[ENTRETIEN] : Entretien avec Mustii (La nuit se traîne)
© Corinne Cumming / UER / Eurovision.tv // © Mika Cotellon - 2024 - DAYLIGHT INVEST - FORMOSA PRODUCTIONS - QUAD FAM - GAUMONT - FRANCE 3 CINEMA - A PRIVATE VIEW - RTL BELGIUM - VOO |
Représentant belge lors de la dernière compétition de l’Eurovision, Mustii a su développer une carrière de chanteur aux propositions reconnaissables et aux morceaux de qualité. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’il a su également se démarquer en tant qu’acteur, aussi bien sur le petit écran (La trêve, Je voulais juste rentrer chez moi) que sur le grand (Grave). Actuellement à l’affiche du remarquable La nuit se traîne, nous avons pu discuter avec lui dans une conversation si sympathique que l’interview s’est vite transformée en discussion chaleureuse. De quoi espérer que cet entretien saura retranscrire la passion, l’enthousiasme et la convivialité de cette personnalité de talent.
À la lecture ici, ça m’a beaucoup fait penser à des réalisateurs que j’adore, les frères Safdie. C’est le même principe de chute permanente comme une tragédie où tu sais que tu vas vers l’inévitable chaos. C’est le genre de storyline que je kiffe à fond. - Mustiii
Comment es-tu arrivé sur le
projet ?
Je connais Michiel de l’IAD. On a
fait la même école, lui en réalisation et moi en théâtre. On n’était pas
exactement dans les mêmes années -je crois qu’on était à quelques années de
différence- mais on se connaissait un petit peu et on avait un réseau commun vu
que c’est un petit monde. On a pas mal de potes en commun. Je suis quand même
arrivé par casting. On se connaissait mais c’est normal, il faut faire des
essais car on n’a jamais travaillé ensemble. Donc j’ai fait un casting et puis
j’ai eu des retours par Michaël Bier, qui est un des plus gros casteurs bruxellois,
et le feeling était bon. En fait, j’avais déjà passé un casting pour son
court-métrage, T’es morte, Hélène, donc on se connaissait un
petit peu comme ça. On s’était déjà dit à l’époque que T’es morte, Hélène n’était pas le moment, ce n’était pas le profil qu’il recherchait
mais que ce serait cool de trouver à un moment l’opportunité pour travailler
ensemble. Il a été gentil, il a repensé à moi, j’ai refait le casting et ça
s’est bien passé. Ce que je trouvais aussi osé de sa part, c’est que, pour un
rôle comme ça, ce n’était pas à priori à moi qu’on allait penser ! (rires)
C’est vraiment un contre-emploi. C’est ce que je préfère faire mais je trouvais
ça plutôt osé et intéressant qu’un réal casse les à priori et les clichés qu’on
peut avoir. En même temps, j’étais dans Drag Race*, un truc très
flamboyant. On est loin du polar noir et du personnage de brute qu’il est. Je
trouvais donc ça super cool de sa part qu’il ose ! Je pense sincèrement
qu’il est passionné par les acteurs, par la transformation et la composition.
Par exemple, dans les pays anglo-saxons, ils n’ont pas cette crainte-là, ils ne
te mettent pas une étiquette. C’est plus difficile en France où on va te mettre
une étiquette et tu vas jouer tout le temps le même type de personnage. J’ai
l’impression qu’il a une influence anglo-saxonne. Je pense qu’il aime la
transformation, le contre-emploi et donc j’étais heureux qu’il me fasse
confiance sur un rôle comme ça, qui peut être à priori très loin de l’image que
je renvoie dans Drag Race ou à l’Eurovision ! (rires)
J’étais honoré car ce sont les rôles que je préfère. Il y a une transformation
physique, une vraie composition, une autre manière d’être. C’est le vrai job
d’acteur !
C’est intéressant car il
s’inscrit dans une masculinité assez virile, là où tu n’as jamais hésité durant
ta carrière à briser les codes du genre. Comment as-tu travaillé ton
personnage ?
