[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective 5 héroïnes de François Truffaut
Rétrospective 5 héroïnes de François Truffaut, composée de quatre films du cinéaste : Deux anglaises et le continent (1971), La Femme d’à côté (1981) et Vivement dimanche! (1983) et La Peau Douce (1964).
Distribution : Carlotta Films
À peine deux semaines après avoir dégainer une impressionnante frange de la filmographie de notre Marcel Pagnol national (toujours en salles, pour les cinéphiles les plus curieux et prévenus, car il y a douze films au compteur), à une heure où le soleil chante de manière assez prononcé sur un été qui n'en demandait pas tant, entre deux, trois (grosses) gouttes de pluie salutaire, Carlotta Films persiste et signe dans la mise en avant de la beauté de notre septième art national en célébrant rien de moins que François Truffaut, qui avait su égayer notre période de confinement à travers son passage remarqué sur la plateforme au Toudoum, Netflix.
Une réponse qui tombe à pic (le quarantième anniversaire de sa disparition), quasiment deux ans jour pour jour à sa superbe rétrospective d'août 2022, François Truffaut - Les années d'or, composée de La Mariée était en noir (1968), La Sirène du Mississipi (1969), L'Enfant sauvage (1970), L'Histoire d'Adèle H (1975), L'Argent de poche (1976), L'Homme qui aimait les femmes (1977) et enfin La Chambre verte (1978).
Pas forcément la filmographie la plus inabordable, et encore moins la plus difficile à dégoter de tous les noms gentiment rattachés à la Nouvelle Vague (en gros, on en chie quand-même un peu plus pour se faire des intégrales de Jacques Rivette, Alain Resnais ou encore Louis Malle, même si en ce donnant un peu de mal(lle), on trouve assez facilement son bonheur), et même si cette vérité ne s'applique évidemment pas à tous ces efforts (dont certains subissent mal aussi bien les affres du temps que ceux des secondes visions), il y a quelque chose d'intimement rafraîchissant dans le fait de se (re)plonger sans réserve au coeur de ses œuvres foisonnantes et éclectiques - et peut-être encore plus celles qu'il marque de son propre vécu.
Impossible de bouder son plaisir donc face à cette seconde rétro, intitulée 5 héroïnes de François Truffaut, qui met donc à l'honneur quelques-unes des plus grandes figures féminines du bonhomme, lui qui a souvent su croquer des personnages à la fois puissants, sensibles et mémorables; une rétrospective dégainée en deux temps et dans des versions toutes pimpantes (une restauration 4K au poil) : Deux anglaises et le continent (1971), La Femme d’à côté (1981) et Vivement dimanche! (1983) ce mercredi, puis enfin La Peau Douce (1964) dès le 4 septembre prochain - mais dont on parlera dans ce même billet également.
Avec Deux anglaises et le continent, Truffaut retrouve l'auteur de Jules et Jim, Henri-Pierre Roché, et adapte librement une nouvelle fois l'un de ses romans qui s'articule autour d'un triangle similaire à sa précédente adaptation, mais inversé : un homme cette fois-ci, français, et deux femmes anglaises.
Soit les tribulations d'un dandy libertain qui collectionne les femmes et les cœurs, et qui s'en va bousculer les destinées de deux sœurs anglaises bien plus puritaines et sensibles, qui vont passionnément s'amouracher de lui, Ann et Muriel Brown (magnifiques Kika Markham et Stacey Tendeter), dans un amour mortifère et tragique qui aura in fine raison de tout le monde.
Très Renoir dans son approche intime et violente autant que dans son sens aigu de la narration, et semblant tout droit sorti de la plume de Gustave Flaubert (le cinéaste le considérait comme son chef-d'œuvre ultime), il est, même plombé par quelques longueurs discutables, une brillante exploration des thèmes du désir, de la séduction et de la relation amoureuse, embaumé dans une mélancolie et une douceur ravageuse.
