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[CRITIQUE] : Une Bataille après l'autre


Réalisateur : Paul Thomas Anderson
Acteurs : Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Teyana Taylor, Chase Infiniti, Benicio Del Toro, Regina Hall,...
Distributeur : Warner Bros. France
Budget : -
Genre : Action, Comédie.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h42min.

Synopsis :
Ancien révolutionnaire désabusé et paranoïaque, Bob vit en marge de la société, avec sa fille Willa, indépendante et pleine de ressources. Quand son ennemi juré refait surface après 16 ans et que Willa disparaît, Bob remue ciel et terre pour la retrouver, affrontant pour la première fois les conséquences de son passé…




Il est fascinant de voir comment la carrière de l'exceptionnel Paul Thomas Anderson a pu évoluer depuis ses débuts au coeur des 90s, à une heure contemporaine où il livre aux spectateurs ce qui est, sans l'ombre d'un doute, son œuvre la plus intime à ce jour - plus encore que Phantom Thread et Licorice Pizza.

Passé de réalisateur un brin hyperactif tout droit sortie du Nouvelle Hollywood, porté par une totale liberté de création et un niveau de contrôle exigeant sur tous les aspects de la production (ce qui est toujours un marqueur important de son cinéma), à un faiseur de rêves à la spontanéité plus discrète (même s'il affiche ouvertement ses références, à un degré moindre que Quentin Tarantino certes, mais tout de même) mais dont la maturité émotionnelle en a fait un grand auteur à part entière : PTA n'a décemment plus rien à prouver et c'est peut-être là finalement, alors qu'il a atteint l'âge de la raison, que ce nouveau virage dans sa carrière s'avère des plus enthousiasmants.

Copyright Warner Bros.

En adaptant une nouvelle fois - librement - les écrits de Thomas Pynchon, ici les lignes satiriques et labyrinthiques de son Vineland (qu'il simplifie drastiquement, comme pour Inherent Vice, et ce dans le bon sens du terme), qu'il catapulte dans une Californie aux doux contours de dystopie (une Amérique violente et paranoïaque qui peut très bien s'inscrire pendant le mandat Bush Jr. et sa guerre contre le terrorisme, comme celui actuel de Trump, choix que se garde bien de faire le cinéaste à la différence de Bong Joon-ho pour Mickey 17 et son parallèle - excessivement - flagrant avec Trump), le Paulo offre au récent Eddington d'Ari Aster un cousin à la fois plus complet et percutant, drôle et rageur mais aussi et surtout profondément sentimental, où l'aspect politique est - totalement - indissociable du regard personnel de son auteur.

Une véritable anomalie (un film de studio façon satire de l'Amérique contemporaine par le papa de Magnolia, au budget fou de 130M$ : un put*** de Kamoulox) qui prend les sonorités légères d'un requiem protéiforme (ça tâte généreusement du western, du drame familial sous fond de réconciliation père-fille, du film de guerre matiné d'action, du thriller d'espionnage où encore de la satire politique et même du stoner,...) où les élans révolutionnaires de ses personnages ont sensiblement moins d'impact dans sa narration, que la tragédie intime qui se noue en son cœur, vissée qu'elle est sur la détresse d'un père, Bob, conscient de ses erreurs passées à la tête d'un groupe révolutionnaire (ancien expert en explosifs/père lessivé et irritable, il est celui qui sert de lien entre les actions révolutionnaires pétaradantes de la première partie, et les conséquences macabres de la seconde), et désormais préoccupé par la sécurité vacillante de la chair de sa chair dans une société autoritaire où il n'a pas été assez puissant pour la renverser (un personnage qui, frontalement, incarne les propres angoisses du cinéaste dans une Amérique au racisme de plus en plus décomplexé).

