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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Redécouvertes et raretés du cinéma italien – Partie 2



Rétrospective Redécouvertes et raretés du cinéma italien – Partie 2, composée de huit films : Pain, amour et fantaisie de Luigi Comencini (1953), Femmes entre elles de Michelangelo Antonioni (1955), Le Disque rouge de Pietro Germi (1956), Nuits blanches de Luchino Visconti (1957), Les Garçons de Mauro Bolognini (1959), Meurtre à l'italienne de Pietro Germi (1959), Au nom du Pape Roi de Luigi Magni (1977) et L'Arbre aux sabots de Ermanno Olmi (1978).

Distribution : Carlotta Films



À une heure où les derniers films de saison, couplés à une saison des récompenses naissantes, tentent de venir bousculer des tops ciné déjà - logiquement - bien rodés, quelques irréductibles distributeurs gaulois viennent nous offrir quelques ressorties réjouissantes avant que le glas de 2024 ne se fassent retentir.
Carlotta Films, qui nous a offert quelques-unes des plus belles ressorties de l'année, continue merveilleusement sur sa lancée - et on ne leur en remerciera jamais assez.

Dans une sorte de continuité - volontaire où non - autant à leur Partie 1 qu'à la belle rétrospective Le XIXème de Luchino Visconti, chapeauté par Les Acacias cet été, composée de quatre films essentiels du papa du néoréalisme (Senso, Le GuépardLudwig, le crépuscule des Dieux et L'Innocent), cette nouvelle rétro dégaine magnifique Nuits Blanches, vrai/faux film de la rupture pour Visconti (qui abandonna un temps le néoréalisme, avant de pleinement renouer avec pour le chef-d'œuvre Rocco et ses frères), qui n'hésite pas à s'offrir quelques embardées onirico-fantastiques et théâtrales tout en restant furieusement réaliste - vrai/fausse rupture donc.
Adaptation libre et minimaliste d'un roman de Dostoïevski flanquée dans les lueurs inquiétantes mais enivrantes du vieux Livourne, le film est une merveille de romance fanée et désespérée vissée sur les va-et-vient amoureux d'un triangle Marcello Mastroianni/Jean Marais (logiquement en retrait)/Maria Schell, le premier, noctambule gentiment rêveur et follement épris, tentant désespérément de faire oublier le second, absent, dans le coeur indécis de la troisième, persuadée qu'il reviendra vers elle même si la vie a longtemps contredit cet espoir.

Face à ce bijou mélancolique d'un amour contrarié et chimérique, le méconnu Femmes entre elles de Michelangelo Antonioni (et adapté d'une nouvelle de Cesare Pavese, Tra donne sole) ne dénote pas d'un iota de cette mélancolie fiévreuse, odyssée homérique dans la douleur dévastatrice des méandres de l'amour, une œuvre insaisissable flanquée dans la crudité d'un Turin bourgeois et automnal, que le cinéaste scrute au microscope avec une authenticité cinglante à travers les atermoiements d'une poignée de femmes et de leur rapport autant entre-elles (marqué par les différences sociales, une bienveillance fragile et une sincérité relative) qu'envers une masculinité fuyante et/où oppressante, à l'image même de la société patriarcale ambiante.
Plus solaire se fait Pain, amour et fantaisie de Luigi Comencini, comédie romantique légère d'après-guerre dominée par la présence ensorcelante d'une Gina Lollobrigida littéralement à tomber, et qui emporte sans forcer tous les cœurs - et les sens - des hommes qui croisent sa route (et à qui répond un De Sica tout autant inspiré).

Nuits Blanches de Luchino Visconti - Copyright Carlotta Films

Un petit édifice avenant et tout en farniente du néoréalisme rose, qui se laisse emporté par la simplicité et la beauté de l'amour, tout comme d'un humour savoureusement tendre et insouciant, sans pour autant laisser de côté sa veine sociale en verve, et la misère de son présent.
Un véritable bonbon sur pellicule rythmé et pétri de charme dont la vision tranche avec L'Arbre aux sabots, pépite palmée rugueuse et lyrique d'Ermanno Olmi, qui se revendique tout autant comme une fresque historique que douloureusement humaine, plongée fleuve (trois heures au compteur) au plus près des rythmes naturels du Bergame rurale du XIXe siècle, et contre-exemple parfait au néoréalisme encore vivace à la fin des 70s - on a souvent opposé son aura quasi-documentaire et sur le fil du rasoir, au 1900 de Bertolucci.