Une douceur moins perceptible au cœur de La Femme d'à côté, peut-être son observation la plus sombre et incandescente (l'ombre combinée de Stendhal et Hitchcock, plane langoureusement tout du long au-dessus du métrage), du sentiment amoureux et des affres (souvent) dévastateur de la passion, sans pour autant qu'il ne renie son légendaire goût du romanesque.
Véritable concrétisation d'une idée qui obnubilait le cinéaste depuis toujours (le concept de retrouvailles, par le olis grand des hasards, de deux amants s'étant jadis follement aimé, mais qui sont aujourd'hui engagés dans des unions maritales bien différentes), et articulée autour de la relation passionnée et adultère entre deux âmes qui ne peuvent, physiquement et sentimentalement, se refuser l'un à l'autre; le film, plus drame intime grave et mortifère que comédie enlevée digne dès débuts de la Nouvelle Vague, est une claque émotionnelle autant qu'une formidable histoire romantique, appelée à se terminer dans la tragédie la plus totale, destin tout tracé des amants maudits.
Exaltation d'un passé qui ressurgit et qui déchire tout sur son passage, passion fiévreuse d'une beauté au moins aussi troublante que celle de Fanny Ardant (absolument renversante, et son alchimie avec Depardieu est incroyable), La Femme d'à Côté, comme tout le cinéma de Truffaut en somme, fait de la nécessité de vivre l'amour pleinement, le moteur de toute vie, l'oxygène vitale que dévorent des hommes et des femmes qui ne peuvent être séparés les uns des autres.
Irradiant de beauté, mettant formidablement en exergue la souffrance des femmes étouffées par le monde contemporain, et des hommes qui ne les écoutent pas - même quand elles agonisent devant eux -; la péloche rend pesant chaque geste, chaque regard, dans un mélange d'amour et de violence intestines qui nous prend aux tripes et nous fend le coeur.
Une oeuvre magistrale qui fait mal - comme l'amour - rien de moins.
Plus insouciant est donc son ultime effort, Vivement dimanche!, tourné au crépuscule de sa vie (il décédera un an après sa sortie, en 1984, d'une tumeur au cerveau), qui reprend volontairement, non sans un souci caricatural (cette fois-ci, c'est la femme, la secrétaire aimante d'un patron suspecté du meurtre de sa femme et de son amant, qui prend les devant en menant l'enquête centrale), les codes du film noir des années 40/50 - jusque dans son noir et blanc élégant -, le film est joli et loufoque pastiche quoique un poil impersonnel, même si l'on retrouve son amour pour une mise en scène fluide et raffinée, autant que pour les dialogues légers et ciselés.
Un solide dernier film roublard et enjoué, un chant du cygne personnel et charmante, porté par le brillant couple Jean-Louis Trintignant/Fanny Ardant.
Le dernier long-métrage de cette jolie liste - mais le premier à avoir été produit, chronologiquement parlant -, La Peau Douce, quatrième long-métrage tourné un brin dans l'urgence juste avant Fahrenheit 451, est peut-être - sans doute - l'un de ses plus beaux exercices de styles et définitivement le plus impressionnant de cette salve de films.
Drame trouble et haletant à plus d'un niveau (son couple d'avec Madeleine Morgenstern battant de l'aile - le bonhomme est très volage -, sa vision n'en est que plus fascinante, replacée dans son contexte intime), concocté en pleine période Hitchcockienne du cinéaste, il est peut-être l'essai le plus sec et douloureux de sa filmographie, inspiré d'un faits divers de l'époque.
Jean Desailly et Françoise d'Orléac - qui sortait tout juste de L'Homme de Rio -, y sont fantastiques, respectivement en homme bourgeois timide et marié qui tombe éperdument amoureux d'une hôtesse de l'air, une passion qui mènera - littéralement - à sa perte.
Un point final d'une noirceur abyssale, pour une magnifique rétrospective.
