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[CRITIQUE] : Kontinental '25


Réalisateur : Radu Jude
Acteurs : Eszter Tompa, Gabriel Spahiu, Adonis Tanța, Oana Mardare,...
Distributeur : Météore Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Roumain, Brésilien, Suisse, Britannique, Luxembourgeois.
Durée : 1h49min.

Synopsis :
Orsolya est huissière de justice à Cluj, en Transylvanie. Elle doit un jour expulser un sans-abri qui vit dans le sous-sol d'un immeuble du centre-ville transformé en hôtel de luxe. Un événement inattendu la met brusquement face à ses contradictions.





Figure de proue talentueuse et, paradoxalement, singulière d'une Nouvelle Vague roumaine qu'il a façonné aux côtés de Cristian Mungiu, Corneliu Porumboiu ou encore Cristi Puiu et Radu Muntean, à travers des œuvres aux considérations socio-politiques aussi affirmés que leur sens - affûté - de l'absurde; Radu Jude est de ces cinéastes dont il est difficile de ne pas attendre chaque nouvel effort avec une impatience non feinte, d'autant qu'il est des rares que les salles obscures hexagonales ont le bon ton de ne jamais vraiment bouder - tant mieux pour nous,  clairement.

En attendant sa relecture moderne du mythe de Dracula (déjà tourné), mais aussi et surtout celle de Frankenstein pour lequel il devrait avoir Sebastian Stan pour rôle titre (qui semble de plus en plus affirmé ses racines roumaines, lui qui sera également la vedette du Fjord de Cristian Mungiu, aux côtés de Renate Reinsve), place à une autre petite bête de festivals, Kontinental '25 (justement tourné en une semaine et à l'iphone, en pleine pause sur les prises de vues de son Dracula), qui se soucie moins de conter une histoire que de se faire un instantané sacarcastique mais pertinent, d'une société roumaine humainement à la dérive - entre nationalisme, capitalisme et corruption.

Copyright Météore Films

Partant d'une intrigue presque prétexte (une huissière de justice à Cluj, doit expulser un sans-abri jadis figure importante, qui vit dans le sous-sol d'un immeuble du centre-ville appelé à être transformé en hôtel de luxe, jusqu'à ce qu'un événement inattendu la place brusquement face à ses propres contradictions), le cinéaste fait se télescoper une humanité fragile et vulnérable à une société capitaliste indifférente qui n'est régie que par ses ambitions/intérêts économiques (ou comment nouer une tragédie personnelle à des enjeux universels et systémiques, une souffrance intime à un bouleversement social et historique), à travers une figure en conflit avec un passé trouble et sa propre culpabilité, et dont la moindre décision est mise en balance entre son sens du devoir et ses remords persistants.

Odyssée tout autant féroce et absurde que minimaliste (le film est rythmé comme un documentaire, avec une accumulation persistante de plans fixes qui, pour le coup, accentue l'immersion du spectateur et sa patine de cinéma-vérité) qui prend en grippe la gentrification moderne - et sa quête incessante du profit - en la considérant comme un acte d'hostilité ouverte qui creuse toujours un peu plus le fossé entre les classes sociales; Kontinental '25 est une merveilleuse et austère fable philosophique tout aussi modeste dans sa forme que profonde dans son fond, où son humour pince-sans-rire vient trancher le réalisme brutal de sa mise en images des fractures sociales béantes de sa nation.

Vivement son Dracula donc, et le mot est faible.


Jonathan Chevrier