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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Sympathy for Mr. Vengeance, Old Boy et Lady Vengeance


La Trilogie de la vengeance de Park Chan-wook : Sympathy for Mr. Vengeance (2003), Old Boy (2004) et Lady Vengeance (2005).


Plus les années passent et plus il convient, à raison, de louer la puissance et l'importance du cinéma de Park Chan-wook, artisan aussi irrévérencieux que savoureusement inclassable, véritable chef de file aux côtés de Bong Joon-ho, Na Hong-jin et Kim Jee-woon, d'une jeune génération de cinéastes qui aura à la fois placé sur la carte du septième art mondial, un cinéma sud-coréen chaud bouillant et appelé à investir massivement nos salles obscures, mais aussi et surtout incarné une contre-proposition rageuse et salvatrice pour sauver une production nationale encore handicapée par trois décennies d'obscurantisme culturel.

Que Metropolitan FilmExport, quelques encablures après la célébration par The Jokers Films, de quelques-uns des plus beaux efforts de Kim Jee-woon, vienne à ressortir dans une restauration toute pimpante, sa fameuse " trilogie de la vengeance " (qui, au fond, n'en est pas totalement une, mais passons), n'est donc qu'une bonne occasion de plus pour honorer - une partie - de l'œuvre anti-conformiste, aliénée et captivante d'un auteur qui a su sublimer le sujet pourtant inlassablement ressassé (parce que terriblement commun à notre quotidien) des représailles, à travers trois films à la violence excessivement exacerbée, du pur cinéma d'exploitation à la fois savoureusement déglingué et onirique.

Lady Vengeance - Copyright Metropolitan FilmExport


Sympathy for Mr. Vengeance (2003)
Date de sortie : 3 septembre 2003
Date de reprise : 6 mars 2024



Bâti autour du concept d'action/réaction extrême, pur polar hard-boiled nihiliste flanqué sous une lumière de plomb, tout en désespoir et en humour (vraiment) noir dévastateur, flanqué dans le cannibalisme virulent d'une nation sud-coréenne ou le profit - de toute sorte - supplante toute notion de morale, Sympathy for Mr. Vengeance déroute et fascine dans son exploration d'une humanité qui se sabote elle-même, qui passe de victime à bourreau (et inversement) dans un effet boule de neige corrosif et implacable ou toute idée de rédemption est impossible face à une haine, une violence quasi-virale.

Des êtres - plus ou moins - fondamentalement bons et littéralement aux deux extrémités d'une société à l'agonie, dont l'odyssée commune dans la souffrance est furieusement karstique, voire même tragi-comique.

Copyright Metropolitan FilmExport

Des âmes dissemblables et pourtant complémentaires dans l'erreur, qui avancent têtes baissées avec inconscience et égoïsme, tant jamais ils ne cherchent à méditer sur les conséquences générées par leurs actions, puisque seuls les causes importent - la douleur subie et celle que l'on inflige - dans un processus pragmatique de règlements de comptes déréglé et insatisfaisant, dont chaque acte ne fait qu'accentuer la force du suivant.

Gentiment logé entre la satire des mœurs contemporains (sous fond d'argent qui corrompt tout, surtout les hommes), le film noir et le mélodrame familial, qui prend viscéralement aux tripes (la violence est crue et radicale) autant qu'il transperce le cœur par son humanité meurtrie et son lyrisme déroutant (la douceur des liens fraternels, le fantasme douloureux d'un père rêvant de prendre dans ses bras une fille qui n'est plus), Sympathy for Mr. Vengeance est un diamant noir, sans doute le film le plus ouvertement politique de Chan-wook - avec J.S.A..


Old Boy (2004)
Date de sortie : 29 septembre 2004
Date de reprise : 6 mars 2024



Considéré peut-être à tort et sans doute plus par méconnaissance qu'autre chose, autant comme le magnum opus de cette trilogie, voire même de toute la filmographie de son auteur, Old Boy (adaptation du manga éponyme de Garon Tsuchiy et Nobuaki Minegishi) se fait pourtant le miroir inversé glacial du précédent film de Chan-wook, aussi bien formellement (une caméra plus aérienne, des travellings constants et marqués, l'usage de CGI, de fondus baroques,...) que thématiquement (l'enfermement/privation de liberté opposée au conditionnement psychologique).

Du classicisme lancinant et enivrant d'une vengeance croisée et impulsive, véritable tourbillon de crudité humaine qui échappe à tout contrôle, le cinéaste croque cette fois une mécanique plus glaciale et clipesque, moins émotionnelle et définitivement plus cérébrale, de la vengeance comme une arme punitive, presque divine (puisque surréaliste), dont l'aliénation progressive amène jusqu'aux confins extrêmes de la folie.

