[CRITIQUE/RESSORTIE] : Cycle Kenji Misumi - La Lame à l'œil
Cycle Kenji Misumi - La Lame à l'œil, composée de quatre films : Zatoichi : Le masseur aveugle (1962), Tuer ! (1962), Le Sabre (1964) et La Lame diabolique (1965).
Distribution : The Jokers Films
Quelques semaines après une fin d'été particulièrement bouillante pour les amateurs de cinéma de patrimoine nippon, qui aura vu The Jokers Films dégainer un cycle Yasuzô Masumura aux petits oignons (l'extase et l'agonie en 6 films, composée de six films en versions restaurées 4K : Passion, La Femme de Seisaku L'Ange rouge, Tatouage, La Femme du docteur Hanaoka et La Bête aveugle), là où Carlotta Films ressortait une version toute pimpante de Entre le ciel et l'enfer de Kurosawa; The Jokers Films toujours, remet le couvert pour que l'automne démarre sous les meilleurs auspices avec un cycle spécial Kenji Misumi, orfèvre tout aussi excessivement prolifique que méchamment méconnu de la « nouvelle vague » de l'industrie du pays du soleil levant, parti définitivement trop tôt (il est mort d'épuisement à l'âge de 54 ans, après avoir chapeauté pas moins de 67 films en à peine deux décennies... Woody Allen peut aller se rhabiller).
Quatre œuvres comme autant de preuve du talent avéré de celui qui est considéré comme l'un des maîtres du chanbara/film de sabre japonais, là ou sa filmographie ne se limite pourtant pas qu'aux simples embardées violentes et sanglantes de Zatoichi et Itto Ogami : Zatoichi : Le masseur aveugle (1962), Tuer ! (1962), Le Sabre (1964) et La Lame diabolique (1965).
Quatre exemples parfait pointant la maîtrise formelle incroyable de son cinéma, que ce soit de sa gestion du montage à son utilisation folle de l'espace et même de la physicalité de ses comédiens/comédiennes, tant tout se passe à travers leurs gestes mais aussi et surtout leurs regards, reflet d'un « au-delà » continuellement hors champ et d'une spiritualité infini et fascinante, une dimension alternative dans laquelle les protagonistes tentent de se projeter pour mieux échapper à une destinée embaumée par la brutale et la mort, une destinée labyrinthique et tragique où le bonheur comme la paix intérieure, est fugace.
Introduction à la fois brutale et toute en mélancolie à la vaste saga éponyme, qui pose les bases de ce qui sera l'une des franchises les plus imposantes du septième art (26 films, l'équivalent nippon de James Bond), Zatoichi : Le masseur aveugle, dont l'intrigue simple (mais point simpliste, dans son exploration un poil plus complexe de l'affrontement conventionnel entre le bien et le mal) et épurée n'a d'égale que la mise en scène méticuleuse de Misumi, au classicisme assumé (jusque dans son magnifique et contrasté noir et blanc), vissé sur les aternoiements du sabreur aveugle aussi roublard et calme que malicieux éponyme, capable de manier l'art de l’iaido comme personne grâce à ses sens sur-développés.
Avec une sobriété qui tranche (sabre, tranche : tu l'as ?) gentiment avec les envolées baroques et son bis de ses futures films Baby Cart, à tel point que les oripeaux du chanbara semble totalement au second plan (Misumi privilégie même la carte de l'humour), le film mise sur des empoignades musclées rares mais intenses, symbole d'un guerrier humble et digne pourtant capable d'écharper son prochain comme une bête sauvage.
Une excellente mise en bouche aux trois opus suivant de ce cycle, la trilogie de la lame qui décompose la figure comme l'image traditionnelle du samouraï d'une manière à la fois poétique et cathartique.
Dite trilogie composée donc dans un premier temps de Tuer !, littéralement chapeautée en Tohoscope dans la foulée du premier Zatoichi, une adaptation d'un roman Renzaburō Shibata, solide Jidai-geki au récit aussi (brillamment) elliptique que mélodramatique flanqué en pleine ère Tenpo, et narrant la destinée marquée par le sang et scellée dès la naissance de Shingo Takakura, gamin maudit élevé par un samouraï qui se révèle être l'assassin de sa propre mère.
