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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Gilles Grangier, Chronique des années 50

Rétrospective Gilles Grangier, Chronique des années 50, composée de cinq films de version restaurées : Au p'tit zouave (1949), Le Sang à la tête (1956), Meurtre à Montmartre/Reproduction Interdite (1957), Trois jours à vivre (1958) et 125 rue Montmartre (1959).

Distribution : Solaris Distribution



Qu'on se le dise, à une époque où la cinéphilie se statue, selon une poignée de spectateurs particulièrement bruyants, selon une liste de films vulgairement établie qu'il faut avoir vu (pas compris, vu, n'en demandez pas trop), il n'y a décemment aucun mal à avouer ne pas connaître un/une cinéaste et sa filmographie.
Après tout, le septième art n'est-il pas un champ constant de découverte, un univers dense et passionnant qui ne demande qu'à être arpenté avec enthousiasme et curiosité, quand bien même certains ne se borne qu'à ratisser la même zone usée et infertile.

Pour l'auteur de ces mots, le cinéaste francais Gilles Grangier n'était encore qu'un nom lu à l'arrachée au travers de quelques textes et découvert de loin (au travers, uniquement, de l'excellent Le cave se rebiffe, second opus de la trilogie de Max le Menteur avec le monument Jean Gabin), malgré une carrière foisonnante aussi bien devant que derrière la caméra.
Un auteur prolifique même si, paradoxalement, peu célébré voire même vivement critiqué par une Nouvelle Vague alors en pleine explosion/émancipation, et n'hésitant pas à jouer la carte de la méprisance pour mieux s'affirmer (une arrogance qui, il est vrai, répondra présente lorsqu'il faudra abandonner la plume et prendre la caméra en main).

On ne remerciera donc jamais assez Solaris Distribution de nous faire démarrer 2025 sous les meilleurs auspices en redonnant un solide coup de projecteur sur sa filmographie, avec une rétrospective aux petits oignons : Chronique des années 50, composée de cinq séances : 125 rue Montmartre (1959), Le Sang à la tête (1956), Au p'tit zouave (1949), Meurtre à Montmartre/Reproduction Interdite (1957) et Trois jours à vivre (1958).

Le Sang à la tête© Pathé // Solaris Distribution

Autant de déclinaison du polar que du drame et de la comédie bien de chez nous, plus où moins conventionnels - excepté le premier cité - et redevables au film noir de l'âge d'or Hollywoodien (Hitchcock est au-delà qu'une simple figure tutélaire), mais pas sans étincelles, fascinant dans la manière naturaliste avec laquelle ils croquent en profondeur leurs personnages au moins autant qu'ils capturent avec minutie le tumulte de leur époque (notamment une capitale rarement aussi vraie et palpable à l'écran, toujours auprès des " petites gens "), même si, justement, la faute à un cinéaste moins esthète que prosaïque, ils font furieusement leur temps.

Plus intéressant se fait donc 125 rue Montmartre, adapté du roman éponyme de André Gillois - avec, comme souvent, Audiard aux dialogues -, qui s'en va bousculer un brin les codes en catapultant un crieur de journaux bourru et brave mais surtout définitivement trop bienveillant envers son prochain, dans les bras d'une machination implacable (un meurtre qu'il n'a pas commis, partant au départ comme une déclinaison du Boudou sauvé des eaux de Renoir).
Du pur polar haletant dont le rythme est modelé par les passes d'armes de ses interprète, que ce soit un Jean Desailly des grands jours où même un brillant Lino Ventura, qui s'inscrit dans la parfaite continuité de l'élégance folle et puissante d'un Jean Gabin qui incarnait un personnage plus où moins cousin dans Le Sang à la tête tourné trois ans plus tôt.

Également adapté d'un roman (Le fils du Cardinaud de Georges Simenon) et d'une misogynie sensiblement plus exacerbé (voire assez gênante, avec un regard contemporain), l'histoire suit celle d'un self made man/bourgeois gentilhomme - un ancien débardeur devenu un armateur riche et aussi important que méprisé par tous -, confronté à l'adultère d'une épouse lâchant époux et enfants pour s'en aller retrouver,  dans une escapade passagère, son amour de jeunesse - un jeune voyou de retour d'Afrique.
L'aura de Simenon est parfaitement retranscrit (une La Rochelle où gronde un orage d'hypocrisie et de jalousie aussi omniprésent qu'écrasant), mais cette quête d'une épouse perdue perd lentement mais sûrement de son intérêt à mesure que sa narration sans aspérités, déroule poussivement ses vérités.

Meurtre à Montmartre (adapté du roman Reproduction Interdite de Michel Lenoir, qui était un temps le titre original du film) nous ramène lui dans les ruelles sombres et manipulatrices de la Capitale, moins polar qu'une tragédie intense et sobre allant strictement à l'essentielle (dans sa narration comme dans la définition précise de ses personnages, dont il sonde habilement les âmes), vissée sur une escroquerie - comme pour Le cave se rebiffe - aux faux tableaux d'envergure, dans laquelle tombe un marchand d'art un temps victime, avant d'être un rouage majeur de l'entreprise.

Meurtre à Montmartre© Pathé / Solaris Distribution

Pas chiche en rebondissements inattendus et marqué par un sens affûté du détail, Grangier tel un Chabrol d'après-guerre, sonde le basculement dans le côté obscur d'un homme honnête perverti par sa propre avidité - formidable Paul Frankeur.
Au p'tit zouave lui, qui prête son nom au bistrot pittoresque qui sert de cadre principal à l'histoire, s'inscrit joliment dans l'ombre pessimiste du cinéma de Julien Duvivier, gentil huis-clos sous fond de traque d'un serial killer - « l'homme à la bouteille de lait » - et de peinture honnête d'un petit peuple parisien plus modeste et populaire que jamais.

Vrai film d'atmosphère où la caméra se balade avec élégance dans l'intimité des aternoiements de personnages transpirant l'authenticité, le film ne brille pas forcément par la force de son écriture, notamment une résolution finale un brin risible.
Un vrai écueil que ne connaît pas l'ultime effort de cette rétrospective, Trois jours à vivre, nouveau polar au rythme jazzy pour lequel Grangier retrouve à la fois la plume d'Audiard et la trogne géniale de Ventura devant la caméra, en gangster cette fois, accusé sans être certain de sa culpabilité, par un jeune comédien tout aussi lâche qu'en quête de notoriété (excellent Daniel Gélin, à qui répond une encore plus féline Jeanne Moreau).
Une exploration à la fois drôle mais acérée sur l'ambition et les effets néfaste d'une célébrité pourtant pieusement désirée, sur un comédien veule et ambitieux las d'être cantonné aux petites tournées de province, et qui va regretter d'avoir voulu être célèbre.

Une belle dernière pièce à un canevas rétrospectif pas forcément essentiel, mais qui mérite décemment le coup d'œil.


Jonathan Chevrier