Copyright Bac Films

Tragédie à forte résonnance Oedipienne infiniment complexe ou l'idée même de rédemption y est prosaïque, puisque le fruit d'une destruction à parts égales et égoïste d'une vie pour une autre, d'une transformation non pas consentie mais uniquement provoquée par le mal; la narration trouve in fine son plus beau parallèle avec l'œuvre de Mary Shelley, Frankenstein, tant tout n'y est que manipulation et création, à travers les yeux d'une créature (un Choi Min-sik absolument incroyable) dont on ne masque jamais la monstruosité, de celle passée qui a conditionné son odyssée labyrinthique et destructrice, à celle absurde d'une justice/vengeance brutale qui lui assénera une vérité qui l'est encore plus que son marteau.

Si l'on y retrouve, avec un peu moins de clarté, les mêmes couches d'opposition sociale que pour Sympathy (une métaphore de l'histoire sud-coréenne d'après-guerre et de sa transition de la dictature à la démocratie, l'affrontement entre la puissance économique physiquement fragile et la précarité à la force/révolte physique puissante), la même ironie tragico-grotesque voire même la même critique acerbe de la culture du capitalisme sauvage (pion essentiel dans la disparition des idéaux humanistes), c'est dans son manque cruel d'émotion que Old Boy péche, et encore plus en comparaison des deux autres efforts de la trilogie.

Copyright Bac Films

Et pourtant, dans le même temps, impossible de réfuter la maestria derrière l'œuvre d'un cinéaste sensiblement préoccupé face à la solitude de sa nation, cette souffrance mêlée d'obsession et de paranoïa dont il en croque certes une exégèse extrême, mais qui ne fait que pointer du bout de la caméra le sadisme latent, l'égoïsme suprême mêlé au détachement banal face à son prochain, la complémentarité omnisciente et malsaine entre victime et bourreau dans un capitalisme férocement esclavagiste.
À tel point que l'obscurantisme semble le seul salut à une réalité angoissante et écrasante, à tel point que la bestialité primaire et amorale semble la seule voie pour survivre.

Sacrée proposition donc, d'autant que, pour ne pas gâcher cette fête désespérée et nihiliste as hell, le bonhomme offre quelques séquences particulièrement révolutionnaires pour l'époque (celle de la pieuvre comme le plan fixe du combat au marteau), ainsi qu'une subversion mélodramatique assez couillue de thèmes difficiles et tabous (l'inceste, le suicide, le terrorisme,...).


Lady Vengeance
Date de sortie : 16 novembre 2005
Date de reprise : 6 mars 2024



Sans doute, assurément même, le meilleur opus des trois films de la trilogie tant plus que de ne simplement offrir une perspective féminine (et supposément plus innocente) à son énième itération du thème de la vengeance, il lui offre une nuance insoupçonnée en comparaison de ses précédentes odyssées viriles et masculines : une rédemption optimiste et essentielle.

Une véritable récompense éthique et morale au coeur de la croisade intime, aussi glaciale que délicate, de son héroïne pour se venger de la figure qui l'a menée vers le crime (une justice pour le coup à la fois personnelle et collective), marquée par le poids profond de la culpabilité pour ses actions passées impossible à corriger.
Car plus qu'ailleurs, le papa de Destination to leave montre combien la vengeance, cette artifice de destruction et d'auto-destruction peut s'avérer stérile, puisqu'elle n'est qu'une chimère, un fantôme hanté et hantant qui vient corrompre la pureté de l'âme, dans un ballet impitoyable, violent et grotesque.

Copyright Metropolitan FilmExport

En ce sens (et pas uniquement parce qu'il recycle merveilleusement la distribution des deux premiers films), cette invitation barbare et idéologique du cinéaste, se fait la conclusion parfaite de la trilogie tant elle est, consciemment, divisée en deux parties bien distinctes, comme deux réponses en une somme, de ses deux aînés : une première moitié au rythme frénétique et au cynisme complexe et confiant (Old Boy), suivi d'une seconde embaumé dans un classicisme élégant et une irrévérence folle, qui trouve un équilibre salutaire entre une violence exacerbée et une exploration fine de la psychologie de ses personnages (Sympathy for Mr. Vengeance).

Même la mécanique formelle de Chan-wook se fait ici plus intime dans son effet domino, plus émotionnelle et d'autant plus dévastatrice dans sa manière coller au plus près des sentiments de son héroïne (une formidable Lee Yeong-ae), dans sa volonté de nouer la haine à la mélancolie, le péché à la pénitence, au travers de la quête d'une femme détruite qui ne cherche rien d'autre que l'absolution, même au travers d'une violence sourde et implacable.
Du sang (beaucoup) et des larmes.


Jonathan Chevrier