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[ENTRETIEN] : Entretien avec Arnaud Larrieu, Jean-Marie Larrieu et Karim Leklou (Le Roman de Jim)

Copyright Pyramide Distribution

Récompensé au BRIFF, Le roman de Jim débarque prochainement dans les salles auréolé de retours positifs que nous ne pouvons qu’appuyer. Nous avons donc profité du passage des deux réalisateurs ainsi que de leur acteur principal à Bruxelles pour plonger un peu plus profondément dans ce drame de haute tenue.


De façon égoïste, quand j’ai lu le récit, j’étais vraiment très touché car je trouve ça assez rare des personnages de gentils mis en avant comme ça, surtout dans notre époque.  - Karim Leklou


Pourriez-vous nous raconter votre rencontre avec le roman de Pierric Bailly, à l’initiative du film ?

Jean-Marie Larrieu : Et bien, on nous l’a envoyé ! On l’a reçu par la maison d’édition mais en réalité, on a compris que c’était l’auteur qui nous avait mis en tête d’une liste. Donc c’est plutôt lui qui nous a choisis. Il est très cinéphile, il aimait bien nos films et il s’est avéré, à juste titre, que c’était pour nous. D’ailleurs, il a été assez patient parce qu’au début, on avait dit oui mais cela a pris du temps. Il est toujours resté, il attendait et il a eu raison.

Comment s’est passé la rencontre avec Karim et les conversations autour du scénario ? J’ai entendu que ça a été très rapide.

J.-M. L. : Exactement ! Ça a été très lent avant de le rencontrer. On avait rencontré d’autres acteurs, on a eu des soucis de casting. Le scénario a pris un certain temps à écrire, ce n’était pas facile de transposer un roman qui n’avait quasiment pas de scènes, qui se déroulait au fil des jours. Nous, on inventait : « Ce jour-là, il rentre, il rencontre… ». Le roman n’est pas du tout écrit comme ça. Ça, c’était au travail d’écriture. Après, qui pour incarner Aymeric ? Avec cette histoire-là, on a cherché. En général, avec Arnaud, on est toujours d’accord mais sur ce coup-là, on a senti que chacun était dans une direction opposée. Il y avait quelque chose qui n’était pas évident. On nous a parlé de Karim depuis le début en réalité. On n’avait eu que des images, on ne s’était pas rencontrés. Avant de prendre une décision qui n’était pas claire pour nous, on s’est dit qu’on allait le rencontrer.

Arnaud Larrieu : On n’était pas d’accord.

J.-M. L. : On n’était pas d’accord comme si quelqu’un soutenait à sa manière. C’était drôle car il y avait quelqu’un qui était vraiment Aymeric mais qui n’avait pas l’aura, la présence d’un acteur, presque trop dans la vie, et d’autres qui étaient acteurs mais qui allaient faire un travail de composition pour aller jusqu’à Aymeric. Bref, on a pris un café avec Karim à 2h du matin et au bout d’un quart d’heure, on s’est regardés avec Arnaud et c’était évident que c’était Karim qu’il fallait, dans la manière de le regarder, de le ressentir, dans sa façon de parler du scénario. Il en parlait de l’intérieur.

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Et vous, Karim, quelle est la chose qui vous a fait tomber amoureux du script ?

Karim Leklou : Plein de choses. Premièrement, j’étais très touché par le personnage. De façon égoïste, quand j’ai lu le récit, j’étais vraiment très touché car je trouve ça assez rare des personnages de gentils mis en avant comme ça, surtout dans notre époque. Il y a presque quelque chose de piquant dans le mot « gentil », il y a de la résilience, il y a celui qui fait face, celui qui risque aussi de ne pas aller assez au bout des choses, … Il y a plein de dimensions à cette gentillesse. C’est un trait commun d’humanité qu’on ne met pas assez souvent en avant comme ça. Là, d’avoir un personnage principal avec cette caractéristique et beaucoup de sous-couches à jouer, je trouvais ça passionnant. Le récit : un film qui interroge au-delà des liens du sang, au-delà d’un sentiment de paternité, d’un sentiment sur le regard masculin. On se demande ce qui fait un père, quand on n’est pas forcément père, comment apprendre à l’être. Il y a aussi ces liens entre les personnes à une échelle très locale, qui me parait être un destin universel. J’aimais beaucoup l’intelligence du scénario et de leur écriture, cette capacité qu’ils ont à mettre des personnages qui sont sans cesse bousculés comme dans la vie par les événements, qui font avec et essaient de vivre avec. Là aussi, j’avais le sentiment d’un destin universel et qu’il y avait une intelligence émotionnelle très forte dans le scénario. Il y a aussi le challenge en tant qu’acteur de suivre ces 25 ans de vie. Quelque chose que j’aime beaucoup, c’est qu’ils ont fait du romanesque avec des petites gens, ces vies simples, et toute la profondeur de leur écriture. En les rencontrant, on a échangé comme l’a dit Jean-Marie sur le scénario et cette rencontre m’a plu. J’ai vu que l’humanité sentie au scénario n’était pas feinte et que ce n’était pas un mélo facile. En plus, ils y ont ramené toute leur poésie, leur humour, et du coup, cela n’enfermait pas les choses dans du misérabilisme et de la douleur. Je trouve qu’ils en parlent très bien à la fin. Il y a quelque chose de beau dans cette toute dernière scène. Ils avaient aussi la pudeur de l’émotion. C’était déjà palpable à l’écriture et, en les rencontrant, j’ai été marqué aussi car ce sont des gens qui regardent la rue. Quand on a pris ce café, ils regardaient la rue, ce qu’il s’y passait, ils disaient « bonjour » aux serveurs, « merci », « au revoir », des choses qui peuvent paraître banales mais qui sont parfois oubliées. J’étais très touché par leur capacité à regarder les gens et ça s’est confirmé sur le tournage. Ce ne sont pas des gens qui sont amoureux du pouvoir. Ça aussi, c’est quelque chose que j’ai adoré chez eux : ils ne s’adaptent pas, ce sont les mêmes avec un régisseur, l’acteur principal ou la chef op. Je trouve que toute cette humanité n’était pas feinte et ce sont des choses que j’ai ressenties très rapidement dès ce café. Quand le soir, j’ai su que c’était bon, j’étais très content ! Après, j’ai essayé de les emmerder un peu en parlant d’écriture (rires) mais cette fois-ci, je n’ai pas trop réussi.

