[CRITIQUE] : The Bikeriders
Avec : Austin Butler, Jodie Comer, Tom Hardy, Michael Shannon, Mike Faist,…
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : 40M$
Genre : Policier, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h56min.
Synopsis :
Dans un bar de la ville, Kathy, jeune femme au tempérament bien trempé, croise Benny, qui vient d’intégrer la bande de motards des Vandals, et tombe aussitôt sous son charme. À l’image du pays tout entier, le gang, dirigé par l’énigmatique Johnny, évolue peu à peu... Alors que les motards accueillaient tous ceux qui avaient du mal à trouver leur place dans la société, les Vandals deviennent une bande de voyous sans vergogne. Benny devra alors choisir entre Kathy et sa loyauté envers le gang.
Critique :
Coupé en 2 parties, rassemblement et confrontation, #TheBikeriders se mue, l’innocence devient violence, la naïveté devient masculinité toxique. Alors qu’il crée un mythe dans son Amérique des 70s qui aspire à la liberté, Nichols nous en montre aussi les limites. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/JxWckN03Jv
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 15, 2024
Jeff Nichols semble hors du temps. Pourtant plus reconnue par ses pairs que celle de Kelly Reichardt, l'œuvre de Jeff Nichols reste éloignée d'une reconnaissance mainstream. Les deux cinéastes partagent une filmographie consacrée au territoire américain. Une filmographie un peu égarée, décentrée, mais terrestre. Cela faisait presque huit ans que nous n’avons pas eu un nouveau film de lui, sûrement que le COVID-19 a dû passer par là. Le réalisateur revient en salle, et en force. Il nous propose de traverser le Midwest sur deux roues, avec un blouson en cuir et un seul rêve : être entouré de ses meilleurs potes, pour la vie.
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Sur le papier, voir Jeff Nichols adapter le livre du photographe Danny Lyon sur un club de motards est une évidence. Route américaine, héros marginaux, liens puissants et familiaux, histoire d’amour, au sens large, The Bikeriders est bel et bien un film taillé pour lui. Tant et si bien qu’on est en droit de se demander où est la faille. Peut-on croire à l’évidence ? Le paradoxe étant le sel d’une bonne fiction, nous ne sommes jamais étonné⋅es face au film, mais nous sommes aussi très étonné⋅s face au film.
Chez Nichols, la photographie a toujours eu sa part du gâteau. Il ne fait pas qu’adapter, il insère le photographe directement dans son récit, figure de proue de l’histoire de ces motards hagards. Les images du livre sont restituées telles quelles (elles sont d’ailleurs montrées dans le générique), comme si nous tournions les pages. Les personnages sont alors presque réifiés, donnant un caractère plastique au film. Et comment ne pas voir cet aspect plastique quand on regarde Austin Butler, qui interprète le rôle de Benny, le hors-la-loi par excellence. Tatoué, visage d’ange mais regard de braise, il nous renvoie à un autre personnage de hors-la-loi, au corps plastique et au charme puissant : celui de Brad Pitt dans Thelma & Louise. On ne peut pas en vouloir à Jeff Nichols de transformer en mythe cette aura de belle gueule. Benny n’est pas vraiment Benny mais un Austin Butler se donnant corps et âme au regard du réalisateur. Il n’y a qu’à voir comment le temps s’arrête presque lorsqu’on le voit à la table de billard, lorsque Kathy (Jodie Comer) le voit pour la première fois.
Faire de cette histoire un mythe est peut-être la volonté, à peine voilée, de Jeff Nichols. Il ne filme pas seulement un club, il filme toute une idéologie marginale des années 60, avant même le succès du film Easy Rider. Le club de ces Bikeriders n’est pas qu’un prétexte pour aller boire un coup avec ses potes au bar, il est une vision de la vie dans une Amérique qui aspire à la liberté. Faire fi des lois, rendre flou les dynamiques de pouvoir, faire ce qui les chante et surtout, avoir un esprit communautaire. Il y a une forme de naïveté touchante de voir ces hommes s’enfoncer dans une illusion, ensemble, coude de cuir contre coude de cuir. Alors qu’il faudra aux femmes attendre les années 70 pour se rebeller d’une manière collective, le film semble nous dire que c’est par le biais de la moto et du club que ces hommes se sont rebellés contre une politique familiale et conservatrice. La masculinité libérée de toute contrainte matrimoniale : laisser femmes et enfants à la maison, non pour courir les jupons mais pour échapper aux enclaves de la vie de couple. Faire famille autrement. Et non, ce n’est pas Vin Diesel qui a créé le concept de la famille que l’on se choisit autour de la passion automobile !
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Mais Jeff Nichols, en maître de son temps, a bien conscience qu’il filme un boy’s club dans toute sa splendeur. Il sait quelle violence peut se cacher en son sein. Que faire de ces femmes de ? Comment les filmer ? Quelles places ont-elles dans cette atmosphère testostéronée ? Si Danny Lyon (joué par Mike Faist) est le moteur de l’histoire, Kathy, la femme de Benny, en est la narratrice. Par ce choix, le réalisateur lui donne une place centrale et surtout, il lui donne un certain pouvoir sur le récit. C’est elle qui décide quoi raconter après tout. C’est elle la cheffe d’orchestre, celle qui nous donne toutes les clefs. Tant pis si on doit parfois retourner en arrière parce qu’elle a oublié un détail. Tant pis si des événements sont tus. Car on sent, malgré tout, que son avis est biaisé par l’amour qu’elle porte pour Benny. Ce qu’elle ne nous dit pas, le réalisateur le raconte par l’image. Et comme ça, avec une précision qui le caractérise, Jeff Nichols nous montre un triangle amoureux, qui ne sera jamais avoué comme tel. L’histoire d’un homme, Benny, dont l’attraction est si forte, qu’il concentre tous les regards. Kathy et le chef du club, Johnny (un Tom Hardy en grande forme), se battent pour son attention. Si le sexe ne sera jamais montré, ni même abordé, il gravite autour du corps de Benny, telle une force céleste. Un rapprochement de deux corps dans la nuit, lors d’une conversation secrète autour de l’avenir du club, sera la seule tension sexuelle qui existera entre les deux hommes.
Coupé en deux parties, rassemblement et confrontation, The Bikeriders se mue, l’innocence devient violence, la naïveté devient masculinité toxique. Il place une notion de classe dans sa deuxième partie, en montrant une violence induite par la pauvreté. Alors qu’il crée un mythe, Jeff Nichols nous en montre aussi les limites. Que font les hommes, ensemble, quand ils conquièrent toute leur liberté ? La réponse nous fait trembler. C’est pour cela que le film ne prend jamais le temps de filmer les grandes étendues sauvages, à la Easy Rider. C’est ce que l’on attend pourtant d’un film du genre. Mais le cinéaste se concentre sur les corps et les visages, sur les familles et les rêves de ces hommes. C’est peut-être là que réside le cœur du film, cette question que l’on se pose : les rêves des hommes ne sont-il pas détruits par d’autres hommes ? The Bikeriders en apporte une vision éclairante.
Laura Enjolvy