Je trouve que le scénario de Michiel est tellement bien écrit. Les enjeux sont tellement clairs que le danger serait de plaquer quelque chose de beaucoup trop artificiel. Il faut quand même partir de sa personne, et je crois que c’est ce que Michiel voulait aussi, de mes tripes, de la façon dont je ressens les choses. Les enjeux sont tellement clairs dans son scénario qu’il n’y a pas grand-chose à faire finalement. Oui, il y a une transformation physique quand même. On a travaillé quelque chose, comme les grillz en métal sur les dents, le rasage de la tête, teindre ses cheveux en foncé, … Des éléments très pragmatiques et très physiques qui aident à se mettre dedans. C’est purement physique. Après, il faut faire confiance à la scène. Je ne me suis pas mis dans un état d’esprit « Je vais jouer le caïd masculin ». Non, je suis les enjeux de la scène car c’est suffisamment bien écrit pour que je n’aie pas grand-chose à faire. D’ailleurs, Michiel fait beaucoup confiance aux acteurs et c’est très plaisant aussi. Il nous laisse tester des choses et c’est très gai. Mais comme c’est suffisamment bien écrit, il n’y a pas 10000 choses à faire et la transformation s’est surtout faite physiquement. Il y a quand même eu une coquille physique car Michel Bui, qui fait beaucoup de cascades sur plein de films en Europe, m’a aidé à être plus au taquet physiquement car je n’ai aucune notion de bagarre. Je ne suis pas du tout un bagarreur alors que c’est un des fondements du personnage. C’étaient quand même des choses à chorégraphier, à millimétrer. Donc on avait Michel Bui qui nous aidait et il était parfait pour ça. Je ne me suis surtout pas dit qu’il fallait que je fabrique quelque chose de masculin. J’ai juste fait confiance au texte, aux enjeux de la scène et à la transformation physique qui aide. À partir du moment où j’ai placé les grillz en métal sur mes dents, ça donne déjà une autre manière de parler, d’être en fait. Je trouve ça plus intéressant quand c’est un élément très physique, très pragmatique qui change la manière d’être plutôt que de chercher ça dans la psychologie. Il faut juste faire confiance au texte et aux éléments pragmatiques comme le changement de cheveux. Michiel est hyper clair dans ses indications. La préparation a été plus physique, au changement du look. Il avait un peu peur donc il m’a demandé si je voulais bien me raser les cheveux car je les avais peroxydés longs. Je préfère le faire à fond. Ça ne sert à rien d’aller dans la demi-mesure, surtout pour un film comme ça. On s’est amusés, j’ai été faire un moulage de dents. J’ai trouvé en fait un côté très ludique et enfantin lié au jeu. Juste me transformer, essayer quelque chose de très différent, c’est ce que je kiffe vraiment.
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Tu as déjà commencé à répondre à
la question mais comment fonctionne Michiel comme réalisateur sur le
plateau ?
C’est cliché mais Michiel fait
confiance aux acteurs. C’est très pragmatique mais c’est aussi ce que je
préfère. Il ne va pas commencer à psychologiser les choses. Il parle des enjeux
de la scène avec les informations nécessaires pour qu’on puisse tester les
choses puis il nous laisse le cadre pour le faire. Il ne va pas empiéter ou
jouer à la place, ce que certains réalisateurs peuvent faire. Il fait confiance
aux acteurs, il sait pourquoi il nous choisit. Il nous donne le cadre et ça
devient un espace de jeu qui est hyper agréable car on sent sa confiance et sa
bienveillance. On peut juste tester sans trop se poser de questions. Quand il a
des leviers de jeu à donner, ce sont des choses très pragmatiques, très
concrètes, ce qui aide. Il n’est pas dans la psychologie gratuite. Parfois, ça
va être une action qui va développer quelque chose dans la manière d’être, de
se comporter. Il ne parle pas trop, il est dans l’observation, mais surtout, il
instaure un climat sur le plateau, que je trouve très rare, où tout le monde se
sent écouté. Je crois que c’est la première qualité pour un réalisateur :
il est attentif à tout le monde. Chacun a sa place, chacun est content d’être
tout le monde car il le fait sentir. Chacun ressent son importance. C’est le
rôle du réalisateur : que chacun se sente bien à sa place et soit content
d’être là. L’énergie de plateau était donc incroyable. Ce n’était pas facile
pourtant car tout le monde change de rythme pendant un mois. Parfois, je devais
mettre mon réveil à 3h du matin, aller sur le plateau à 4h pour tourner une
heure donc ça te met dans un état d’esprit assez étrange et il faut que
l’équipe soit bien solide et derrière son réal. Mais il a tellement une nature
bienveillante, intelligente et attentive que ça a permis que le bloc tienne.
