[CRITIQUE] : L'île
Réalisateur : Damien Manivel
Acteurs : Rosa Berder, Damoh Ikheteah, Olga Milshtein, Ninon Botz, Youn Berder, Jules Danger, Céleste Duménil,...
Distributeur : La Traverse / Météore Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h13min
Synopsis :
Rosa et sa bande ont décidé de passer la nuit sur « l’île », un bout de plage devenu leur royaume. C’est la dernière soirée de l’été, celui de leurs dix-huit ans, le temps de tout vivre. Pour écrire et répéter ce film, Damien Manivel a réuni sept adolescents en Bretagne, à l'été 2022. Faute de financements, le tournage prévu le mois suivant a dû être annulé et le projet abandonné. Pourtant, aujourd'hui, "L'Île" existe, avec Rosa, sa bande, la dernière soirée de l’été, le temps de tout vivre.
Critique :
#LÎle peut être vu comme un “accident” à la vue de sa production, mais il porte le sel du cinéma dense et poétique de Damien Manivel: l’expérimentation, une gestuelle précise et une caméra qui prend son temps pour scruter toutes les émotions vécues par un visage. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/vBNt0KBb9G
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 2, 2024
Dans le milieu cinéphile, il n’est pas rare qu’une conversation dérive vers les films qui n’ont jamais vu le jour. Qu’ils soient légendaires, comme le Napoléon de Kubrick, trop chers comme le Dune de Jodorowsky ou maudits comme le Don Quichotte de Terry Gilliam (il l’a finalement réalisé en 2018), ces films vivent malgré tout, dans nos esprits et nos rêves. D’autres n’ont pas cette chance. Dans une industrie où le profit prévaut, des films annulés avant ou pendant le tournage est un événement qui arrive (presque) tous les jours.
Cela aurait pu arriver à Damien Manivel pour son sixième long métrage, L’île. Après quelques répétitions filmées avec sa troupe d’acteur⋅ices, le réalisateur reçoit une mauvaise nouvelle : le projet du film tombe à l’eau. C’est en visionnant les rushs qu’il découvre tout le potentiel d’un nouveau film, une œuvre hybride entre fiction et réalité où le dispositif de création n’est jamais caché au public, ce qui, de façon singulière, renforce l’histoire qui en découle.
En quelques films, Damien Manivel a développé le langage de la danse à travers le cinéma. Une filmographie dense et fluide, où le corps devient poésie et où le geste dévoile tout un monde. L’île peut être vu comme un “accident” mais il porte le sel de son cinéma : l’expérimentation, une gestuelle précise et une caméra qui prend son temps pour scruter toutes les émotions vécues par un visage.
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Porté par la voix-off de Rosa, personnage principal, le film nous embarque sur la plage lors d’une soirée d’été douce-amer. C’est la fin. La fin d’une ère. La fin de l’été. La fin du groupe d’ami⋅es. On le comprend vite, la voix-off est une Rosa adulte, parlant avec mélancolie de cette nuit mémorable. D’abord perçue comme didactique et superflue, la voix de Rosa s’écoute comme un poème. Elle met un sens au montage, où les plans, souvent doublés, semblent sortir tout droit de la mémoire du personnage. La structure du récit comprend deux mouvements distincts. Le premier, les répétitions dans une salle, à l’intérieur, où il n’est pas rare d’entendre la voix du réalisateur, du chef-opérateur. L’interprétation des acteur⋅ices est souvent parsemée de petites notes, pour ajuster leur mouvement, leur dialogue. Le deuxième mouvement, les répétitions sur la plage, est plus réel. Les dialogues, les actions, l’interprétation, tout semble conforme à la fiction, malgré quelques petits commentaires hors-champ. Nous assistons alors à une progression de l’équipe entière : le cadrage se fait plus immersif, les acteur⋅ices rentrent mieux dans leur rôle, l’histoire se tisse d’elle-même. Le fait de voir deux fois (ou plus) la même séquence, dans des lieux différents, rend difficile l’accord tacite du spectateur à se laisser porter par la proposition, dans un premier temps. C’est là qu’intervient la voix-off, somme toute le seul moyen donné par Damien Manivel pour lier les séquences. Les répétitions des scènes se fondent dans le dispositif et finissent par ressembler aux mouvements, parfois saccadés, de la mémoire. Comme si Rosa avait besoin de répéter les gestes avant de pouvoir raconter son histoire, comme si elle s’exerçait à un exercice de mémoire corporelle.
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La singularité du projet permet au film d’atteindre l’imaginaire. Qu’est-ce que L’île finalement ? Des souvenirs ? Une émotion ? Un regret ? Nous sortons du film avec l’impression tenace que ce morceau de paysage nous appartient. La caméra de Damien Manivel parvient à capter les visages mais sa fluidité nous donne aussi l’espace d’y apporter notre propre vécu. Le titre, prosaïque, ouvre au public une interprétation plus intime. Davantage symbolique, L’île est surtout un film sur la renaissance. La renaissance d’un projet et la renaissance d’un morceau de vie, ressuscité pour un temps.
Laura Enjolvy