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[CRITIQUE] : Le Rire et le Couteau


Réalisateur : Pedro Pinho
Acteurs : Sérgio Coragem, Cleo Diára, Jonathan Guilherme, Jorge Quintino Biague,...
Distributeur : Météore Films
Budget : -
Genre : Aventure.
Nationalité : Portugais, Français, Roumain, Brésilien.
Durée : 3h31min

Synopsis :
Sergio voyage dans une métropole d'Afrique de l'Ouest pour travailler comme ingénieur environnemental sur la construction d'une route entre le désert et la forêt. Il se lie à deux habitants de la ville, Diara et Gui, dans une relation intime mais déséquilibrée. Il apprend bientôt qu'un ingénieur italien, affecté à la même mission que lui quelques mois auparavant, a mystérieusement disparu.




À l'argumentaire, facile et superficiel, du " il n'y a rien d'intéressant à voir en salles " (proche du coefficient zéro de toute notion de débat), dégainé avec une décontraction incroyable par plus d'un spectateur replié sur sa propre vision étriquée des possibilités - astronomique, pour résumer sans exagérer - de séances que chaque distributeur nous offre tous les mercredis (propos qu'un cinéphile un minimum alerte et se tenant moins à distance du planning des sorties, ne devrait pas être censé prononcer), le mois de juillet rétorque avec une verve encore plus enthousiasmante qu'à l'accoutumée, loin d'être écrasé par les nombreuses et spectaculaires productions venues de l'autre côté de l'Atlantique.

Copyright Météore Films

Rien que ce mercredi en salles, entre la seconde moitié de l'exploration fascinante du sentiment amoureux chapeautée par le romancier et cinéaste Dag Johan Haugerud (La Trilogie d’Oslo / Amour), la dernière pièce de l'édifice proprement grandiose - et indispensable - de Wang Bing sur la jeunesse de sa nation (Jeunesse (Retour au pays)), voire même la fresque explosive et toute aussi dense (trois heures et demie au compteur) Le Rire et le Couteau de Pedro Pinho (le fantastique L'Usine de rien); le choix est tout simplement royal.

Second long-métrage de fiction du cinéaste portugais (dont la révérence assumée à Antonioni déborde ici littéralement du cadre), adoubé par la dernière croisette Cannoise, le film dresse, à travers l'odyssée d'un ingénieur environnemental portugais investi de bonnes intentions (œuvrer pour que ses connaissances acquises auprès du Vieux Continent, servent à enrichir la population locale), affecté à la construction d'une route entre le désert et la forêt en Guinée-Bissau (une urbanisation tout en contradictions, qui pourrait détruire certaines civilisations/anciennes cultures indigènes, provoquer un exode massif vers les villes et rendre encore plus précaire la production alimentaire, mais qui pourrait dans le même temps, améliorer les services de santé et le système éducatif au cœur des villages restants); une confrontation idéologique lucide et nuancée entre l'imaginaire européen totalement faussé et l'étalage brutal de sa puissance, et les conséquences historiques, politiques, économiques et même symboliques de l'héritage colonial aux cicatrices encore béantes.

Copyright Météore Films

Fresque anthropologique étrange et méticuleuse à la puissance visuelle démente (constamment à la lisière du documentaire, fruit d'une union entre un tournage en argentique et en numérique), où la psychanalyse plus ou moins détachée d'un homme complexe et en pleine recherche de sa propre identité (flanqué dans un impétueux ménage à trois qui ne fait que mettre en exergue son aliénation morale et son opportunisme), se substitue à celle de toute une Europe confrontée à son propre déséquilibre et à ses désirs de supériorité/domination autoritaire conditionnés par le colonialisme; Le Rire et le Couteau ne fait jamais dans la dentelle en vrai et captivant effort de cinéma audacieux et incisif, tranchant et satirique.

Déjà l'une des séances les plus immanquables de l'été.


Jonathan Chevrier