J.-M. L. : On t’a écouté !

K. L. : Oui mais je crois que j’ai juste eu un blocage au scénario. Ils utilisaient une voix off assez puissante dans le film à plein d’endroits et permettant de faire des ellipses tout en racontant beaucoup de choses. J’avais une difficulté sur la sincérité des 20 ans par le corps. Je me disais que la trentaine allait passer, que la quarantaine allait aller mais la vingtaine, je voyais mon corps et je me disais que si un adulte comme moi a 20 ans, il est en fin de vie ! Il est passé par des épreuves extrêmes et c’est compliqué ! (rires) Donc je leur ai demandé d’écrire une phrase pour moi y croire et être totalement sincère. Du coup, ce que j’ai adoré, c’est que ça permet de sortir du code d’un naturalisme absolu et d’être dans une convention avec le spectateur qu’on est dans le souvenir. Et puis, ils ont inventé cette phrase que je trouve sublime : « J’avais 20 ans, je ne sais plus à quoi je ressemblais ». Cette phrase dit beaucoup pour un mec qui prend des photos de tout le monde, sur qui il est, cette personne altruiste tournée vers les autres mais qui oublie de se regarder, qui oublie presque son propre désir. Je trouvais ça très beau ce qu’ils ont réussi à mettre en une phrase. Je crois que je les ai même sous-estimés car je les embêtais avec telle ou telle phrase mais quand j’ai vu pour la première fois le film, je me suis dit qu’ils étaient vraiment bons dans leur écriture. Il y a vraiment un truc dès le scénario où l’on sent que c’est vraiment bien travaillé comme objet. La sensation, c’est que l’émotion était palpable en refermant le scénario, elle n’était pas feinte. Du coup, après, c’était presque assez facile à dérouler. C’est étonnant : les mecs font un truc sur 25 ans de vie mais en tournant, j’avais toujours l’impression d’être dans l’instant présent, qu’il n’y avait pas l’anticipation de la scène d’avant ou de la scène d’après. C’était super car, du coup, ça demande une construction de l’instant alors qu’on avait un film étendu sur 25 ans. Et de nouveau, cette dimension romanesque en milieu populaire, cette intelligence émotionnelle, ce sont des choses qu’on accorde peu. L’intelligence émotionnelle de ces personnages, leur honnêteté, … Quelle chance ! Très vite, ils m’ont parlé des castings et des gens qui allaient m’entourer. J’ai pris des claques sur le plateau. Laetitia par exemple, m’a donné une grosse, grosse claque, par sa manière de se mobiliser, tout le temps. Elle vous aime messieurs.

J.-M. L. : Ça faisait longtemps qu’on voulait tourner ensemble et ça s’est fait.

K. L. : C’était joli car elle m’a dit au début du tournage que vous étiez des gens avec qui elle rêvait de travailler. Elle ne se mettait pas une pression mais je sentais quelque chose de viscéral l’habiter dans chaque scène, elle se posait des questions, elle parlait tout le temps du personnage. Il y avait aussi Sara (Giraudeau) qui arrivait comme un soleil sur le film. Il y a une qualité de corps, d’interprétations, de gens différents, … C’est beau de filmer autant de corps différents, c’est la vie ! Il n’y a pas que des beaux gosses. Cette multitude de corps, c’est un propos politique déjà de montrer ça. C’est un côté humain que je trouve intéressant.

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Il y a un autre point que j’aimerais souligner, c’est le rapport à la photographie qui revient avec de nombreux surcadrages par le biais des fenêtres ouvertes. Ça appuie ce côté observateur d’Aymeric selon moi et je me demandais s’il y avait moyen d’en parler un peu plus.

