[CRITIQUE] : Mémoires d'un corps brûlant
Acteurs : Sol Carballo, Paulina Bernini, Juliana Filloy, Liliana Biamonte,...
Distributeur : Nour Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Costaricien, Espagnol.
Durée : 1h30min.
Synopsis :
Ana a l’âge où l’on peut enfin vivre pour soi. Après tant d’années passées sous le joug du père, du frère, du mari, elle vit sa vraie jeunesse, s’épanouissant dans une féminité enfin libérée. Elle nous transporte d’une époque à l’autre en évoquant les souvenirs d’une vie entre tabous, sentiment de culpabilité et désirs secrets.
Critique :
Plus qu'un simple docu-fiction, #MemoiresDUnCorpsBrulant se fait une véritable leçon de vie et de féminité sage et lucide, en donnant la parole à 3 femmes dont l'intimité se fait l'expression chorale de générations étouffées par la violence, l'égoïsme et l'oppression patriarcle. pic.twitter.com/D0ZH6L9k8W
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) November 21, 2024
Dans une société contemporaine où l'idée même de séduire et d'être séduisante où séduisant (ne parlons même pas de la question de la sexualité, relégué au rang de tabou par une sorte de puritanisme bas du front), semble avoir une sorte de date de péremption qui équivaudrait à une retraite avant même la retraite (ou, plus crûment, tout simplement la ménopause chez la femme), la découverte d'un documentaire tel que Mémoires d'un corps brûlant de la cinéaste costaricienne Antonella Sudasassi Furniss, est à la fois des plus rafraîchissants mais aussi et surtout des plus éclairants quant à notre absurdité presque (totalement) institutionnalisée.
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Mais plus qu'un simple documentaire à viser didactique cherchant à rééduquer une pensée généralisée, ce second effort intime s'inscrit dans une optique résolument plus puissante et politique, en faisant le choix noble de donner la parole à des voix anonymes longtemps enfermées dans le silence, en faisant de l'intimité féminine de trois femmes - Ana, 68 ans, Patricia, 69 ans et Mayela, 71 ans -, aussi bien une force que l'expression chorale de générations étouffées par la violence, l'égoïsme et l'oppression patriarcle, entre répression sexuelle et autres responsabilités corporelles vissées au statut d'épouse devant contenter, se soumettre à toute figure masculine.
Une vérité vicieusement renforcée par le spectre de la religion, qui distillait la peur en lieu et place de la compréhension.
Prenant les courbes d'un docu-fiction singulier (qui n'a de cesse de jouer avec ses deux définitions, comme pour mieux ne pas être enfermé par l'une comme par l'autre) pensé, comme l'annonce la cinéaste elle-même, comme la conversation qu'elle aurait aimé pouvoir avoir avec ses propres grands-mères, Furniss ne montre jamais face caméra les trois femmes qu'elle a prise pour sujet, mais tisse délicatement leur voix ensemble à travers la représentation fictionnelle de leurs partages, de leurs expériences, de leurs existences.
Une représentation à l'imaginaire débordant, brisant avec élégance les barrières temporelles, emportée par une caméra virevoltante qui danse avec les souvenirs dans un ballet des sens qui n'est pas sans nous rappeler le tout aussi magnifique et nécessaire Les Filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania
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Tout du long des quatre-vingt petites minutes de bobine, ces trois femmes parlent avec une franchise et un humour rares, elles qui cherchent toujours la petite plaisanterie salvatrice venant désamorcer l'horreur de leur réalité d'hier, expriment sans réserve leur bonheur de pouvoir enfin goûter à la liberté d'être elle-même, de pouvoir jouir - dans tous les sens du terme - de leur corps et des possibilités de l'existence, de ne plus se sentir coupable (où d'être poussées à la culpabilité) de réprimer leurs désirs et envies, de s'affranchir du joug de l'homme grâce au poids des années et de la vieillesse qui s'apparente, littéralement, à une seconde vie au sein même de son crépuscule.
En résulte, sans forcer, une véritable leçon de vie et de féminité sage, une œuvre à la fois lucide, digne et absolument bouleversante.
La séance la plus indispensable et poétique du moment.
Jonathan Chevrier