J’étais content de me lever à 3h pour aller tourner à l’autre bout de
Bruxelles ! Ce n’était pas du tout un problème car il insuffle cette
énergie-là. Je pense aussi que tout le monde avait confiance en son film car on
sent que son écriture est forte, il sait totalement où il veut aller. Il ne
fait pas de l’esbrouffe. Il sait très bien ce qu’il veut et ça se sent. À
partir du moment où tu sens ça, tout le monde suit. Je crois que j’ai rarement
eu autant de plaisir et de facilité à tourner avec un réalisateur. Peut-être
que le fait qu’on se connaissait déjà un peu a enlevé une certaine barrière
mais même, tout le monde sur le plateau était ravi et enchanté, surtout dans un
film tendu. Déjà, ça se déroule la nuit donc les conditions sont difficiles mais
même les thématiques, les situations et les scènes, … Ce n’est pas « La
grande vadrouille » ! (rires) Mais, paradoxalement, il faut pour ça
que le climat soit dans une bienveillance, une détente absolue. Donc pour moi,
c’était une de mes meilleures expériences en termes de rapport comédien-réalisateur.
Parfois, certains réalisateurs aiment bien imposer un sentiment de hiérarchie.
Ici, chacun est un artisan, on fonde l’édifice comme il l’a pensé mais on n’a
pas ce sentiment d’être un subordonné, dans un schéma pyramidal. Je retiendrai
surtout qu’il est attentif à tout le monde et à chaque situation, tout en
anticipant chaque problème qui pouvait se poser. Je crois qu’il pourra m’offrir
un verre avec tout ça ! (rires)
Comment vois-tu ta propre
évolution dans ta carrière d’acteur ?
C’est assez étrange car j’ai un
rythme assez équilibré entre les projets musique et les projets films. Je peux
très vite me lasser quand je reste sur une seule discipline mais plus j’avance,
et c’était le cas sur le film ici, et plus je ressens que je préfère quand même
le jeu. C’est ce qui m’a épanoui quand j’étais petit, avec mes cours de
théâtre. Ça reste vraiment mon leitmotiv. Donc au plus j’avance, au plus je
pense que j’ai envie d’intensifier ça. Je ne lâche pas la musique mais je
trouve que j’apprends énormément, que je rencontre le plus de gens différents.
Je pense que c’est sur un plateau et au théâtre que je suis le plus heureux.
J’aime la musique et le studio, ça me passionne, mais je pense que ça me
reconnecte, comme je disais tantôt, à un côté plus ludique et enfantin. J’ai
commencé le théâtre comme un truc thérapeutique car j’étais très timide. Il y a
eu un déclic grâce aux cours et j’ai encore ce déclic en moi. Ça m’a aidé à
sortir de ma bulle. Je crois que ce truc lié à l’enfance, sans tomber dans de
la psychanalyse à deux francs, m’a libéré et que je le ressens physiquement.
Quand je dois réfléchir à un personnage, c’est unique. Au plus j’avance, au
plus j’ai envie d’intensifier et ne pas perdre ça. Parfois, la musique peut
prendre beaucoup de temps. Un album, c’est des mois de préparation et c’est
vrai que je pense laisser un peu plus de temps pour le jeu. Le film m’a rappelé
ça, que c’était de cette base que je venais, que c’est ce qui m’a aidé enfant.
Pour le moment, je dirais que mon évolution est un équilibre entre les deux
mais je pense que je me considère plus comme un acteur qui fait de la musique.
C’est ça qui me guide. Même ma musique a un aspect cinématographique, de
théâtralité, avec une idée de l’interprétation.
Tu es également passé par la
télévision mais aussi par Drag Race Belgique. Est-ce que tu
dirais que ces expériences t’ont aussi dirigé autrement ?