A.L. : Je ne pense pas que ce soit lié aux personnages pour nous ces choses-là. Nous, c’est le rapport au lieu, à la mise en scène. On aime toujours savoir où on est, quelle heure il est, … L’idée d’ouvrir les fenêtres pour les jours d’élection est venue avec la brume qui était très présente. Jim passe par la fenêtre, il est légèrement dehors, eux sont dedans. L’atmosphère était là avec des choses très simples, pas des effets de mise en scène. C’est un film avec très peu d’effets, la mise en scène est toujours discrète.

J.-M. L. : Mais c’est vrai que la maison nous plaisait et était plutôt basse par rapport aux prés. Il y a des fenêtres partout, dont une que Jim franchit quand elle perd les eaux. Ça nous plaisait beaucoup qu’il n’arrête pas de traverser l’intérieur et l’extérieur.

A.L. : Dans cette maison, personne ne passe par la porte !

J.-M. L. : C’est vrai qu’il y a un rapport à la fenêtre et quand il y a un nouveau membre qui arrive ou quand elle va rompre, on repasse par la fenêtre.

A.L. : Il y a aussi cela dans l’appartement de Florence. La décoratrice s’est posé la question des rideaux, surtout qu’elle va se dévoiler et qu’on est en centre-ville, mais on voulait tellement que la rue soit très présente, que la lumière de cette petite ville soit là. On voulait montrer que c’était la nuit silencieuse dans une petite ville de province et c’était vachement important de l’avoir. Dans les chambres, il y a les volets mais on voit quand même les fenêtres.

J.-M. L. : La première chose qu’on voit dans les décors, ce sont les fenêtres et le point de vue amené par celles-ci mais cela n’est pas vraiment lié à la photographie.

Il y a aussi ce rapport dans la gestion des décors qui permet de faire respirer ou étouffer vos personnages. Par exemple, Aymeric m’a paru très écrasé dans la gare…

J.-M. L. : Le décor le plus dur pour tout le monde ! D’abord, c’est intuitif car Pierric pensait qu’on allait adapter le livre dans les Pyrénées mais on lui a dit qu’on voulait aller dans le Jura en lui demandant qu’il nous montre les lieux auxquels il avait pensé. Les premières rencontres qu’on a fait des lieux avec Pierric, c’est quasiment tous ceux qu’on a choisi. C’est une montagne par exemple où il y a les usines pas loin, ce qui permettait d’avoir un personnage intérimaire en usine et qui, le soir, remontait sur des plateaux montagneux. On n’a pas vraiment ça dans les Pyrénées. Du coup, on avait très envie de filmer ça et, en parlant, on se rend compte qu’il y a toute une réalité française aussi avec l’industrie qui a décliné. Notre première scène en usine, on arrive dans un grand bâtiment avant de voir qu’il n’y a que trois ouvriers dans des hangars énormes. C’est la réalité contemporaine. Il y a des gens qui vont, qui viennent, et c’est encore pire dans les grandes villes. On a tourné à Lyon dans la gare et c’est vrai que le lieu… Il tient son rôle mais je me souviens que c’est plus dur pour tout le monde, à éclairer, etc…

A.L. : Mais ça reste quand même une gare avec des trains qui partent.

J.-M. L. : Oui, il y a des allers venus.

A.L. : Normalement, la situation doit se stabiliser avec la garde alternée mais le lieu s’appelle quand même « Le départ ».

J.-M. L. : C’est terrible car c’est un endroit de 50 mètres et c’est là qu’il va être séparé de son fils.

K.L. : Je la trouvais belle cette gare.

J.-M. L. : On l’aimait bien !

K.L. : C’est une gare des années 80,90 par rapport à la gare Pardieu qui est beaucoup plus moderne, avec des écrans. Ici, on a un affichage qui appartient à un temps presque intemporel. J’aimais bien cette dimension.
J.-M. L. : Après, on a aussi été obligé car on est quand même dans un film d’époque, on démarre dans les années 90 et on voulait garder cela. La gare Pardieu n’est plus du tout la même qu’il y a 20,30 ans. Il fallait faire gaffe à plein d’endroits. Dans le Jura, il y a toutes les époques. On a visité des endroits qui sortent tout droit des années 60. Ce sont des endroits où l’histoire est restée.

A.L. : La maison sur la colline, la première fois qu’on l’a vue, on y arrive par le chemin qu’on voit dans le film et ça fait vraiment la maison de western. On s’est dit que notre petite famille à 3 puis à 4 pourrait exister dans cet endroit joli mais aussi flippant quand même.

J.-M. L. : On a cette phrase « On a réussi à passer l’hiver avec Jim », on peut se demander « Mais wouah, c’était quoi durant l’hiver ? » (rires)

Entretien réalisé par Liam Debruel.

Merci à Valerie Depreeuw de Paradiso ainsi qu’à l’équipe du BRIFF pour cet entretien.