Copyright Netflix

Opéra baroque et sanglant à la morbidité fascinante et aux silences sublimés, un véritable cabinet des horreurs théâtral et spectaculaire à l'atmosphère sombre et romantique, fidèle juste ce qu'il faut à son materiau d'origine (notamment dans sa structure), le tout sous fond de culpabilité, de mégalomanie démesurée et d'immortalité, au plus près d'une " âme " privée tout autant d'une existence digne que d'une mort rédemptrice; Frankenstein cuvée 2025 apparaît néanmoins moins comme un film somme (ce qu'était, peut-être, bien plus The Shape of Water) d'un faiseur de rêves qui boucle sa propre boucle, qu'une énième déclinaison d'une poétique déjà largement explorée et qui, de facto, apparaît un brin affaiblie par un jeu des comparaison moins putassier que pertinent avec ses précédents efforts (dont la liberté n'était pas forcément entravée par un matériau source aussi imposant).

Horreur et hommage ne fusionnent pas toujours dans un élan harmonieux (comme dans cette voix off qui accompagne moins le récit qu'elle se fait souvent pesante, à l'image même du score Morriconesque de Desplat, ou encore cette tendance à jouer d'une écriture sur-explicative, parfois jusqu'à l'excès) mais la balade n'en reste pas moins mélancolique et incroyable, définitivement beaucoup trop belle pour être enfermée entre les quatre coins d'un petit écran.


Jonathan Chevrier