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[SƎANCES FANTASTIQUES] : #96. Gipeun bam gabjagi

© 2022 Carlotta Films


Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'œuvres de la Hammer que des pépites du cinéma bis transalpin, en passant par les slashers des 70's/80's (et même les plus récents); mais surtout montrer un brin la richesse des cinémas fantastiques et horrifiques aussi abondants qu'ils sont passionnants à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture de nos billets !



#96. Soudain dans la nuit de Ko Young-nam (1981)



Avant que sa popularité à l'international n'explose à partir des années 2000, le cinéma sud-coréen demeurait discret et, aujourd'hui encore, son patrimoine reste largement méconnu en comparaison, notamment, de celui de son voisin nippon. On y déniche pourtant des trouvailles en tout genre, comme le thriller d'horreur érotique Soudain dans la nuit, qui n'a rien à envier à ses homologues japonais de l'époque. La protagoniste principale, Seon-hee, est une femme au foyer qui élève sa jeune fille tandis que son époux lépidoptériste s'absente régulièrement pour traquer des papillons rares. La descente aux enfers commence pour elle le jour où la photo d'une étrange poupée se glisse par erreur parmi les clichés que sont mari a rapportés de ses excursions. Dès lors, l'image de l'idole, qu'elle pense malfaisante, se met à l'obséder et lui paraît la poursuivre.

Une menace beaucoup plus prégnante, néanmoins, ne tarde pas à s'immiscer dans sa vie lorsque son époux lui présente Mi-ok, une fille de shamane qu'il a recueillie et propose d'engager comme domestique. Celle-ci se révélant la propriétaire de la poupée aperçue en photo, Seon-hee se met dès lors à soupçonner une liaison qui aurait lieu sous son toit même, et en vient même à suspecter que l'on cherche à attenter à sa vie.

© 2022 Carlotta Films

Cette trame adultérine ne peut que rappeler La Servante de Kim Ki-young, d'autant que la fauteuse de trouble de ce classique partage avec Mi-ok une apparence de beauté juvénile mais simplette. L'élément fantastique, de son côté, n'est pas traité ici avec une grande originalité, que ce soit dans le récit ou les effets. Néanmoins, c'est dans la dualité de la menace, à la fois réelle (la maîtresse) et surnaturelle (la poupée) que Soudain dans la nuit trouve sa singularité.
En effet, comme dans tout film d'horreur à héroïne féminine qui se respecte, la santé mentale de Seon-hee va rapidement être mise en cause par ses proches. Dans ce contexte, ses craintes d'ordre ésotérique vont contribuer à décrédibiliser ses angoisses plus rationnelles, pour pouvoir aisément les faire passer sur le compte de la paranoïa, que cette minimisation du problème soit de bonne foi... ou une tentative stratégique de manipulation.

On pense ici à des films comme La Vengeance de Lady Morgan ou Le Spectre du Professeur Hitchcock, où l'on est amenés à se demander si les visions des personnages féminins relèvent de l'hallucination, de l'apparition surnaturelle ou d'une machination de l'entourage. Cependant, le fait que l'aura malsaine de la poupée précède toute autre source d'inquiétude (si ce n'est celle du couple qui s'effrite) change subtilement la donne ici.
Ainsi, que l'adultère soit factuel ou imaginé, que les intentions de Mi-ok soient meurtrières ou innocentes, l'influence d'une entité hostile précède ce conflit humain et, potentiellement, le dépasse. Obéit-elle à la servante, lui échappe-t-elle, la contrôle-t-elle ? A moins que, jouant avec les nerfs de Seon-hee, elle ne fasse que façonner l'illusion d'une adversité entre les deux femmes. Dans cette équation, ce sont potentiellement trois camps différents qui se dessinent.

© 2022 Carlotta Films

Quoi qu'il en soit, les visions provoquées par la poupée ponctuent la mise en scène de façon plus ou moins heureuse. Tandis qu'elles donnent lieu à des tableaux érotiques kaléidoscopiques assez réussis, les apparitions horrifiques sont accompagnées d'effets sonores relativement kitsch qui ne manqueront pas de faire sourire. S'ils empêchent de vraiment prendre le film au sérieux, peut-être cela lui est-il finalement bénéfique en lui conférant un charme rétro. 
En retrait pendant une partie de l'intrigue, le fantastique revient en force dans le dernier acte. C'est l'occasion pour Ko Young-nam de déployer une ultime fois toutes ses idées formelles dans un bouquet final où l'atmosphère paranoïaque le cède finalement à une ambiance résolument sombre et violente (qui cite d'ailleurs un plan célèbre de Shining). Ce virage assumé inscrit sans ambiguïté le film du côté de l'horreur, bien qu'il ne faille pas s'attendre à frissonner à proprement parler.

En somme, bien que son scénario s'appuie sur des ressors déjà éprouvés, Soudain dans la nuit arrive néanmoins à les agencer de manière efficace. Le fond de thriller psychologique, un peu faible par lui-même, est ainsi relevé par les notes d'érotisme et d'horreur qui permettent à Ko Young-nam de se montrer plus aventureux dans sa mise en scène. La conjugaison d'influences diverses, qui aurait pu accoucher d'une œuvre difforme, trouve ici un bel équilibre qui mérite qu'on s'y arrête.


Lila Gaius