Ce que je recherche aussi, c’est à chaque fois de faire de grands écarts. Ce qui m’aide à évoluer et à avancer, c’est l’idée de sortir des cases et des catégories dans lesquelles on peut te mettre. Tourner ça avant d’aller faire le jury de T’es morte, Hélène et l’Eurovision, ce sont des choses dans des mondes complètement différents et c’est un leitmotiv pour moi car je veux me battre dans beaucoup de thématiques dans ma vie. Je me bats pour qu’il n’y ait pas d’étiquettes, qu’on puisse tester des choses. Il ne faut surtout pas s’enfermer. Je recherche ça, à expérimenter, quitte à ce que ça trouble aussi certaines personnes. Elles ont envie de te ranger dans un coin avant de te voir ailleurs. C’est aussi fonctionner au coup de cœur, sur le moment présent. Si ça te parle, il faut plonger et essayer, ne pas trop réfléchir non plus. J’ai l’impression que, si en France, on cherche plus à te caser comme je le disais tantôt, en Belgique, on est plus tourné vers les pays germaniques et anglosaxons, surtout en Flandre où on a des artistes pluridisciplinaires qui peuvent faire plein de choses différentes. Je veux vraiment continuer à imposer ça et faire plein de choses différentes. Ce sont les grands écarts qui m’intéressent, à la fois pour ne pas rester dans ma zone de confort mais aussi pour troubler. Les gens aiment simplifier et avoir une seule lecture alors qu’on a différentes facettes, on est multiples. On ne le sait pas ou on n’ose pas et il faut essayer.
Copyright Mika Cotellon - 2024 - DAYLIGHT INVEST - FORMOSA PRODUCTIONS - QUAD FAM - GAUMONT - FRANCE 3 CINEMA - A PRIVATE VIEW - RTL BELGIUM - VOO |
C’est un premier long-métrage,
comme Grave l’était pour Julia Ducournau. Comment captes-tu
l’énergie de ces premières créations ?
Avec Julia Ducournau, il y a un
vrai auteur derrière, et tu ressens la même chose avec Michiel. On sent des
références fortes chez les deux. Chez Julia, c’était évidemment du Cronenberg.
À la lecture ici, ça m’a beaucoup fait penser à des réalisateurs que j’adore,
les frères Safdie. C’est le même principe de chute permanente comme une
tragédie où tu sais que tu vas vers l’inévitable chaos. C’est le genre de
storyline que je kiffe à fond. Le point commun et l’intelligence de Julia et
Michiel, c’est que c’est hyper référencé car tu sens que ce sont des passionnés
de cinéma mais ils ne se font pas bouffer par leurs références. Je trouve
qu’ils les utilisent hyper sciemment et intelligemment. Dans le sous-texte, il
parvient à en faire quelque chose d’original, avec sa propre patte. J’aime bien
quand les références sont assumées, que c’est très fort de les digérer en
mettant leur propre patte. Je trouve que Ducournau et Michiel ont ça en commun.
Parfois, le danger des premiers films, c’est que ce sont des jeunes passionnés
qui vont vouloir tout mettre dès le début, toutes leurs références, et ça
bouffe le film. Ici, c’est hyper subtil. Tu as du Michael Mann, du Safdie, du
Spielberg, et c’est trop bien mais c’est dans le sous-texte. On sent le socle
dramaturgique qu’il a mais cela devient hyper original dans sa façon d’utiliser
tout ça. Je trouve ça hyper osé et intelligent, surtout dans le paysage belge
actuel. Je crois que ça va faire du bien parce qu’on a parfois tendance à se
flageller un peu, à ne pas trop oser ou penser qu’on doit se cantonner à un
seul style. Il a eu l’intelligence d’utiliser différents codes, d’être à la
croisée des chemins et d’y aller avec une influence anglo-saxonne qu’il ne faut
pas nier mais qui est plutôt bénéfique. Je crois que ça va mettre un coup dans
la fourmilière et susciter sans doute d’autres vocations. Parce que même dans
les écoles, on peut vite te mettre dans une culture de réalisateurs, pour
lesquels j’ai du respect, mais dans laquelle les étudiants peuvent se sentir un
peu restreints ou mis sur certains rails. Là, je crois que c’est le genre de
films qui va faire du bien pour montrer qu’on peut faire ça ici. Ça ne veut pas
dire faire comme les américains mais utiliser des références fortes, jouer avec
les codes et avec les genres. Je crois qu’il y a parfois une peur du cinéma de
genre que j’ai du mal à comprendre. On a le BIFFF qui est incroyable mais, en
termes de faisabilité et de création, c’est plus frileux. J’ai l’impression que
ça commence à changer avec ce genre de films.
Entretien réalisé par Liam Debruel.
Merci à Valérie Depreeuw de
Lumière pour cet entretien.