Une machine à tuer qui ne trouve d'apaisement que dans la mort qu'il prodigue avec talent - et donc dans une lente auto-destruction de lui-même -, et qui va justement mettre à exécution ses talents pour se venger de ceux ayant ôté la vie de son père adoptif, avant de servir un nouveau maître proche du Shogun et de voire l'ironie d'un destin implacable, se rappeler à lui jusqu'au trépas.
Sans briller dans la soie de l'originalité mais porté par un esprit de concision qui vire au génie pur, le film est d'une poésie aussi incisive (et parfois macabre) que rare dans sa célébration d'un honneur et du gloire qui s'obtient par la force de sa lame.
D'âme maudite et de résilience, il en est de nouveau question avec La Lame Diabolique, tiré d'un livre de Shibata Genzaburo (et maniant toujours aussi bien la science de l'ellipse), vissée au plus près des pérégrinations d'un jeune homme jardinier le jour/samouraï létal la nuit qui incarne le rejeton du fruit d'une union entre une femme et un chien (celui de sa maîtresse, rien que ça), au coeur d'une narration qui fustige mignon la rigidité comme la violence sourde du Japon médiéval, monde dans lequel son antihéros moqué de tous, Hanpei, peine à trouver sa place.
Comme Shingo finalement, deux jeunes hommes maudits qui font le mal (ils sont des bras armés de la mort) sans pour autant être foncièrement mauvais, deux tueurs habiles et impitoyables (le second court même très vite, seul avantage d'être mi-chien) dont les lois tacites du bushido leur offriront un code d'honneur qui, paradoxalement, les enfermera encore un peu plus dans leur singularité comme dans leur spirale auto-destructrice.
Définitivement plus théâtral que Tuer ! mais aussi et surtout d'une mise en scène encore plus élaborée, le film est cela dit un cran en-dessous du meilleur de la trilogie, Le Sabre, adaptation cette fois des lignes d'un roman de Yukio Mishima et tourné avant La Lame Diabolique, un sombre gendai-geki aux accents homoérotiques affirmés, proprement fascinant dans sa volonté de nouer les valeurs du bushido su Japon de l'ère Edo, à une société contemporaine post-Seconde Guerre mondiale mondiale en pleine transition.
Le tout emballé dans la délicatesse d'un noir et blanc contrasté et précis, appuyant joliment le laconisme du présent.
Au plus près d'une époque à la jeunesse moins naïve et anticonformiste, la narration s'attache à une jeune âme qui assume pleinement sa singularité (voire même, clairement, sa rigidité), Jiro Kokubu, capitaine et maître du club de Kendô à l'université de Tôwa, dont la discipline radicale comme les idéaux de pureté qu'il s'inflige s'apparente tout autant à l'héritage d'un féodalisme obsolète qu'à un chemin de croix sacrificiel qu'il tente vainement d'inculquer à son équipe.
Une auto-destruction (comme une répression punitive et fantasmée, à la fois psychologique, physique mais aussi sexuelle) consentie qui le rapproche de Shingo et Hanpei, lui chez qui l'agonie et l'extase ne font plus qu'un dans un ballet d'abnégation aux pulsions à la fois spirituelles et sadomasochistes: une dévotion absurde envers une vision perdue et fantasmée de l'honneur du bushido qui trouve son point d'orgue dans un seppuku final qui fait directement écho à Tuer !.
Exploration des complexité de la masculinité comme du radicalisme et de l'incommunicabilité entre un passé traditionnel et un présent définitivement plus ouvert, plus proche de la « nouvelle vague » japonaise que n'importe quel autre oeuvre de ce cycle (le seul qui a pour cadre la société contemporaine), Le Sabre est le point final magnifique et tragique d'une sélection sans doute moins indispensable que la majorité des rétrospectives estivales (mention à celles de Yasuzô Masumura et Judit Elek), mais qui vaut néanmoins fièrement son pesant de pop-corn.
