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[CRITIQUE] : The Phoenician Scheme


Réalisateur : Wes Anderson
Acteurs : Benicio Del Toro, Mia Threapleton, Scarlett Johansson, Riz Ahmed, Tom Hanks, Rupert Friend, Bryan Cranston, Benedict Cumberbatch, Mathieu Amalric, Bill Murray,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Action, Comédie Dramatique, Comédie, Drame, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h41min

Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2025.

1950. Anatole "Zsa-zsa" Korda, industriel énigmatique parmi les hommes les plus riches d’Europe, survit à une nouvelle tentative d’assassinat (son sixième accident d’avion). Ses activités commerciales aux multiples ramifications, complexes à l’extrême et d’une redoutable brutalité, ont fait de lui la cible non seulement de ses concurrents, mais aussi de gouvernements de toutes tendances idéologiques à travers le monde – et, par conséquent, des tueurs à gages qu’ils emploient.

Korda est aujourd’hui engagé dans la phase ultime d’un projet aussi ambitieux que déterminant pour sa carrière : le Projet Korda d’infrastructure maritime et terrestre de Phénicie, vaste opération d’exploitation d’une région depuis longtemps laissée à l’abandon, mais au potentiel immense. Le risque financier personnel est désormais vertigineux. Les menaces contre sa vie, constantes. C’est à ce moment précis qu’il décide de nommer et de former sa successeure : Liesl, sa fille de vingt ans (aujourd’hui nonne), qu’il a perdue de vue depuis plusieurs années




Totalement conscient des attentes complètement absurdes dont il fait preuve (on en vient à stupidement critiquer un film qui ne serait pas assez où trop du Wes Anderson, en se substituant au jugement que le cinéaste a lui-même de son œuvre et de sa manière de la façonner, comme tout bon artiste qui se respecte), mais aussi de la potentielle redondance dans laquelle son cinéma pouvait s'enfermer, et qu'on aurait pu sensiblement lui reprocher (l'orobouros, encore une fois), Wes Anderson a fait le choix depuis The French Dispatch - et d'une manière encore plus éclatante avec Asteroid City -, de régénérer sa vision avec une ironie douce, de bousculer juste ce qu'il faut son petit jeu du cinéma au théâtre et du théâtre au cinéma pour lui donner une inspiration nouvelle, un second souffle salvateur qui ne lui faisait pas perdre pour autant son hyper-expressivité.

Sans surprise, The Phoenician Scheme son nouvel effort, s'inscrit dans la même lignée que sa merveilleuse quadrilogie de courts-métrages du côté de la firme au Toudoum Netflix, The Wonderful Story of Henry Sugar and Three More (moins, il est vrai, d'un Asteroid City creusant bien plus en profondeur sa narration comme ses personnages et leurs émotions), tant Anderson refuse à nouveau ici de corseter ses tics habituels dans une structure que l'on aurait pu déterminer - thématiquement comme idéologiquement - à l'avance, tout autant que d'arpenter le terrain sinueux de l'aléatoire apparent en réarrangeant une poésie que nous connaissons déjà, en réécrivant quelques accords pour ne pas totalement changer l'harmonie de sa mélodie, mais bien la rendre suffisamment nouvelle pour ne pas qu'elle apparaisse trop familière.

Copyright 2025 TPS Productions, LLC. All Rights Reserved.

Avancer sans totalement s'ôter le luxe de pouvoir regarder dans le rétroviseur, évoluer sans totalement se renier et, en ce sens, la transformation la plus évidente ici ne réside non pas dans une mise en scène un tant soit peu plus audacieuse, mais bien dans sa gestion de la colorimétrie, expurgée de sa coupe picturale si reconnaissable (mais pourtant d'une élégance toujours aussi impénétrable) pour voguer vers un velours plus noir, pas si éloigné des envolées pulp des frères Coen - la patte, à n'en pas douter, de Bruno Delbonnel à la photographie, avec qui il collabore pour la première fois.

