[CRITIQUE] : Only the river flows
Réalisateur : Wei Shujun
Acteurs : Zhu Yilong, Chloe Maayan, Hou Tianlai, Tong Linkai,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Policier, Thriller, Drame.
Nationalité : Chinois.
Durée : 1h42min.
Synopsis :
En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, est chargé d'élucider l'affaire. Un sac à main abandonné au bord de la rivière et des témoignages de passants désignent plusieurs suspects. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine et s'enfonce dans le doute...
Critique :
Obsédant, #OnlyTheRiverFlows, au-delà d'incarner un solide polar noir, se fait le portrait autant d'une Chine qui détruit plus qu'elle ne construit face à l'incertitude de l'avenir, que d'un flic lessivé, lentement dévoré par le mal qu'il avait pourtant entrepris de combattre. pic.twitter.com/vM0epvBKWr
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 10, 2024
Quand bien même le bonhomme en est encore qu'aux prémisses de sa carrière, un lien fort semble déjà se nouer entre le cinéaste chinois Wei Shujun, et une Croisette cannoise qui l'a célébré (et récompensé) plus d'une fois, et qui n'est définitivement pas la dernière pour dénicher des jeunes talents issus du pays du soleil levant.
Passé par la case Un Certain Regard en mai 2023 (oui), et pas si éloigné sur certains points, de son Courir au gré du vent dans sa manière d'examiner par la force du septième art, la situation sociale et politique de la Chine moderne, Only the river flows prend cela dit non pas les courbes d'un drame existentiel, mais celles d'un thriller d'auteur sensiblement dans la veine du chef-d'œuvre Memories of Murder de Bong Jong-ho, avec qui la comparaison est presque inévitable.
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Une comparaison facile mais pas totalement gratuite pour autant, que ce soit du côté de son atmosphère sombre et pluvieuse, de son intrigue peu ou prou similaire - une enquête entourant une série de meurtres mystérieux -, mais aussi et surtout pour son exploration trouble de la psyché désabusée d'un flic lessivé par une vie qui n'a de cesse de lui asséner des coups (même sa paternité à l'heure de la politique de l'enfant unique, est menacée par des maux qu'il ne peut combattre), lentement dévoré par le mal qu'il avait pourtant entrepris de combattre.
Flanquée au cœur du sud de la Chine, dans la petite ville de Bampo, à la fin des années 90, l'intrigue est clouée aux basques du chef de la section criminelle, Ma Zhe, chargé d'élucider les trois meurtres qui ont bousculés la vie locale, alors que la série de témoins semblent converger sur plusieurs suspects différents, histoire de complexifier encore un peu plus les choses.
Offrant un regard sans concession de son pays où la méfiance envers la figure policière se fait le symbole douloureux du modus operandi de toute une société répressive où le manque de liberté vient amplifier la désespérance d'un peuple acculé et donc, de facto, la violence/colère qui l'anime; Only the river flows nage sans remous en terres connues, conserve la touche résolument moderniste de son cinéaste tout en épousant les contours plus traditionnels du genre, avec une mise en scène méticuleuse et appliquée (rythme lancinant, pas ou peu d'action, plans larges semi-théâtraux, paysages reflétant la beauté et la rugosité du pays, pellicule 16mm qui ne refait que renforcer son penchant pour le polar noir), et des personnages savamment croqués.
Bong Jong-hoo n'est jamais très loin donc, mais Jia Zhangke encore moins.
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Puissant et obsédant, Wei Shujun tire même de son double portrait, celui d'une Chine qui détruit plus qu'elle ne construit face à l'incertitude de l'avenir, et d'un flic tellement oppressé qu'il glisse jusqu'aux confins de la folie, une référence métacinématographique assez folle, sur le rôle à jouer d'une salle obscure lui-même à l'agonie : un trésor de la mémoire culturelle - mais pas que - nationale, qui devient un territoire où plus personne ne se rend, réduit à être le cadre d'une misère humaine que l'on peine autant à combattre qu'à comprendre.
La marque d'un grand cinéaste en devenir.
Jonathan Chevrier