Un incroyable et lancinant drame au plus près de la vérité brute d'une culture paysanne qui était la sienne, le cinéaste enchaîne les portraits modestes d'une poignée d'âmes (campées par des comédiens•iennes non-professionnels, comme pour mieux renforcer leur universalité) acculées par la dureté violente de l'existence (et une évolution de l'humanité qui fait régresser tout esprit de morale et de solidarité) mais incroyablement résilientes, pour qui nature et religion ne font qu'un, pour qui la beauté réside dans les choses simples - l'amour des siens.
Aux " Femmes " d'Antonioni, Les Garçons de Mauro Bolognini - avec Pier Paolo Pasolini en co-scenariste, et cela se sent - répond avec une irrévérence marquée et un manque de sympathie envers ses personnages, qui l'est tout autant si ce n'est même plus.

Errance insouciante et sensuelle dans les rues de la capitale romaine clouée aux basques de jeunes hommes antipathiques à la liberté un peu trop assurée, qui cherchent - littéralement - à jouir de tous les petits plaisirs que peuvent leur offrir aussi bien leur jeunesse, qu'une Italie dont la décadence morale était déjà sévèrement amorcée - les prémisses de Accatone, tout simplement.
Plus étrange est, peut-être (même s'il sonde tout autant la déliquescence de la société romaine un siècle en arrière, mais ne boudons pas le plaisir de cette belle découverte), la présence de Au nom du Pape Roi du mésestimé Luigi Magni, œuvre foisonnante et plurielle façon plaidoyer " pas tout à fait mais presque " anticlérical subtil et puissant, vissé sur les tourments d'un juge au tribunal du Sacré Collège (magnifique Nino Manfredi) dont la foi envers son institution est vacillante, et qui se voit lancé par le destin dans la défense d'un jeune patriote appelé a être exécuté (il a participé à un attentat ayant tué 23 zouave), et qui s'avérera être in fine son rejeton.

Au nom du Pape Roi de Luigi Magni - Copyright Les Acacias / Carlotta Films

Confrontation frontale entre la violence d'un pouvoir épiscopal dominant et un mouvement révolutionnaire qui se doit d'utiliser la même force, qui vient faire écho au contexte bouillant d'une Italie divisée à la fin des années 70, tout en s'amusant à jouer entre les tons (drame intime et historique, comédie satirique,...) avec une maestria rare; le film a sans doute - assurément - servi d'influence charnière pour le cinéma de Paolo Sorrentino, trois décennies plus tard.
Suite et fin de cette rétrospective avec deux films de Pietro Germi, Meurtre à l'italienne et Le Disque rouge, un film noir sauce pastiche pas toujours inspiré d'un côté, et de l'autre un mélodrame social et familial de l'autre, dont la filiation au Voleur de Bicyclette de De Sica, est des plus évidentes.

Si l'on ne gardera pas forcément en mémoire l'enquête bordélique au cœur du premier, dont la critique de la médiocrité humaine de la bourgeoisie romaine enrobée dans les courbes d'un polar familier à la Simenon, s'avère in fine aussi convenue que son humour (n'est pas Billy Wilder qui veut); en revanche le second (dont on préférera bien plus le titre original, Il Ferroviere), mérite bien plus l'attention même s'il se laisse aller à un excès mignon de pathos.
Difficile de ne pas se laisser prendre aux tripes et au cœur par cette douloureuse et intimiste tragédie d'un cheminot - Germi lui-même - qui voit sa vie lui échapper à la suite d'un malheureux accident.
Un vrai morceau de cinéma optimiste et authentique à l'empathie jamais forcée, qui clôture à merveille cette seconde rétrospective tout en (re)découverte des pépites du cinéma rital.

Vivement la troisième donc, on est prêt Carlotta Films !


Jonathan Chevrier