Un changement notable, que les esprits les plus médisants argueront de léger voire de futile (laissons-les dans leur coin), mais qui vient enrichir - voire étouffer parfois aussi, dans le même mouvement - une dynamique narrative et émotionnelle où, là encore, les nuances se font perceptibles et rafraîchissantes, d'autant plus sur ce qui a toujours été la force gravitationnelle de tout son cinéma : la cellule familiale, toujours dysfonctionnelle mais avant tout et surtout plus éclatée et violemment lucide, nouée autour d'une relation père-fille absolument chaotique qui se fait le coeur vibrant et décalé d'une odyssée à la fois sordide et délirante, un vrai et pur film d'aventure sauvage qui biffurque généreusement vers l'espionnage absurde, la satire capitaliste et même le mélodrame spiritualo-rédempteur.

Tout un programme donc, collé aux basques d'Anatole « Zsa-zsa » Korda (Benicio del Toro incroyablement sibyllin et mélancolique, dans l'une de ses plus belles prestations à ce jour), véritable magnat dans l'Europe du milieu du XXe siècle, qui aurait tout du parfait vilain mégalomaniaque d'un 007 des grands jours, tant même la mort ne semble pas l'atteindre : il a survécu à de multiples tentatives d'assassinats, dont six " accidents " d'avion (dont un dans l'ouverture) et même à trois de ses épouses.

Père de dix enfants, ils les confinent presque tous dans son propre manoir, exceptée Liesl, sa fille unique (Mia Threapleton, fille de Kate Winslet, qui ressemble tellement à sa mère que la notion d'héritage qui irrigue toute l'histoire, prend une symbolique d'autant plus puissance à chacun de ses regards), qu'il a catapulté très tôt au couvent parce qu'il pensait qu'elle n'était pas la chair de sa propre chair.
Le drame de sa vie, à tel point qu'il tente de se racheter sur le tard, en la nommant seule héritière de tous ses biens avant de se lancer avec elle dans une croisade commerciale de dernière minute pour sauver son empire, le plus grand (et dangereux, puisque sa vie n'a jamais été autant en jeu) projet de la carrière du bonhomme : le Projet Korda d’infrastructure maritime et terrestre de Phénicie, vaste opération d’exploitation d’une région depuis longtemps laissée à l’abandon, mais au potentiel immense...

Copyright 2025 TPS Productions, LLC. All Rights Reserved.

Moins dense comme dit plus haut, qu'Asteroid City, The Phoenician Scheme privilégie néanmoins une voie volontairement plus aventureuse - et donc propice aux potentiels couacs - dans sa linéarité apparente, déguisant son mélodrame familial sous fond de regrets et de rédemption, comme un film d'aventure mi-Tintin-esque, mi-Freudien tout en corruptions (politiques et économiques) et en surréalisme, au rythme effréné et à l'absurdité charmante (à limage d'un fantastique Michael Cera, totalement fait pour le cinéma du papa de L'île aux chiens), même s'il se perd parfois dans quelques séquences dispensable et beaucoup trop étirées en longueur, n'allant jamais plus loin que le caméo de luxe.

Dommage tant il y avait tout, des tics purement Andersoniens (des dialogues merveilleusement littéraires à ses cadrages croqués au compas, en passant par ses travellings merveilleux) à ses obsessions légendaires (encore une fois, la famille est la seule entreprise qu'il faut maintenir à flot), en passant par une tendresse parfois authentiquement désarmante et une aura baroque inédite, pour faire de ce douzième effort, l'un des plus beaux de son auteur.
Dans l'état, The Phoenician Scheme est un bonbon chaotique et piquant soigneusement emballé dont il est difficile de ne pas tomber sous le charme, par un cinéaste qui redéfinit tranquillement mais sûrement, son laboratoire des merveilles pour lequel on est tous tombé éperdument amoureux.


Jonathan Chevrier