Jonathan Chevrier
Distribution : Carlotta Films
À peine deux semaines après avoir dégainer une impressionnante frange de la filmographie de notre Marcel Pagnol national (toujours en salles, pour les cinéphiles les plus curieux et prévenus, car il y a douze films au compteur), à une heure où le soleil chante de manière assez prononcé sur un été qui n'en demandait pas tant, entre deux, trois (grosses) gouttes de pluie salutaire, Carlotta Films persiste et signe dans la mise en avant de la beauté de notre septième art national en célébrant rien de moins que François Truffaut, qui avait su égayer notre période de confinement à travers son passage remarqué sur la plateforme au Toudoum, Netflix.
Une réponse qui tombe à pic (le quarantième anniversaire de sa disparition), quasiment deux ans jour pour jour à sa superbe rétrospective d'août 2022, François Truffaut - Les années d'or, composée de La Mariée était en noir (1968), La Sirène du Mississipi (1969), L'Enfant sauvage (1970), L'Histoire d'Adèle H (1975), L'Argent de poche (1976), L'Homme qui aimait les femmes (1977) et enfin La Chambre verte (1978).
Pas forcément la filmographie la plus inabordable, et encore moins la plus difficile à dégoter de tous les noms gentiment rattachés à la Nouvelle Vague (en gros, on en chie quand-même un peu plus pour se faire des intégrales de Jacques Rivette, Alain Resnais ou encore Louis Malle, même si en ce donnant un peu de mal(lle), on trouve assez facilement son bonheur), et même si cette vérité ne s'applique évidemment pas à tous ces efforts (dont certains subissent mal aussi bien les affres du temps que ceux des secondes visions), il y a quelque chose d'intimement rafraîchissant dans le fait de se (re)plonger sans réserve au coeur de ses œuvres foisonnantes et éclectiques - et peut-être encore plus celles qu'il marque de son propre vécu.
Deux anglaises et le continent - © LES FILMS DU CARROSSE / CINETEL / CARLOTTA FILMS |
Impossible de bouder son plaisir donc face à cette seconde rétro, intitulée 5 héroïnes de François Truffaut, qui met donc à l'honneur quelques-unes des plus grandes figures féminines du bonhomme, lui qui a souvent su croquer des personnages à la fois puissants, sensibles et mémorables; une rétrospective dégainée en deux temps et dans des versions toutes pimpantes (une restauration 4K au poil) : Deux anglaises et le continent (1971), La Femme d’à côté (1981) et Vivement dimanche! (1983) ce mercredi, puis enfin La Peau Douce (1964) dès le 4 septembre prochain - mais dont on parlera dans ce même billet également.
Avec Deux anglaises et le continent, Truffaut retrouve l'auteur de Jules et Jim, Henri-Pierre Roché, et adapte librement une nouvelle fois l'un de ses romans qui s'articule autour d'un triangle similaire à sa précédente adaptation, mais inversé : un homme cette fois-ci, français, et deux femmes anglaises.
Soit les tribulations d'un dandy libertain qui collectionne les femmes et les cœurs, et qui s'en va bousculer les destinées de deux sœurs anglaises bien plus puritaines et sensibles, qui vont passionnément s'amouracher de lui, Ann et Muriel Brown (magnifiques Kika Markham et Stacey Tendeter), dans un amour mortifère et tragique qui aura in fine raison de tout le monde.
Très Renoir dans son approche intime et violente autant que dans son sens aigu de la narration, et semblant tout droit sorti de la plume de Gustave Flaubert (le cinéaste le considérait comme son chef-d'œuvre ultime), il est, même plombé par quelques longueurs discutables, une brillante exploration des thèmes du désir, de la séduction et de la relation amoureuse, embaumé dans une mélancolie et une douceur ravageuse.
Une douceur moins perceptible au cœur de La Femme d'à côté, peut-être son observation la plus sombre et incandescente (l'ombre combinée de Stendhal et Hitchcock, plane langoureusement tout du long au-dessus du métrage), du sentiment amoureux et des affres (souvent) dévastateur de la passion, sans pour autant qu'il ne renie son légendaire goût du romanesque.
