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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Val Abraham


Réalisateur : Manoel de Oliveira
Avec : Leonor Silveira, Luís Miguel CintraCecile Sanz de Alba, Luis Lima Barreto,…
Distributeur : Capricci Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Portugais, Suisse, Français.
Durée : 3h23min

Date de sortie : 1er septembre 1993
Date de ressortie : 10 juillet 2024

Synopsis :
Ce film est présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2023 en séance spéciale.

Dans la région du Douro, Ema grandit avec son père dans une atmosphère de grande sensibilité poétique. Séduisante et innocente, elle développe un goût irrésistible pour les fictions romantiques mais ne trouve jamais de satisfaction avec les hommes. Devenue femme, elle épouse un médecin qu’elle n’aime pas, avec qui elle déménage dans la vallée d’Abraham. Menant une vie mondaine, Ema connaîtra trois amants dans une constante recherche de passion, de luxe et de défis.

Adaptation libre de Madame Bovary de Gustave Flaubert dans le Portugal de la seconde moitié du XXe siècle.



Critique :



Quel bonheur pour tout spectateur un minimum averti, de voir que ce riche mois de juillet dans les salles obscures, est finalement tout autant composé de blockbusters et autres sorties plus traditionnelles, que d'une imposante salve de ressorties d'horizons et de genres divers, séances souvent indispensables pour parfaire une cinéphilie qui ne s'enrichit vraiment qu'au travers d'expériences éclectiques.

Entre un chef-d'œuvre Napoléonien par Abel Gance, une anthologie énervée par le japonais fou Takashi Miike voire même une célébration de la merveilleuse comédienne mexicaine Ninón Sevilla (la " Vénus d'or " du cinéma mexicain), où encore un petit bijou signé Kusturica; c'est simple, le choix est pluriel et royal cette semaine, pour peu que l'on se donne la peine de le voir.
Preuve en est avec une autre proposition issue du pays des Œillets, Val Abraham de feu le cinéaste chevronné Manoel de Oliveira, adaptation fleuve du roman éponyme - Vale Abraão - d'Agustina Bessa-Luis, pensé comme une variation moderne et lancinante, flanquée dans un Portugal contemporain - les 70s - et sur les bords du Douro, du monument Madame Bovary de Gustave Flaubert (consciemment cité dans le film).

Un véritable condensé de son cinéma en somme, entre la satire sur la bourgeoisie portugaise du magnifique Le Passé et le Présent, la poésie romantique intemporelle (et Bressonnienne) de Amour de perdition, et la frustration douloureuse d'un Francisca (déjà adapté d'une œuvre de Bessa-Luis).
Méditation lancinante et mélancolique, la narration au verbe chatoyant et philosophique, est vissée sur les atermoiements sentimentaux et sensuels d'une figure à la fois triste et ambitieuse, Ema - surnommée la « bovariette ».

© Gemini Films - Madragoa Filmes - Light Night - Capricci Films 

Une jeune femme enfermée dans un mariage sans amour, qui attire tous les regards et fait chavirer les cœurs et les têtes de tous les hommes qu'elle croise.
Pour échapper à sa vie monotone et à son mariage, elle fabrique son propre romanesque, s'implique plus ou moins franchement dans de nombreuses relations adultères.
Mais aucune d'elles, évidemment, ne sont bâties pour la rendre heureuse ni même pour combler ses fantasmes de liberté, et ce jusqu'à son trépas tragique.

Le symbole douloureux d'une existence vécue uniquement à travers le prisme oppressif des hommes qui la désiraient, l'aimaient sans jamais vraiment chercher à la comprendre.
Le symbole furieusement ironique d'une femme dont la beauté singulière fut le plus grand des fardeaux, tant elle l'a condamné à se frotter à la lâcheté des hommes et à leur considération superficielle.

Tout en délicatesse et en suggestion, pas si éloigné d'un sensiblement plus brut Buñuel dans son télescopage saisissant et - volontairement - piquant de la bourgeoisie, pour mieux appuyer l'isolement de son héroïne (et sonder avec subtilité et pudeur la condition féminine au cœur d'une société répressive, où la beauté se fait à la fois un pouvoir attractif et vain), figure insaisissable et insondable incarnée par une Leonor Silveira proprement incandescente, qu'il dote d'une conscience de soi et d'une force bien plus poussée que chez Flaubert; Val Abraham, embaumé dans l'élégante photographie de Mario Barroso, se fait la merveilleuse quête d'idéal déchue d'une âme qui se dérobe peu à peu au réel, dont la flamme du désir s'éteint face au souffle de l'ennui.
Plus qu'une (re)découverte, une séance essentielle de l'été ciné 2024.


Jonathan Chevrier