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[ENTRETIEN] : Entretien avec Romain de Saint-Blanquat (La Morsure)

© Locarno Film Festival // © EASY TIGER_BNP PARIBAS PICTURES

La morsure fait partie de ces films singuliers qui rappellent le côté perpétuellement rafraîchissant du cinéma français. Il était donc évident qu’il fallait laisser la parole à un réalisateur à l’univers déjà particulier pour son premier long-métrage en la personne de Romain de Saint-Blanquat. Nous avons pu ainsi discuter avec lui lors de son passage au Festival International du Film Francophone de Namur, un des premiers passages du long-métrage en festival.


J'avais envie de faire un film sur l’adolescence, mon adolescence aussi que j’exorcise un petit peu en quelque sorte à travers le film et que je projetais comme ça dans un univers qui était fantastique et d’époque, donc avec une certaine distance. - Romain de Saint-Blanquat.


D’où est venue l’idée de ce film ?

Ça a commencé par une image, celle d’un couple d’adolescents dans une fête déguisée qui, grâce à leurs déguisements, pouvaient être qui ils avaient envie d’être et se rencontraient comme ça à travers leurs déguisements. À partir de là, l’idée des années 60 est venue très vite, comme l’idée du vampire, le personnage de Françoise qui allait mourir, … Après, j’avais envie de faire un film sur l’adolescence, mon adolescence aussi que j’exorcise un petit peu en quelque sorte à travers le film et que je projetais comme ça dans un univers qui était fantastique et d’époque, donc avec une certaine distance.

Je trouve que cette frontière du fantastique s’amorce déjà bien avec cette séquence de cauchemar qui inaugure le film. Est-ce que cela était déjà une forme de note d’intention sur le chemin que propose La morsure ?

Elle est venue tout de suite car le point de départ du film était que le personnage avait un rêve où elle se voyait mourir. Très vite, dans le scénario, c’était évident que le film allait commencer par cette séquence. Par contre, la place accordée à cette séquence a été questionnée plusieurs fois à l’écriture, comme sa forme qui a un peu évolué même si j’ai toujours eu en tête cette idée que le rêve serait assez intense et en même temps très flou. Ensuite, ça s’est construit petit à petit avec les références que j’avais, avec un travail avec le chef opérateur et le monteur.

La photo a justement ce côté rétro onirique sans que ce soit balancé à la figure de façon artificielle.

Ce qu’on voulait faire, c’était convoquer des motifs de photographies et films de l’époque. C’est un cinéma que j’aime beaucoup et que je connais bien donc j’avais pas mal d’images et de références en tête. Après, quand on a commencé à travailler avec le chef opérateur, on a voulu convoquer ces motifs ainsi que des manières d’éclairer qui ne se font plus aujourd’hui. On a par exemple beaucoup éclairé les visages plutôt que les décors pour avoir une photogénie à l’ancienne avec une illumination du visage et des ombres sculptées. Tout le travail de recherche a été fait dans ce sens pour trouver à la fois des projecteurs qui pouvaient avoir la qualité de lumière de l’époque tout en étant un peu plus souples techniquement parce qu’on avait beaucoup moins de temps de tournage qu’avant. Après, avec l’utilisation de projecteurs à la face des comédiens et de drapeaux pour sculpter les ombres, on a travaillé cette ambiance. On a aussi ramené de la technologie moderne avec ces projecteurs. Le comble de ça, c’était l’utilisation d’un drone lumineux pour les séquences en forêt. On éclairait du coup à partir d’un drone qui tournait autour du décor pour avoir ces ombres qui bougeaient. La dernière chose, c’était pendant la post-production où, à l’étalonnage, on a poursuivi ce travail de recherche de l’image d’époque sur la texture, sur les couleurs, pour essayer d’émuler un peu le rendu déformé des couleurs de la pellicule. On a travaillé les textures, le train, les couleurs plus denses qui sont un peu tordues par rapport aux couleurs réelles.

On retrouve dans votre film un fort traitement de la croyance en général, que ce soit la religion imposant une inquiétude permanente ou celle de l’héroïne sur sa fin. Comment intégrer ces différentes formes de foi se répondant les unes envers les autres ?

Comme vous dites, elles se répondent donc c’était assez naturel de les mélanger et de les intégrer ensemble dans le sens où le personnage de Françoise baigne dans cette ambiance de mysticisme et de croyance avec ce pensionnat religieux. Pour elle, l’ésotérisme est une manière de s’y opposer mais ça y répond également vu que ça va dans le sens d’une croyance. Après, il y a aussi la croyance dans le fait que le personnage de Christophe puisse être un vampire. Françoise débute le film en étant une croyante, perméable à toute forme de croyance.

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Justement, comment avez-vous trouvé votre actrice principale, Léonie Dahan-Lamort, qui pour moi dévore l’écran ?

