[CRITIQUE] : L'Étranger
Réalisateur : François Ozon
Acteurs : Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin, Denis Lavant,...
Distributeur : Gaumont Distribution
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Belge, Marocain.
Durée : 2h00min.
Synopsis :
Alger, 1938. Meursault, un jeune homme d’une trentaine d’années, modeste employé, enterre sa mère sans manifester la moindre émotion. Le lendemain, il entame une liaison avec Marie, une collègue de bureau. Puis il reprend sa vie de tous les jours. Mais son voisin, Raymond Sintès vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des histoires louches jusqu’à un drame sur une plage, sous un soleil de plomb...
Adaptation de L’Étranger d’Albert Camus.
La question est un brin triviale, mais en même temps, assez logique : pouvons-nous citer, sur les deux, trois dernières décennies (vingt-quatre films en vingt-sept ans, ça en impose gentiment), un cinéaste français à la filmographie aussi éclectique et hétérogène que celle de François Ozon, dont la palette styliste et artistique s'est exprimée de la plus étonnante des manières au coeur d'œuvres goût aussi drôles qu'émouvantes, voguant entre des réflexions autobiographiques - voire autoréférentielles -, méta-cinématographique où encore sociétales (dont un penchant pour disséquer les atermoiements de la bourgeoisie bien de chez nous), toujours avec dans l'idée de confronter son auditoire à la réalité, à la vérité du présent même lorsqu'il se laisse aller à des œuvres d'époques.
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| Copyright Carole Bethuel - FOZ - GAUMONT - FRANCE 2 CINEMA |
Un cinéaste paradoxalement imprévisible mais toujours ancré dans un contexte bien précis et familier, un auteur qui réfute toute idée de rigidité cinématographique et artistique, quitte à parfois foncer dans le mur et/où tutoyer la magie du septième art comme peu en son capable.
Pas étonnant dès lors, puisque l'imprévisibilité est son crédo, de le voir s'attaquer à l'un des plus imposants monuments littéraires du XXe siècle, L'Étranger d'Albert Camus, oeuvre existentialiste aussi sombre que tentaculaire appelée pourtant à inéluctablement l'écraser, à l'instar d'un maître Luchino Visconti qui s'y était cassé les dents dans son adaptation un poil trop illustrative, à la fin des 60's.
Mais dans son exploration fascinée de l'apathique Mersault, dont le détachement émotionnel et l'indifférence totale à la vie le mène à commettre froidement l'irréparable (un Benjamin Voisin absolument renversant), Ozon, conscient de ne pas pouvoir pleinement se confronter à l'abîme socio-psychopathologique du vide existentiel au coeur même de l'oeuvre de Camus (mais aussi d'opérer la même structure illustrative, certes plus subtile ici, que Visconti), se démène néanmoins comme un beau diable, lui dont la rigueur de la mise en scène à la fois distancée émotionnellement et lascive (le film est embaumé dans le magnifique noir et blanc de la photographie léchée de Manuel Dacosse), instaure une tension aussi menaçante que séduisante, pilier majeur de son étude fataliste et radicale de figures marquées par la violence, les dérives bourgeoises, la xénophobie et la répression du régime colonial.
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Tirant sa force comme, paradoxalement, une certaine faiblesse d'un dévouement sans phare au - définitif - matériau d'origine, à laquelle il offre une légère contemporanéité essentielle (que ce soit dans sa mise en avant plus affirmée des personnages féminins, où dans sa représentation férocement amère du passé colonial français), L'Étranger se fait tout du long un film de couleurs et de sensations, une plongée sensuelle, épurée et sans émotion (dans tous les sans du terme) dans un monde qui en est radicalement dénué.
Quand Ozon ose, le pari est souvent payant.
Jonathan Chevrier








