[ENTRETIEN] : Entretien avec Ariane Louis-Seize (Vampire humaniste cherche suicidaire consentant)
Photo : Félix Vandal / Copyright Wayna Pitch
Tragi-comédie pince-sans-rire qui peut se voir comme une sorte de cousin moins sanglant et un poil plus optimiste, au Morse de Tomas Alfredson, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant se fait un bonheur de séance décalée et absurde aux élans romantiques gentiment macabres, et clairement l'une des plus belles surprises de ce début d'année ciné 2024. À l'occasion de sa sortie en salles ce 20 mars, Éléonore a pu s'entretenir avec sa réalisatrice, Ariane Louis-Seize.
Je me suis plongée corps et âmes dans la préparation, j’ai fait beaucoup de nuits blanches que lorsque j’ai commencé le tournage, j’étais à plat. Mais toute l’énergie et la confiance donné par mon équipe et mes acteurs m’ont reboosté. - Ariane Louis-Seize
Il s'agit de votre premier long-métrage. Vous avez réalisé plusieurs courts-métrages avant cela. Comment s'est passée la transition?
Cela fait deux courts métrages que je me sens prête, physiquement, à passer le cap. Après mes deux derniers tournages, je n’avais qu’une seule envie : me reposer un week-end puis continuer à tourner. La transition s’est donc bien passée. Vampire Humaniste a pourtant été un gros défi car tout le tournage s’est fait de nuit avec beaucoup de lieux de tournage. Cela a d’ailleurs été compliqué tout le long du tournage.
Qu’est-ce qui a été compliqué ?
Nous n’avions pas encore trouvé tous les lieux avant de commencer à tourner. J’ai donc passé certains de mes jours de congés à visiter des lieux. J’ai débuté le tournage très fatiguée, en burn out. Je me suis plongée corps et âmes dans la préparation, j’ai fait beaucoup de nuits blanches que lorsque j’ai commencé le tournage, j’étais à plat. Mais toute l’énergie et la confiance donné par mon équipe et mes acteurs m’ont reboosté. J’ai complètement oublié mon burn out. J’étais tellement bien entouré que cela s’est très bien passé.
Stéphane Lafleur, mon monteur qui est également un réalisateur de comédies dont j’apprécie l’humour, m’a redonné confiance. Le montage s’est fait en parallèle du tournage. Il appréciait le matériel que je lui envoyais. Cela m’encourageait beaucoup de savoir qu’il avait trouvé ce que je lui envoyais drôle, qu’il aimait mes personnages. Cela me donnait beaucoup d’énergie pour avancer.
Pourquoi ce choix de monter en parallèle du tournage ?
Stéphane Lafleur fonctionne ainsi. L’avantage est qu’il est possible d’avoir des retours immédiats du monteur. Nous pouvons donc modifier plein de petites choses qui ne fonctionnent pas en postproduction : la prononciation de certains mots, les silences. C’est assez rassurant. Cela permet d’avoir un assemblage du film très peu de temps après la fin du tournage. On sait donc très vite si tous ces petits bouts de films donnent un objet cohérent.
J’ai vu que vous aviez travaillé avec la même boite de production, Art et essai, sur quasi tous vos courts métrages. C’est un choix de travailler avec les mêmes personnes ?
Je suis allé à l’école avec la productrice Jeanne-Marie Poulain. Nous avons grandi ensemble. C’était donc très naturel pour nous de travailler ensemble. Elle était en train de monter sa boîte lorsque je préparais mon premier court métrage. Nous avons ensuite enchainé plein de projets ensemble jusque Vampire Humaniste. Je suis actuellement en train de travail sur un nouveau projet avec une autre production mais c’était très touchant de faire notre premier long-métrage ensemble.
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Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
J’avais déjà vu Sara Montpetit dans Maria Chapdelaine (Sébastien Pilote / 2021). Elle dégage quelque chose d’intemporel et de mystérieux. Je l’ai ensuite vu dans Falcon Lake (Charlotte Le Bon / 2022) où rien que dans la bande-annonce, elle dégage quelque chose d’étrange et de fantomatique. Sara est vraiment singulière. Je l’ai ensuite vu en audition pour voir si elle était drôle également. Et c’était bien le cas, mais d’une manière atypique, étrange. Son humour se ressent dans des petites choses, des silences, des subtilités.