La Femme d’à côté © LES FILMS DU CAROSSE / TF1 FILMS PRODUCTION / CARLOTTA FILMS |
Véritable concrétisation d'une idée qui obnubilait le cinéaste depuis toujours (le concept de retrouvailles, par le olis grand des hasards, de deux amants s'étant jadis follement aimé, mais qui sont aujourd'hui engagés dans des unions maritales bien différentes), et articulée autour de la relation passionnée et adultère entre deux âmes qui ne peuvent, physiquement et sentimentalement, se refuser l'un à l'autre; le film, plus drame intime grave et mortifère que comédie enlevée digne dès débuts de la Nouvelle Vague, est une claque émotionnelle autant qu'une formidable histoire romantique, appelée à se terminer dans la tragédie la plus totale, destin tout tracé des amants maudits.
Exaltation d'un passé qui ressurgit et qui déchire tout sur son passage, passion fiévreuse d'une beauté au moins aussi troublante que celle de Fanny Ardant (absolument renversante, et son alchimie avec Depardieu est incroyable), La Femme d'à Côté, comme tout le cinéma de Truffaut en somme, fait de la nécessité de vivre l'amour pleinement, le moteur de toute vie, l'oxygène vitale que dévorent des hommes et des femmes qui ne peuvent être séparés les uns des autres.
Irradiant de beauté, mettant formidablement en exergue la souffrance des femmes étouffées par le monde contemporain, et des hommes qui ne les écoutent pas - même quand elles agonisent devant eux -; la péloche rend pesant chaque geste, chaque regard, dans un mélange d'amour et de violence intestines qui nous prend aux tripes et nous fend le coeur.
Une oeuvre magistrale qui fait mal - comme l'amour - rien de moins.
Plus insouciant est donc son ultime effort, Vivement dimanche!, tourné au crépuscule de sa vie (il décédera un an après sa sortie, en 1984, d'une tumeur au cerveau), qui reprend volontairement, non sans un souci caricatural (cette fois-ci, c'est la femme, la secrétaire aimante d'un patron suspecté du meurtre de sa femme et de son amant, qui prend les devant en menant l'enquête centrale), les codes du film noir des années 40/50 - jusque dans son noir et blanc élégant -, le film est joli et loufoque pastiche quoique un poil impersonnel, même si l'on retrouve son amour pour une mise en scène fluide et raffinée, autant que pour les dialogues légers et ciselés.
Un solide dernier film roublard et enjoué, un chant du cygne personnel et charmante, porté par le brillant couple Jean-Louis Trintignant/Fanny Ardant.
Vivement dimanche! - © CARLOTTA FILMS |
Le dernier long-métrage de cette jolie liste - mais le premier à avoir été produit, chronologiquement parlant -, La Peau Douce, quatrième long-métrage tourné un brin dans l'urgence juste avant Fahrenheit 451, est peut-être - sans doute - l'un de ses plus beaux exercices de styles et définitivement le plus impressionnant de cette salve de films.
Drame trouble et haletant à plus d'un niveau (son couple d'avec Madeleine Morgenstern battant de l'aile - le bonhomme est très volage -, sa vision n'en est que plus fascinante, replacée dans son contexte intime), concocté en pleine période Hitchcockienne du cinéaste, il est peut-être l'essai le plus sec et douloureux de sa filmographie, inspiré d'un faits divers de l'époque.
Jean Desailly et Françoise d'Orléac - qui sortait tout juste de L'Homme de Rio -, y sont fantastiques, respectivement en homme bourgeois timide et marié qui tombe éperdument amoureux d'une hôtesse de l'air, une passion qui mènera - littéralement - à sa perte.
Un point final d'une noirceur abyssale, pour une magnifique rétrospective.
Jonathan Chevrier