Jonathan Chevrier
Distribution : The Jokers Films
Quelques semaines après une fin d'été particulièrement bouillante pour les amateurs de cinéma de patrimoine nippon, qui aura vu The Jokers Films dégainer un cycle Yasuzô Masumura aux petits oignons (l'extase et l'agonie en 6 films, composée de six films en versions restaurées 4K : Passion, La Femme de Seisaku L'Ange rouge, Tatouage, La Femme du docteur Hanaoka et La Bête aveugle), là où Carlotta Films ressortait une version toute pimpante de Entre le ciel et l'enfer de Kurosawa; The Jokers Films toujours, remet le couvert pour que l'automne démarre sous les meilleurs auspices avec un cycle spécial Kenji Misumi, orfèvre tout aussi excessivement prolifique que méchamment méconnu de la « nouvelle vague » de l'industrie du pays du soleil levant, parti définitivement trop tôt (il est mort d'épuisement à l'âge de 54 ans, après avoir chapeauté pas moins de 67 films en à peine deux décennies... Woody Allen peut aller se rhabiller).
Quatre œuvres comme autant de preuve du talent avéré de celui qui est considéré comme l'un des maîtres du chanbara/film de sabre japonais, là ou sa filmographie ne se limite pourtant pas qu'aux simples embardées violentes et sanglantes de Zatoichi et Itto Ogami : Zatoichi : Le masseur aveugle (1962), Tuer ! (1962), Le Sabre (1964) et La Lame diabolique (1965).
Quatre exemples parfait pointant la maîtrise formelle incroyable de son cinéma, que ce soit de sa gestion du montage à son utilisation folle de l'espace et même de la physicalité de ses comédiens/comédiennes, tant tout se passe à travers leurs gestes mais aussi et surtout leurs regards, reflet d'un « au-delà » continuellement hors champ et d'une spiritualité infini et fascinante, une dimension alternative dans laquelle les protagonistes tentent de se projeter pour mieux échapper à une destinée embaumée par la brutale et la mort, une destinée labyrinthique et tragique où le bonheur comme la paix intérieure, est fugace.
Introduction à la fois brutale et toute en mélancolie à la vaste saga éponyme, qui pose les bases de ce qui sera l'une des franchises les plus imposantes du septième art (26 films, l'équivalent nippon de James Bond), Zatoichi : Le masseur aveugle, dont l'intrigue simple (mais point simpliste, dans son exploration un poil plus complexe de l'affrontement conventionnel entre le bien et le mal) et épurée n'a d'égale que la mise en scène méticuleuse de Misumi, au classicisme assumé (jusque dans son magnifique et contrasté noir et blanc), vissé sur les aternoiements du sabreur aveugle aussi roublard et calme que malicieux éponyme, capable de manier l'art de l’iaido comme personne grâce à ses sens sur-développés.
Avec une sobriété qui tranche (sabre, tranche : tu l'as ?) gentiment avec les envolées baroques et son bis de ses futures films Baby Cart, à tel point que les oripeaux du chanbara semble totalement au second plan (Misumi privilégie même la carte de l'humour), le film mise sur des empoignades musclées rares mais intenses, symbole d'un guerrier humble et digne pourtant capable d'écharper son prochain comme une bête sauvage.
Une excellente mise en bouche aux trois opus suivant de ce cycle, la trilogie de la lame qui décompose la figure comme l'image traditionnelle du samouraï d'une manière à la fois poétique et cathartique.
Dite trilogie composée donc dans un premier temps de Tuer !, littéralement chapeautée en Tohoscope dans la foulée du premier Zatoichi, une adaptation d'un roman Renzaburō Shibata, solide Jidai-geki au récit aussi (brillamment) elliptique que mélodramatique flanqué en pleine ère Tenpo, et narrant la destinée marquée par le sang et scellée dès la naissance de Shingo Takakura, gamin maudit élevé par un samouraï qui se révèle être l'assassin de sa propre mère.