J’ai découvert Félix-Antoine Bénard en audition. Il avait particulièrement bien travaillé son rôle. Il faisait preuve d’une grande maturité pour un acteur de son âge. Sa proposition était consuitre et tranchée. Nous avons bâti Paul comme étant un personnage sur le spectre de l’autisme sans que cela ne soit jamais écrit dans les descriptions. Puis, quand j’ai mis les deux acteurs ensemble, j’ai vu naître le duo sous mes yeux, deux étrangetés drôles et touchantes.
Le mythe du vampire est un gros monstre du cinéma. Est-ce que vous aviez envie de vous y attaquer depuis longtemps ?
Oui, cela me tentait depuis longtemps. Aucun de mes courts métrages n'abordent la figure du vampire. Je flirtait avec le cinéma de genre car j’aime l’étrangeté. J’aime les personnages mystérieux qui se posent en observateurs, qui cherchent à se libérer, qui arrivent à la croisée des chemins de leur vie ou qui testent leur limite et celle des autres. J’aime aller dans ces zones grises là, dans ces contradictions. Le vampire est un être qui est à la fois attirant, mystérieux et dangereux. J’aime jouer avec la dynamique d’attraction et de répulsion. Le vampire permet ce terrain de jeu-là.
J’aime aussi beaucoup les teen movie indie américain, surtout ceux de mon adolescence : Juno, Little Miss Sunshine, Garden State… Cela m’amusait d’imaginer un vampire qui est normalement sexualisé, charmant, devoir se retrouver face aux maladresses de l'éveil sexuel adolescent. Je trouvais cela plus contemporain.
C’est vrai que la famille de vampire est très loin de l’image très sophistiquée des vampires et montre un vrai portrait de normalité.
Dans Vampire Humaniste, j’humanise beaucoup les vampires et je déshumanise les humains, mise à part la mère de Paul. Je me suis vraiment amusée à bâtir ces vampires avec nos dynamiques sociétales et familiales actuelles. Ils ont des défis plus sanglants que nous mais finalement assez terre à terre.
Je vais revenir sur la famille. Il y a toute une galerie de personnages secondaires assez incroyables. Comment avez-vous fait pour les casté, les choisir ? Et comment avez-vous fait pour que chaque personnage existe entièrement.
Avec ma co-scénariste Christine Doyon, on s’est vraiment amusé à faire une palette de personnages colorés. On voulait que chaque personnage soit marqué, original. On essayait même de donner à chacun une backstory. Par exemple, le prof de gym est très colérique. Nous avons imaginé qu’il suivait des cours de gestion de la colère. Il commence à tricoter des pantoufles pour gérer son stress mais finit par utiliser les pantoufles pour punir ses élèves. Ce sont des personnages plein de contradictions. Cela amène plus de matière au jeu.
J’ai casté plusieurs acteurs avec lesquels j’avais déjà travaillé. Je suis allé chercher des acteurs que j’aime beaucoup, qui ont déjà un jeu physique, un humour pince sans rire et aussi un certain charisme naturel. J’ai eu de la chance car je n’ai pas eu besoin de faire beaucoup d’auditions. La plupart ont accepté directement.
Les personnages existent beaucoup grâce aux décors. Vous disiez que le processus pour les décors était un peu compliqué. Comment cela s’est passé. Personnellement, j’aime particulièrement l’appartement de la cousine.
Pour l’appartement de la cousine, nous avons trouvé le loft complètement vide. Le directeur artistique, Ludovic Dufresne, a fait un travail incroyable à s’en rendre presque malade. Il y avait beaucoup de pièces. Dans ma vision, je voulais jouer avec les époques et avoir un rendu assez chargé avec beaucoup de lampes. J’avais déjà un moodboard qui a été complété avec les inspirations du directeur artistique. Nous avions un moodboard par pièce. Après, c’est beaucoup d’échange, beaucoup de recherche en magasins… La maison des vampires avait déjà un certain cachet. Dans le loft de la cousine, tout était à bâtir. Le directeur artistique n’a pas dormi pendant trois jours pour pouvoir tout terminer. Quand je rentrais dans l’appartement, j’avais l’impression de rentrer chez un antiquaire puis chez mon personnage. J’avais vraiment l’impression d’être chez Denis. C’est très impressionnant ce qu’il a pu faire.
Je trouve que les choix de musique sont très bons. Il y a un côté un petit peu désuet dans les goûts de Sasha qui correspondent bien au temps qui passe différemment chez les vampires. Je pense notamment à la chanson “Emotions” de Brenda Lee. Comment s’est passé le choix de la musique ?
