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[ENTRETIEN] : Entretien avec Pablo Agüero (Saint-Ex)

Copyright Antoine Flament / Getty Images // Studiocanal 

La figure d’Antoine de Saint-Exupery prend vie à l’écran avec Saint-Ex, le nouveau long-métrage de Pablo Agüero. Il fallait bien le regard interrogatif sur la création de légendes du réel venant du metteur en scène des Sorcières d’Akelarre pour ce film d’aventure inspiré de la vie du romancier, ce qui nous a permis une bonne conversation à ce sujet.


J’ai commencé par faire des bandes dessinées, lire et raconter des histoires. L’un des premiers livres que j’ai eu enfant entre les mains était Le petit prince. Ça a été une des premières inspirations de mon imaginaire, qui s’est développé dans le dessin puis l’écriture avant le cinéma beaucoup plus tard. - Pablo Agüero


D’où est venue l’envie de tourner ce film sur Antoine de Saint-Exupéry ?

Pablo Agüero : Directement de l’enfance, avant même de connaître le cinéma. J’ai grandi au pied de la Cordillère et on n’avait pas d’électricité ni de cinéma. J’ai commencé par faire des bandes dessinées, lire et raconter des histoires. L’un des premiers livres que j’ai eu enfant entre les mains était Le petit prince. Ça a été une des premières inspirations de mon imaginaire, qui s’est développé dans le dessin puis l’écriture avant le cinéma beaucoup plus tard. Je me suis nourri de ça, j’ai lu Vol de nuit, qui se passe où je vivais. Ces avions survolaient cet endroit. Mais je ne trouvais pas de récit qui pouvait en faire un film. J’ai mis des années et des années avant de découvrir l’histoire d’Henry Guillaumet, qui est une histoire unique de survie. Ça ne pouvait donner qu’un grand film d’aventure vu que ça s’est déroulé dans un endroit complètement inaccessible dans les années 40. Pour avoir tourné là-bas, je peux vous dire qu’il n’est pas évident de survivre là-haut donc tout seul, pendant 5 jours, c’est surhumain. J’avais l’aspect film d’aventure mais il me manquait la spécificité de Saint-Exupéry, ce qu’on attend d’une personnalité comme lui. C’est l’homme qui a crée le conte le plus universel. C’est en découvrant que les sources du Petit Prince étaient en Argentine durant cette période et que pendant qu’il cherchait son ami il a fait des rencontres qui l’ont inspiré dans son écriture 10 ans plus tard, dont certaines très méconnues et très évidentes, que ça m’a inspiré. Il y avait cette rencontre avec ces filles qu’il appelait les petites princesses d’Argentine, ce qui ressemble beaucoup au Petit Prince : il a un accident, il entend une petite voix, ce sont des jeunes filles sauvages qui parlent français et ont un renard et un serpent, … Tous les éléments sont là mais personne ne parlait de cette histoire. J’ai trouvé un petit documentaire un peu oublié en Argentine de quelqu’un qui a retrouvé ces femmes-là des années plus tard et qui les a interviewées. J’ai aussi trouvé d’autres sources comme la proposition de Saint-Exupéry à Jean Renoir de faire un film sur ces petites princesses dans des lettres qu’il a enregistrées. J’ai trouvé plein de sources historiques avec l’origine du Petit Prince. Là, j’ai eu la révélation avec une dimension poétique pour le film avec un côté aventure. Une fois que j’avais tous ces ingrédients, je me suis dit qu’on avait un film.

Quelles ont été les recherches effectuées au-delà de ce que vous venez de raconter, notamment dans la recréation de l’Aéropostale ?

D’une part, il y a les recherches historiques classiques : les biographies, les livres sur l’Aéropostale, ceux sur d’autres pilotes,… Ensuite, il y a ces perles rares comme cette histoire des Petites Princesses d’Argentine, notamment ce documentaire qui a été une révélation inouïe. Il y avait aussi l’exploration sur place, visiter la Cordillère, voir ce qu’il a vécu et se demander quelles sensations ils ont vécu en traversant cet endroit dans un avion si fragile. Après, le reste des recherches s’est fait en relation au film, comme reconstruire cet avion dont il ne restait plus qu’un seul exemplaire au monde. Il était en Argentine et c’était un grand avion datant du moment où la France était le pays pionnier dans la distribution de courrier dans le monde. On est allés l’observer pour en fabriquer un nouveau.

Le film s’ouvre sur un crash de Saint-Ex, amenant déjà une dynamique avec Guillaumet qui est plus en confiance, la nature rêveuse de notre personnage, … C’était important pour vous de démarrer en vol de cette manière ?

Il fallait que ce soit une scène qui, à travers des actions et non des explications, montre clairement les personnalités de nos personnages et amener tout ce qui va se dérouler dans le film. On présente Saint-Ex comme un anti-héros qui ne peut survivre et ne peut piloter qu’en présence de son ami, qui est son grand héros. Il fallait cet enjeu pour demander ce qu’il peut faire quand l’homme sans qui il ne sait rien faire tombe. C’est un enjeu énorme.

Copyright Studiocanal

Quels ont été les effets visuels lors des scènes de vol ?