Une machine à tuer qui ne trouve d'apaisement que dans la mort qu'il prodigue avec talent - et donc dans une lente auto-destruction de lui-même -, et qui va justement mettre à exécution ses talents pour se venger de ceux ayant ôté la vie de son père adoptif, avant de servir un nouveau maître proche du Shogun et de voire l'ironie d'un destin implacable, se rappeler à lui jusqu'au trépas.
Sans briller dans la soie de l'originalité mais porté par un esprit de concision qui vire au génie pur, le film est d'une poésie aussi incisive (et parfois macabre) que rare dans sa célébration d'un honneur et du gloire qui s'obtient par la force de sa lame.
D'âme maudite et de résilience, il en est de nouveau question avec La Lame Diabolique, tiré d'un livre de Shibata Genzaburo (et maniant toujours aussi bien la science de l'ellipse), vissée au plus près des pérégrinations d'un jeune homme jardinier le jour/samouraï létal la nuit qui incarne le rejeton du fruit d'une union entre une femme et un chien (celui de sa maîtresse, rien que ça), au coeur d'une narration qui fustige mignon la rigidité comme la violence sourde du Japon médiéval, monde dans lequel son antihéros moqué de tous, Hanpei, peine à trouver sa place.
Comme Shingo finalement, deux jeunes hommes maudits qui font le mal (ils sont des bras armés de la mort) sans pour autant être foncièrement mauvais, deux tueurs habiles et impitoyables (le second court même très vite, seul avantage d'être mi-chien) dont les lois tacites du bushido leur offriront un code d'honneur qui, paradoxalement, les enfermera encore un peu plus dans leur singularité comme dans leur spirale auto-destructrice.
Définitivement plus théâtral que Tuer ! mais aussi et surtout d'une mise en scène encore plus élaborée, le film est cela dit un cran en-dessous du meilleur de la trilogie, Le Sabre, adaptation cette fois des lignes d'un roman de Yukio Mishima et tourné avant La Lame Diabolique, un sombre gendai-geki aux accents homoérotiques affirmés, proprement fascinant dans sa volonté de nouer les valeurs du bushido su Japon de l'ère Edo, à une société contemporaine post-Seconde Guerre mondiale mondiale en pleine transition.
Le tout emballé dans la délicatesse d'un noir et blanc contrasté et précis, appuyant joliment le laconisme du présent.
Au plus près d'une époque à la jeunesse moins naïve et anticonformiste, la narration s'attache à une jeune âme qui assume pleinement sa singularité (voire même, clairement, sa rigidité), Jiro Kokubu, capitaine et maître du club de Kendô à l'université de Tôwa, dont la discipline radicale comme les idéaux de pureté qu'il s'inflige s'apparente tout autant à l'héritage d'un féodalisme obsolète qu'à un chemin de croix sacrificiel qu'il tente vainement d'inculquer à son équipe.
Une auto-destruction (comme une répression punitive et fantasmée, à la fois psychologique, physique mais aussi sexuelle) consentie qui le rapproche de Shingo et Hanpei, lui chez qui l'agonie et l'extase ne font plus qu'un dans un ballet d'abnégation aux pulsions à la fois spirituelles et sadomasochistes: une dévotion absurde envers une vision perdue et fantasmée de l'honneur du bushido qui trouve son point d'orgue dans un seppuku final qui fait directement écho à Tuer !.
Exploration des complexité de la masculinité comme du radicalisme et de l'incommunicabilité entre un passé traditionnel et un présent définitivement plus ouvert, plus proche de la « nouvelle vague » japonaise que n'importe quel autre oeuvre de ce cycle (le seul qui a pour cadre la société contemporaine), Le Sabre est le point final magnifique et tragique d'une sélection sans doute moins indispensable que la majorité des rétrospectives estivales (mention à celles de Yasuzô Masumura et Judit Elek), mais qui vaut néanmoins fièrement son pesant de pop-corn.
Jonathan Chevrier