Un fascisme excessif et ridicule (un état répressif qui n'hésite pas une seule seconde à tuer, pour asseoir son pouvoir comme sa - fausse et corrompue - vérité) incarné par le colonel Steven J. Lockjaw, sorte de mâle alpha névrosé, misogyne, obsédé sexuel et ouvertement raciste (à un degré tel qu'il rêve d'intégrer une société suprémaciste blanche ultime, le Christmas Adventurers Club) qui fait du groupe French 75 ses gibiers humains; une figure tout aussi risible que Bob, purement Kubrickienne dans le sens où elle est - intelligemment - tournée en derision, comme peut l'être donc le père de famille (incarnation tout en désillusion d'un activisme où l'optimisme de l'action laisse souvent place à l'horreur de la mort et du décompte des victimes, pour la cause), sans pour autant être déconnectée de ses convictions abjectes et de ses actes, qui sont eux totalement pris au sérieux.

Copyright Warner Bros.

Deux caricatures qui ne résument jamais uniquement qu'à leurs traits exagérés, deux êtres profondément stupides qui se rêvent comme des protagonistes majeurs de l'histoire là où ils ne sont que des pions ballottés par ses flots implacables.
Et qui ne sont, au fond, même pas les personnages principaux de celle de PTA, tant tout tourne autour de celui de Perfidia Beverly Hills et de ses actions (qui feront passer ses idéaux avant son propre enfant), intimement liées aux deux hommes, même lorsqu'elle quitte l'écran.

D'une pertinence détonnante dans le climat politique actuel sans pour autant jouer la carte de la condescendance (il brasse des thèmes essentiels allant de l'effondrement potentiel de l'Amérique au classicisme, en passant par le racisme et les dangers de l'extrémisme, le tout avec un esprit comique d'une finesse rare), Une Bataille après l'autre frappe par son énergie débordante voire un poil étrange (à l'image même de la musique déroutante de Jonny Greenwood), comme la propension inédite de PTA à muscler son jeu dans le feu de l'action, lui qui cite à la volée les cinémas de feu William Friedkin (coucou French Connection) et James Cameron (difficile de ne pas se laisser aller, parfois, à penser dans ses quelques séquences électrisantes, au mythique Terminator 2 - Le Jugement Dernier, et ce même dans les contours subtiles d'une histoire où un/une môme est confrontée à la réalité des angoisses paranoïaques d'une figure parentale, qu'elle pensait simplement tarée), sans pour autant dénaturer les attitudes si reconnaissables de son cinéma (ses fameux plans-séquences vertigineux, renforcés par le format Vista Vision).

Une maîtrise qui se retrouve dans sa direction d'acteurs une nouvelle fois sans la moindre fausse note, fruit d'une distribution totalement au diapason et de laquelle, s'il est facile de louer les performances stellaires de Leonardo DiCaprio et Sean Penn (que la Warner ne va pas traîner à en faire des prétendants - légitimes et incroyables, certes - à la prochaine course aux statuettes dorées), il serait pourtant plus juste de mentionner celles qui incarnent le ciment même du film : dans un premier temps une Teyana Taylor bouillonnante, au dynamisme furieusement corrosif et contagieux, puis celle encore plus impressionnante de la nouvelle venue Chase Infiniti, dont le personnage épouse la folie de sa mère tout en embrassant la détermination inébranlable de toute jeunesse rebelle.

Copyright Warner Bros.

Odyssée à la fois anarchiquement délirante, viscérale et imprévisible à l'humanité sans faille, où PTA ne se perd plus dans la nostalgie du passé et décide, quitte à se faire réellement violence, de se confronter frontalement à notre contemporainité pour en soustraire un reflet à peine déformé et terrifiant, Une Bataille après l'autre fonce tête la première dans l'immédiateté brute d'une réalité folle et absurde, au plus près du souffle asphyxié d'une Amérique au bord de l'implosion, bouffée autant par ses angoisses que par sa haine.

Un exposé audacieux et féroce sans pour autant être réducteur ni moralisateur, qui démontre que s'il devient inévitable pour nous tous de s'élever contre le système, il faut avant tout et surtout le combattre avec le cœur, la raison et par amour.
Ne cherchez plus, le XXIème siècle a enfin trouvé son Docteur Folamour...


Jonathan Chevrier