Breaking News

[ENTRETIEN] : Entretien avec Julien Carpentier (La Vie de ma mère)

Copyright Silex Films - CPCF 5

Pour son premier long-métrage, La vie de ma mère, Julien Carpentier parle de relation maternelle compliquée et d’un besoin d’expression émotionnel prégnant. De quoi charger aussi bien un film émotionnellement que d’ajouter des couches d’intérêt qui se sont dévoilées au fur et à mesure de cet entretien.

L’idée du film est venue d’expériences personnelles, l’envie de témoigner en tant qu’aidant, accompagnant de personnes qui souffrent d’une maladie psychique avec régulièrement le sentiment que ce n’était pas un point de vue trop mis à l’honneur. - Julien Carpentier

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans La vie de ma mère ?

L’idée du film est venue d’expériences personnelles, l’envie de témoigner en tant qu’aidant, accompagnant de personnes qui souffrent d’une maladie psychique avec régulièrement le sentiment que ce n’était pas un point de vue trop mis à l’honneur. J’avais envie de parler de ça du point de vue de l’accompagnant, de la famille.

C’est intéressant car le film n’est jamais dans le jugement et rempli d’amour pour ses personnages.

Je comprends car c’était le désir de parler d’amour en fait, de ne pas être un film à charge qui dénonce. J’avais vraiment envie de raconter ce qu’est le quotidien d’un personnage qui a une mère qui souffre de bipolarité et de voir comment ils pouvaient se construire mais voir aussi comment ils pouvaient se dépatouiller avec leur amour, qui existe, qui est là mais pas toujours simple à exprimer ou ressentir. Donc oui, c’est un film qui parle d’amour.

Comment se sont passés les dialogues avec William Lebghil et Agnès Jaoui concernant leurs personnages et voir ce qu’ils ont pu également apporter de personnel ?

Il y a eu un travail distinct entre eux, c’est-à-dire que j’ai passé beaucoup de temps avec William où on a eu des échanges très intenses sur ce que c’était d’être un enfant avec un parent qui souffre d’une maladie psychique. Sachant que c’est une expérience que je connais, il se nourrissait beaucoup de celle-ci. Avec Agnès, c’était l’occasion de parler de films. On a parlé d’Une femme sous influence, Les intranquilles, Une vie démente, … des films qui mettaient aussi en scène ça. Après, on a fait des séances de lecture communes où je pouvais leur parler de ce que racontait leur scène. Chaque mot était chargé, chaque silence, chaque situation, ce qu’elle racontait. On a travaillé comme ça chacun d’un côté puis en commun le jour du tournage.

Copyright Silex Films - CPCF 5

Quelque chose d’intéressant avec le personnage de Pierre, c’est qu’il y aurait pu avoir une atténuation de la colère mais, pour avoir eu des personnes proches dans cette situation qui ont déjà raconté avoir été nourries par une certaine colère, cela crée une réalité. À quel point était-ce important pour vous d’avoir ce genre de sentiment, encore plus dans une période où on exprime plus une certaine vulnérabilité masculine ?

Ouais, c’est très juste car j’ai dû moi-même en tant qu’homme faire ce travail de déconstruire et j’avais besoin d’installer ce personnage ainsi. C’est pour ça par exemple qu’il est fleuriste. J’avais envie de dire qu’il avait un associé, qu’ils parlaient tous les deux de fleurs et avoir déjà à travers cette symbolique de parler de cette masculinité et aussi de voir comment il pouvait faire le trajet jusqu’à accéder à ses émotions, accéder à la possibilité de demander l’aide, d’accepter l’idée de se dire qu’il est face à quelqu’un et qu’il a besoin d’aide, d’écoute et de soutien. C’était une façon de raconter ce trajet-là et de montrer que ça ne le rendait pas moins aimant, aimable, homme que d’avoir à exprimer ses émotions. Au contraire, cela lui permet de s’ouvrir à des expériences plutôt joyeuses.

Ce rapprochement entre les personnages se retrouve souligné dans un plan miroir dans un hôtel où les personnages sont d’abord séparés par les reflets avant de se retrouver réunis. Comment est venue cette idée de plan ?

En fait, je fonctionnais beaucoup par symbolique à travers mes plans. En tout cas, j’avais envie de proposer des plans qui pouvaient être soit consciemment reçus, soit inconsciemment, mais qui participaient à la lecture de la relation. Ce plan-là participait à la possibilité de pouvoir les séparer jusqu’au moment où on les retrouve ensemble dans un même plan et unis. C’était une façon pour moi de raconter où était la relation à l’instant T, le mouvement qu’elle prenait. Donc je travaillais beaucoup par symbolique de plans car j’aime ça. J’aime les films qui racontent des symboles. Le film en a plein. Parfois on les voit, parfois on ne les voit pas mais je voulais en tout cas raconter ça.

