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[CRITIQUE] : Dissidente


Réalisateur : Pier-Philippe Chevigny
Avec : Ariane Castellanos, Marc-André Grondin, Nelson Coronado, Ève Duranceau,…
Distributeur : Les Alchimistes
Genre : Drame
Nationalité : Canadien, Français
Durée : 1h29min

Synopsis :
À Richelieu, ville industrielle du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. Tiraillée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes.


Critique :




Chaque année, des centaines d’hommes guatémaltèques traversent les frontières pour travailler dans le milieu agricole au Canada. Un programme qui dure quelques mois, pendant lesquels ils doivent renoncer à leur liberté. Surveillés, discriminés, abusés, ils repartent néanmoins chez eux avec un salaire conséquent. Un secret de polichinelle passé sous le tapis que la crise sanitaire a dévoilé au grand jour grâce à des enquêtes journalistiques.

Copyright Les Alchimistes

Premier long métrage de Pier-Philippe Chevigny, réalisateur québécois, Dissidente nous entraîne dans l’engrenage d’un système qui fonctionne sur le silence. Ne pas parler, ne pas faire de vague. Sinon, on y perd son travail. Mais si Ariane (Ariane Castellanos) a besoin de quelque chose, c’est bien de son salaire. Après une rupture difficile, qui l’a laissée sur la paille, Ariane est revenue dans sa ville natale, Richelieu, et a trouvé un poste dans une usine agro-alimentaire. L’argent est un besoin vital pour le personnage, elle doit rembourser les lourdes dettes de son ex-compagnon. Un enjeu que le récit installe dès le préambule pour mieux comprendre la position précaire d’Ariane et ses choix futurs.

Le réalisateur emprunte aux frères Dardennes une mise en scène étouffante, avec une caméra mobile concentrée sur Ariane. Le choix du format (carré), les choix de cadrage (assez serré) forment une tension palpable, que l’on aperçoit sur le visage fermé d’Ariane. Son patron, Stéphane (Marc-André Grondin), la trouve trop sensible pour le poste, uniquement parce que le stress craquelle son masque et dévoile les failles d’une femme qui pense avoir tout perdu. Elle est double. L’Ariane professionnelle, parlant espagnol à ses employés en leur faisant croire qu’elle gère. Puis l’Ariane humaine s’aperçoit des dérives, voit les injustices et finit par se trouver sur la ligne de crête de la rébellion politique. Les deux figures du personnage n'arrivent plus à coopérer et la deuxième prend le pas sur la première, à la plus grande joie du spectateur.

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Car il est difficile de ne pas s’insurger face aux conditions aberrantes imposées aux travailleurs guatémaltèques. Ils payent une cotisation syndicale, mais n’ont pas le droit de se syndicaliser. Ils payent un loyer exorbitant alors qu’ils habitent tous sous le même toit et partagent chambres et salle de bain. Ils n’ont pas le droit de retourner dans leur pays, même pour un décès. Les horaires sont contraires aux lois du travail et le travail en lui-même est harassant et inhumain. Pendant la plus grande partie du film, nous assistons à une forme d’esclavagisme moderne, acceptée par tous et toutes parce que le secteur est en crise et que c’est le seul moyen de garder l’usine en activité. Voir Ariane devenir la voix dissidente et lutter contre le système apporte un vent de fraîcheur dont le film avait bien besoin. Parce que Pier-Philippe Chevigny, pour qui la réalité importe, rentre tête la première dans la tragédie et nous montre ce qui peut arriver de pire, avec une caméra sans pitié qui filme jusqu’à la dernière goutte de sang que vomit par litre un ouvrier.

La lutte de notre Dissidente est cependant solitaire. Un seul pion ne peut rien sauver sur l’échiquier du capitalisme. Solitaire, oui, mais à l’écran. Car le feu traverse la toile, embrase nos cœurs et réclame justice. Ce qui en fait un film social d’une grande efficacité.


Laura Enjolvy