Je ne l’avais pas en tête directement. J’avais d’ailleurs une autre chanson en tête, “Fade Into You” de Mazzy Star. Mais on m’a fait remarqué qu’elle était déjà très utilisée au cinéma. J’avais envie de dénicher un titre moins chargé. Maintenant, je préfère “Emotions” parce que je la trouve un peu plus kitsch et nostalgique, presque intemporelle. Elle amène plus de lumière à la séquence, plus de tendresse. Je voulais une chanson qui soit à la fois dreamy, nostalgique et un peu romantique. Et je voulais aussi que les paroles fonctionnent avec ce que Sasha était en train de vivre. J’ai mis un certain temps à trouver la chanson qui remplissent tous ces paramètres mais Emotions était vraiment le bon choix.
À part “Dracula Yéyé” à la fin, il n’y a pas trop de chansons, il y a principalement des compositions. “Dracula Yéyé” est une trouvaille de Sarah Montpetit. La veille du tournage, elle m’envoie cette chanson pour me motiver. Je l’ai trouvé incroyable. Elle était parfaite pour le générique de fin car elle donne le sourire.
J’avais déjà travaillé avec le compositeur Pierre-Philippe Côté sur plusieurs courts métrages. Il a un studio à la campagne où je suis allé pendant quelques semaines. Nous nous amusions à créer les thèmes. Nous avons vraiment passé un bon moment avec nos personnages, à créer quelque chose d'éclectique mais qui joue aussi sur la nostalgie et le mystère. Je trouve que malgré le côté disparate des compositions nous avons trouvé une belle unité.
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Il y a beaucoup de sujets sociaux et politiques dans votre film : le suicide, l’alimentation consciente, le harcèlement…. Est-ce important pour vous d’avoir des sujets sociaux et politiques ? Est-ce que le cinéma se doit d’être engagé ?
Je ne dirais pas que le cinéma doit être engagé mais je crois que quand tu écris des personnages, un univers, tu parles forcément de l'époque dans laquelle tu vis. Cela donne forcément des objets politiques qui s’inscrivent dans un dialogue de société. Donc dans l’essence même de faire un film, il y a un geste politique. Personnellement, je ne commence jamais l’écriture d’un film en pensant à des sujets en particulier. Ils viennent avec les personnages, et je les découvre avec eux. Je ne me mets pas la pression en m’imposant de faire un “film politique”. Mon but est de parler de sujets tabou puis d’aller creuser dans des zones plus inconfortables avec un ton léger. Au final, les spectateurs sortent de mon film sans forcément parler de suicide de prime abord. Ils n’ont pas forcément eu l’impression de voir un film sur le suicide. C’est en creusant un peu plus le sous-texte que le sujet ressort. Il y a quand même un espace de dialogue mais sans être lourd et moralisateur.
L’adolescence est un sujet important pour vous. C’est le sujet principal de plusieurs de vos films. Est-ce que vous voulez continuer à explorer cette thématique ?
Mon prochain film ne traitera pas de l’adolescence mais il est possible que j’y revienne. Je ne sais pas encore. Les adolescents sont des personnages riches et complexes. Toutes les émotions et sensations sont décuplées. Tout est vécu de manière intense. L’aolescent ne sait pas quoi faire de ses contradictions. Ce sont des personnages avec beaucoup de potentiel. Nous avons tous un adolescent intérieur pas très loin et des traumatismes adolescents encore à l’esprit. Même si les personnages sont des adolescents, le film peut s’adresser à un public plus large car c’est une période charnière qu’on n’oublie pas.
Quel est votre prochain projet
Je viens de terminer l’écriture du scénario et nous sommes en pleine recherche de financement pour pouvoir le tourner au plus vite. Il s’agit de l’adaptation d’une pièce de théâtre écrite par Rébecca Déraspe qui sera également coscénariste du film. Cela parle des disparitions volontaires, des gens qui décident de disparaître de leur propre vie sans laisser de traces mais surtout les impacts que ça laisse sur les gens qui restent. Le film se concentrera plus particulièrement sur une jeune femme adulte dont la mère est disparu quand elle avait sept ans, sur ses souvenirs et ceux de ses proches pour comprendre le geste de sa mère.
Toujours dans le registre de la comédie ?
Ce sera encore un mélange de genre mais plus axé sur le drame même si la force de Rébecca Déraspe sont ses dialogues hyper drôles, colorés, ses personnages décalés donc il y aura quand même une touche d’humour sur une trame plus dramatique.
Pour terminer, quel est votre teen movie préféré et votre film de vampire préféré ?
A Girl Walk Home Alone At Night (Ana Lily Amirpour / 2014) et The Diary of a Teenage Girl (Marielle Heller / 2015).
Propos recueillis par Éléonore Tain.