Il y a également cette séquence de karaoké, qui amène un rapprochement fort entre Pierre et Judith tout en étant très douce et libératrice émotionnellement. Était-ce important d’avoir cette libération par la musique ?

Oui parce que le sujet du film est notamment la transmission. C’est traité par la cuisine, par les fleurs parce qu’on comprend que c’est le personnage de Judith qui l’a initié aux fleurs, et puis la musique aussi. C’était une façon de parler aussi de transmission car ils chantent une chanson du répertoire français et c’est un peu ces chansons qu’on se passe de parent à enfant sans même savoir pourquoi on connaît ces chansons par cœur. Elles sont là, on se les passe. Ça me permettait de parler de ça mais de voir aussi les personnages se dire des choses grâce aux paroles de la chanson que la pudeur ne leur permettait pas de se dire. C’était donc les contraindre et les forcer à se regarder et se dire des choses qu’ils n’arrivaient pas à se dire.

Copyright Silex Films - CPCF 5

Quelles sont les choses qui se sont amorcées avec ce premier long-métrage, les inquiétudes ou les points plus libérateurs ?

Franchement, ce n’était pas une question d’inquiétude. C’était de la joie de pouvoir enfin réaliser ce rêve, de faire du cinéma, le désir aussi de donner le meilleur, de pouvoir être au plus près des émotions car c’était ça qui déterminait les scènes et la direction jusqu’à la fin. Quelle est l’émotion qui domine la scène et comment arrive-t-on à lui donner la place entière ? C’était plus de la joie et de la rigueur qui dominaient les émotions parce que quand on fait un film, on est avec des personnes merveilleuses qui nous accompagnent, nous aident, nous conseillent, avec qui on a des échanges, etc. C’est un travail collectif.

C’est la première fois que j’entends cette relation entre les pierres et les fleurs, notamment dans ce que cela amène de proximité des personnages.

C’est aussi la question du temps et de ce qui reste. Évidemment, il y a un cycle de la fleur. Donc j’explique pourquoi le personnage de Pierre s’appelle Pierre et en quoi la symbolique du temps qui passe est aussi une façon de parler d’amour. C’est par les petits moyens comme ça que je permettais aux personnages de se déclarer leur amour.

Quels sont les sentiments après les premières rencontres avec le public, notamment lors des festivals d’Angoulême et Valenciennes où le film a été récompensé ?

C’est sûr que là, vous citez deux festivals où il y a eu des prix du public, ainsi qu’un prix d’interprétation à Valenciennes pour William Lebghil donc c’est forcément une fierté de réaliser que le souhait de faire un film qui s’adresse aux gens avec une quête de sens est reçu. C’est forcément une fierté de pouvoir constater de ça. Puis, c’est une belle façon de lancer le film car c’était la première fois qu’il était projeté en public à Angoulême. Avoir cette première réception, ça a permis au film d’avoir une super vie en festival. J’ai pu l’y accompagner pour observer qu’à chaque fois que je présentais le film, l’accueil était hyper intense et j’ai pu avoir des témoignages très émouvants.

Copyright Cloe Harent - Silex Films

Il y a une part du grand public qui a des idées stéréotypées sur le cinéma français, notamment sur les comédies dramatiques. Comment percevez-vous ce regard ?

Je pense que c’est aussi ce qu’on se raconte du cinéma car il y a plusieurs genres et possibilités de parler d’un sujet d’une façon expérimentale. J’ai tendance à penser qu’une bonne comédie est d’abord un bon drame. Je vous dirais plus comment j’avais envie de faire le film. J’ai été très inspiré par le cinéma italien et sa capacité, avec Nanni Moretti et d’autres, de pouvoir être dans la vie et aborder des sujets difficiles qu’on peut traverser tous autant qu’on est dans notre quotidien, mais aussi d’amener de la vie, des joies qui peuvent rentrer à l’intérieur de ça, des petits bonheurs, comment on arrive à remonter la pente, retrouver le sourire et on se sert de l’humour parfois pour alléger une situation qui est dramatique. C’est comme ça que j’aime mener ma vie et j’avais envie d’un film qui soit à cette image-là, tout simplement. Après, j’adore plein d’autres types de cinéma et je ne pense pas qu’il faille en réalité créer des segmentations mais en l’occurrence, ce film-là et la façon dont j’ai envie de parler des sujets, c’est à l’image de la vie en fait. C’est pour ça que c’est un film qui est à la fois quotidien je dirais et à la fois incroyable. C’était mon souhait en tout cas de raconter ça sous cette forme-là.


Entretien réalisé par Liam Debruel.

Merci à Heidi Vermander de Cinéart pour cet entretien.