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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Quatre films noirs américains


Rétrospective Quatre films noirs américains : L'Emprise de John Cromwell (1934), La Rue Rouge de Fritz Lang (1945), L'Evadée d'Arthur Ripley (1946) et Le Piège d'André de Toth (1948).



Passé un plutôt bel été où la firme a sorti de son coffre à trésors quelques films noirs made in Argentine - Que la bête meure (1952) et Le Vampire noir (1953) de Román Viñoly Barreto, ainsi que Un meurtre pour rien de Fernando Ayala (1956) -, mais aussi et surtout une fantastique rétrospective Ninón Sevilla, La Vénus d’or du cinéma mexicain - L'Aventurière de Alberto Gout (1950), Victimes du péché de Emilio Fernandez (1951) et Prends-moi dans tes bras de Julio Bracho (1954) -; Les Films du Camélia reprennent les hostilités en ce mois de septembre au planning sensiblement dense, pour dégainer une petite rétro pas piquée des hannetons, et qui fait justement écho à leur célébration récente du cinéma argentin, mais aussi et surtout à celles des cinq films noirs mexicains concoctée l'année dernière.

Place donc à Quatre films noirs américains, composée de quatre films (c'est comme le Port-Salut, c'est écrit dessus) de cinéastes de renom : L'Emprise de John Cromwell (1934), La Rue Rouge de Fritz Lang (1945), L'Evadée d'Arthur Ripley (1946) et Pitfall aka Le Piège d'André de Toth (1948), comme autant de symboles d'une période historique et humaine traumatique.

Une nouvelle salve de pépites dont le premier titre appartient peut-être in fine plus au mélodrame (pas une surprise pour les initiés au cinéma de Cromwell) qu'au film noir, adaptation indirecte du roman Off Human Bondage de W. Somerset Maugham, un récit tourmenté tout en amour frustré, en dédain et en tromperie, vissé sur les atermoiements de Philip Carey (Leslie Howard, excellent), jeune peintre en herbe né avec un pied bot qui, après avoir accepté le fait qu'il n'ait aucun talent, part pour l'Angleterre, où il entreprendra des études de médecine à l'université.
Outre-manche, il tombera follement amoureux d'une jeune serveuse, Mildred (une renversante Bette Davis)...

Petit bijou de divertissement fiévreux et névrotique qui joue merveilleusement des nuances au point de rendre ses personnages à la fois attachants et méprisants (pas uniquement Mildred, tant ses contours manipulateurs sont tout aussi toxique que la fausse innocence obsessionnelle de Philip), autant par la force d'une narration fougueuse - jusque dans ses dialogues -, que d'une mise en scène savamment déroutante, au plus des corps et des visages (même si son parti-pris pour Philip, fosse parfois un peu trop la donne); L'Emprise, dominé par l'alchimie étrange de Davis et Howard, se fait un peu plus renversant que La Rue rouge, concocté par le plus Hollywoodien des cinéastes allemands (ne dîtes pas Roland Emmerich, respectez-vous), Fritz Lang.

La Rue Rouge de Fritz Lang - © Les Films du Camélia

Moins adaptation du roman de Georges de La Fouchardière, que remake de La Chienne de Jean Renoir, qui se fait un complément direct à son précédent effort - La Femme au portrait, pour lequel il renoue avec le même trio d'acteurs -, le film se fait une réflexion tout en manipulations plurielles et en aveuglément, sur la manière dont l'homme est pathétiquement esclave de ses besoins et de ses obsessions/passions destructrices, collé aux basques d'un personnage emasculé par un mariage sans amour (solide Edward G. Robinson), un peintre à ses heures perdues qui a le malheur de se voir enfermé dans l'emprise perverse d'un amour démesuré, lorsqu'il fait la rencontre d'une femme (une merveilleusement vénéneuse Joan Bennett) qu'il pense sauver d'une agression...

Moins sombre que son aîné et peut-être un poil trop expéditif dans ses enjeux, mais toujours fort de la maîtrise implacable de Lang pour jouer avec le groove du film noir (gestion de la tension et du rythme, propension à savoureusement jouer avec les conventions et la morale), le film use avec pessimisme de la beauté de l'amour comme d'un trompe-l’œil toxique face à la laideur bien réelle, de l'âme humaine.
Plus conventionnel est encore L'Evadée d'Arthur Ripley, exposition stricto sensu des codes du genre à la ligne près (un vétéran de la Seconde Guerre mondiale malchanceux et candide, une femme fatale qu'il faut aider, un époux gangster et violent qu'il faut fuir), jusqu'à un virage à 180 degrés (tout n'était que le fantasme d'un homme en pleine crise psychotique) qui ne fait que révéler les facilités marquées d'une écriture qui ne brillait déjà pas - où peu - pour ses enjeux.
Reste une magnifique Michèle Morgan, dont la lumière brille néanmoins fadement face à des interprètes masculins sans reliefs - excepté le toujours génial Peter Lorre.

Dernière pièce - et pas des moindres - de cette rétrospective, Le Piège aka Pitfall d'André de Toth - plus ou moins inspirée du roman The Pitfall de Jay Dratler -, qui s'en va détourner la traditionnelle figure de la femme fatale (défouloir sordide du patriarcat, qui retourne les pires instincts de l'homme contre lui-même, souvent capturé comme une figure dont l'innocence est facilement manipulable), en croquant une femme détruite par l'homme (magnifique Mona Stevens), un agneau vulnérable au milieu de chacals, fatale malgré elle dans une mélodie du malheur où une simple histoire d'adultère permet à De Toth de savater mignon les coutures d'un American way of life faussement puritain.

Des américains, définitivement, pas assez tranquilles...


Jonathan Chevrier


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