J’avais découvert Léonie dans un court-métrage, L’île et le continent. Pareil, je trouvais qu’elle dévorait l’écran. Le développement a mis beaucoup de temps à se faire donc le casting s’est fait par étapes. Léonie, je l’avais vue très tôt en casting et, finalement, le film ne s’était pas fait à ce moment-là, il a un peu bougé. Quand on a su qu’on pouvait le faire, on a revu Léonie et c’est vrai que ça paraissait davantage une évidence que quelques années avant parce qu’elle avait un peu mûri. Elle a un regard très fort qui peut être très dur et capter l’attention. Ce qui est fort avec elle, c’est qu’elle a une dose de légèreté, de spontanéité qui est venue casser ce que j’ai pu écrire sur le personnage qui était peut-être un peu plus monolithique dans la dureté et l’assurance. Là, elle ramène quelque chose de l’ordre de l’enfance que j’aime beaucoup. Elle a quelque chose de très changeant au fur et à mesure du film qui fonctionne bien avec ce que j’avais envie de raconter.

Au vu du traitement de Françoise, j’imagine que l’influence gothique a été prédominante dans la conception du long-métrage.

Ça a été tout de suite assez évident pour moi que le personnage, en plus du mysticisme dans lequel elle est plongée, avait comme ça une préférence, une affinité pour la littérature gothique, tout ce qui peut être étrange et hors normes. C’est venu assez naturellement. Pour moi, c’était une référence que le personnage pouvait aimer. C’était donc également une référence pour le film et l’ambiance vu que c’est quelque chose que j’aime assez, sans forcément y penser, mais de manière naturelle.

Il y perce une inquiétude forte, celle de l’adolescence, de la mort, … Même l’ancrage historique appuie cette inquiétude pour l’avenir.

Il y a aussi cette inquiétude par rapport au désir et au sexe. C’est un âge où il y a beaucoup d’inconnu donc il y a beaucoup d’espoirs et de désirs mais également de peurs, en l’occurrence, encore plus dans le contexte des années 60 où il peut y avoir cette peur du lendemain. Il y a en même temps cette peur des garçons car les filles et les garçons étaient séparés à l’époque, ce qui donnait un côté encore plus étranger. Très vite, j’avais envie de parler de ce passage à l’âge adulte avec une atmosphère inquiète et un peu de fin de monde. J’avais envie qu’il y ait cette idée de fin de l’enfance qui est vécue comme une fin du monde en quelque sorte, qui réponde à la fois à l’époque et au fantastique. Je voulais qu’il y ait quelque chose d’assez prégnant comme ça, cette peur que le personnage puisse avoir et qui finit par prendre vie.

En parlant de cette atmosphère de fin du monde, la limitation des décors appuie ce sentiment. Comment les avez-vous trouvés, dans leur force iconographique ?

Ça a été à la fois facile et dur (rires). C’est-à-dire que c’était facile parce que la personne qui était chargée de repérer les décors a très exactement compris là où je voulais aller et a fait des propositions très raccords avec mon imaginaire. À la fois, c’était dur car on était limité par les régions où on devait tourner et cette reconstitution de l’époque où il fallait qu’on trouve des décors qui ne portaient pas trop des traces de modernité. Ça n’a pas été facile mais c’était très ciblé. Tous les décors qu’on a visités étaient proches de ce que je recherchais donc c’était très agréable. Après, il y a eu un gros travail de la déco sur le décor, notamment le pensionnat où il a fallu refaire beaucoup de choses car il était très délabré et qu’il nous fallait atteindre cet équilibre entre un décor représentant quelque chose d’un ancien monde et en même temps que ce soit crédible que ces adolescentes puissent y étudier.

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C’est votre premier long-métrage. Quelles ont été les difficultés à relever en ce sens ?

Ce qui a été le plus difficile, c’était en termes de financement. Sans avoir fait beaucoup de courts avant et avec un premier film qui avait quand même, en termes d’atmosphère, une certaine ambition visuelle, ce n’était pas toujours facile de convaincre. Après, j’ai été très bien accompagné par les producteurs et par l’équipe. Une fois que le film a été lancé, ça a été plutôt agréable. La difficulté s’est située plus durant la recherche de financement. Après, on a toujours à apprendre et, forcément, il y a des choses qu’on fait différemment avec moins d’expérience mais c’est ça qui est juste aussi.

Cette atmosphère du film, proche du genre, a pu déstabiliser ?

Ça a pu être une difficulté justement pendant le développement du film parce qu’on se situait à un endroit entre un film de l’imaginaire, avec une ambiance très marquée allant vers le fantastique, et en même temps ça restait un film qu’on pourrait plus dire « d’auteur » avec ce récit initiatique d’une adolescente. Ce croisement, qui n’allait ni franchement d’un côté, ni vers l’autre, pouvait déstabiliser parfois pendant les recherches de financement. Une fois que les gens appréciaient la démarche et le scénario, c’était plus facile, mais ça a pu être une difficulté.

 

Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à l’équipe du FIFF pour cet entretien.