On a construit un vrai avion, on l’a mis avec une machine très complexe qu’on a fait venir pour procurer de vraies secousses et que le pilote ressente les sensations qu’on peut avoir en plein vol, avec beaucoup de vent. On a beaucoup tourné sur tout le long de la Cordillère à différents endroits pour la représenter comme le reflet visuel de l’expérience subjective d’un pilote. Parfois, visuellement, un lieu n’exprime pas ce qu’est l’expérience d’être là. Par exemple, le fait de se confronter à un mur à une hauteur qu’on ne peut pas surpasser, c’est tellement massif qu’on peut ne pas ressentir cette sensation de mur que le pilote vit pourtant. Pour traduire ça visuellement, on est allés chercher plusieurs montagnes tout le long de la Cordillère pour construire une géographie à l’image de cette sensation subjective. L’élaboration s’est faite à plusieurs étapes. On a aussi filmé des atmosphères séparément pour que les images s’intègrent, qu’elles soient vivantes et pas figées. On a aussi cherché une atmosphère particulière qui reflète l’imaginaire de Saint-Ex, le côté conte.

Quelles ont été vos conversations avec le casting du film pour les préparer dans cet équilibre entre réalité historique et fiction assumée ?

On s’est tout de suite dit qu’on ne voulait pas faire un biopic ou une reconstitution historique. On peut ne pas croire en ces reconstitutions, qui sont des copies de sources historiques ou de documentaires, parfois douteuses et ennuyeuses. Il ne s’agit pas de peindre la vie mais de rendre la peinture vivante. Dès la sélection des acteurs, je cherchais ça : quelqu’un qui ne soit pas une copie et dont la forme du visage colle à Saint-Exupéry mais un acteur qui a la quintessence de ce qu’il était, un aventurier rêveur et romantique. J’ai toute de suite senti ça chez Louis Garrel, qui était ma première certitude. Ensuite, j’ai cherché une relation avec un autre acteur comme dans le film. Louis Garrel et Vincent Cassel sont de vrais amis depuis longtemps. Il y a un rapport d’admiration fraternelle qui va dans le choix de choses qui reflètent dans le film la réalité.

Quelle est votre propre perception du cinéma d’aventure actuel, qui semble ici être moins mis en avant que le cinéma d’action ou du moins mélangé à d’autres genres comme le survival ?

Je pense que c’est un genre qu’il faut renouveler car le concept peut paraître vieillot si on ne trouve pas un nouvel axe ou un style visuel. Saint-Ex a ainsi une approche plus poétique. Je pense qu’il y a une omniprésence des images générées sur ordinateur, ce qui est dommage. On a beaucoup travaillé les images en post production mais toujours à partir d’une matière organique réelle car, qu’importe ce qu’on fait sur ordinateur, on ne retrouvera jamais la sensation d’un vrai lever de soleil en haut d’une montagne de la Cordillère en plein hiver. J’ai l’impression qu’on est parti dans une ligne jeu vidéo omniprésente mais quand même intéressante. Ça ouvre un champ d’exploration mais il faut faire attention à l’uniformisation. Je pense qu’on a une nouvelle porte qui s’ouvre à travers la technologie mais il faut faire attention à ce qu’elle ne détermine pas nos choix. L’approche du film d’aventure est fortement liée à ça.

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Votre film précédent, Les sorcières d’Akelarre, était déjà appuyé dans son équilibre entre recherche historique et un aspect de cinéma de genre marqué. Comment avez-vous vécu la réception de ce film ?

C’était une très grande surprise car ça restait quand même un film d’auteur très personnel. Quand Netflix l’a distribué dans le reste du monde, il s’est classé troisième des films vus sur la planète alors qu’on n’a même pas voulu doubler la partie basque, le tout en plein milieu de grosses comédies et de films d’action. Il y a eu un phénomène social très particulier où j’ai vu des articles liés à ça, comme dans ce pays où les femmes se battaient pour le droit d’avorter et que le journaliste prenait le film comme exemple. J’ai vu des gens qui s’étaient tatoués le nom du film. Il y a eu un phénomène au niveau de l’échelle de distribution qu’on a eu qui était très impressionnant à cette échelle-là. Les échos venaient de partout comme en Bretagne, qui partage les mêmes questions d’identité régionale écrasée par le pouvoir central. On avait fait imprimer des sacs avec des phrases du film et je les vois portés par des gens trois ans plus tard. Il y a eu une résonnance et c’est très encourageant et émouvant car c’est un film que j’ai eu beaucoup de mal à financer. Ça m’a pris dix ans car on me disait que c’était un sujet qui ne concernait pas notre époque. Heureusement, pendant qu’on tournait le film, il y a eu l’affaire MeToo et des débats en lien avec l’actualité qui résonnaient avec notre récit. On a une mémoire très courte sur des sujet qui peuvent ne plus paraître importants avant qu’ils ne reviennent sur le devant de l’actualité.

Ici, on se rencontre dans le cadre du Festival International du Film Francophone de Namur. Quel est votre propre rapport au cinéma francophone ?

Je ne me sens pas qualifié pour en parler. (rires) J’ai l’impression qu’on est un peu écrasés par le réalisme depuis une bonne période. On a laissé l’imaginaire aux américains, ce qui est vraiment dommage. Quand on regarde dans l’histoire de la littérature et de l’art, on a un grand nombre d’histoires fantastiques alors que le réalisme n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Sans vouloir manquer de respect au réalisme, qui a donné des films absolument formidables, je pense qu’il faudrait plus que jamais douter de l’idée de réalité et oser assumer l’irréalité au cinéma. C’est mon impression qu’on est un peu écrasés par le vrai. C’est un concept qui me pose problème d’emblée car il n’y a pas de réalité, surtout au cinéma. Mais j’ai l’impression qu’on a une nouvelle génération de cinéastes qui nous en fait sortir, qui ose faire du film de genre, et quelques-uns plus rares de notre génération comme Jacques Audiard. Autant dans la comédie que dans les drames, on est toujours ramenés à notre réalité quotidienne et contemporaine.

 

Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Valérie Depreeuw de O’Brother ainsi qu’à l’équipe du FIFF pour cet entretien.