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[CRITIQUE] : Tiger Stripes


Réalisatrice : Amanda Nell Eu
Acteurs : Zafreen ZairizalDeena EzralPiqaJune Lojong,...
Distributeur : Jour2fête
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique, Épouvante-horreur.
Nationalité : Malaisien, Taïwainais, Singapourien, Français, Allemand, Hollandais, Indonésien, Qatari.
Durée : 1h35min.

Synopsis :
Zaffan, 12 ans, vit dans une petite communauté rurale en Malaisie. En pleine puberté, elle réalise que son corps se transforme à une vitesse inquiétante. Ses amies se détournent d’elle alors que l’école semble sous l’emprise de forces mystérieuses. Comme un tigre harcelé et délogé de son habitat, Zaffan décide de révéler sa vraie nature, sa fureur, sa rage et sa beauté.



Critique :


Le parallèle est assez putassier, mais il y aura plus d'une critique qui assumera le parallèle entre le magnifique Grave de Julia Ducournau, et le premier long-métrage de la cinéaste malaisienne Amanda Nell Eu (première femme malaisienne à voir son film sélectionné à Cannes, pas un petit détail donc), Tiger Stripes, qui transpire de tous les pores de sa pellicule, l'amour du cinéma de genre.
Il est certes évident, trop peut-être pour ne pas être fait, comme celui entre cette première œuvre et le cinéma hypnotique d'Apichatpong Weerasethakul (moins évident, même si Tropical Malady n'est jamais loin).

Copyright JOUR2FÊTE

On aurait tendance à lui préférer intimement plus celui d'avec le Carrie de De Palma, dans une sorte de relecture contemporaine catapulté au cœur d'une communauté islamisque sunnite, et à une heure hyperconnectée et sous l'influence/omniprésence des réseaux sociaux.
Un cocktail définitivement explosif mais surtout furieusement cinématographique, vissé sur les atermoiements d'un jeune esprit libre et joyeux, Zaffan, 12 ans au compteur et en pleine puberté, alors qu'elle réalise que son corps se transforme à une vitesse inquiétante, au point que même ses amies se détournent d’elle.

À la fois innocent et féroce, ce premier effort joue avec plus ou moins de malice des codes du coming of age movie, en mettant en lumière la puberté sous un aspect plus culturel et folklorique, s'appuyant sur la spiritualité - et le surnaturel - pour mieux renforcer, physiquement comme métaphoriquement, l'autonomisation et le féminisme triomphant d'une gamine se faisant brutalement femme dans le sang, la douleur et la rage.

Copyright JOUR2FÊTE

Allégorie pop d'une puberté perçue comme dangereuse, ou le microcosme scolaire se fait une pièce maîtresse dans la perpétuation du pouvoir écrasant du patriarcat (ou la " normalité " sous l'œil masculin, n'a que pour seule définition la soumission), Tiger Stripes manque cela dit d'une bonne (grosse) dose de subtilité dans son écriture, notamment dans la manière d'extérioriser la nature de son héroïne par la mutation animale (qui a le mauvais ton de souligner ce qui semblait déjà savamment établi).

Tout n'est pas parfait donc, voire même pas assez radical (même dans une mise en scène au plus près des corps, mais manquant justement cruellement de corps), mais impossible de bouder son plaisir devant ce premier long-métrage prometteur, d'une cinéaste qui s'approprie avec simplicité du fantastique,  pour symboliser la quête naturelle d'émancipation et d'autonomisation des jeunes femmes.


Jonathan Chevrier



Image via Netflix

Tiger Stripes mélange habilement teen movie pop, fable social et body horror gentillet. Les jeunes actrices, Zafreen Zairizal et Deena Ezral sont criantes de naturel et se meuvent dans une forêt aussi effrayante que féerique, parfait contrepoint à la petite société liberticide et patriarcale de leur école musulmane aux règles absurdes et inquiétantes qui transforment la plus jolie et douce des amitiés en guerre sans pitié. Tiger Stripes est la rencontre étonnante entre Lolita malgré moi et Apichatpong Weerasethakul

GHOST GRRRL PICTURES

Récompensé du grand prix de la semaine de la critique en 2023, Tiger Stripes est une proposition agréable qui ne manque pas de cœur même si elle manque d’originalité. Ces dernières années ont vu fleurir le récit d’apprentissage mi critique sociale, mi fable animalière. Parmi ses aînés, le plus emblématique, Grave de Julia Ducounau, également passé par la semaine de la critique et lauréat du prix FIPRESCI, plus récemment, Le règne animal de Thomas Cailley grand chouchou des césars 2024 et le plus confidentiel When Animals Dream du danois Jonas Alexander Arnby.  Des films qui montrent une jeunesse de prime abord monstrueuse qui plie sous le poids de l’héritage d’une génération passée qui n’a pas su accepter et embrasser la différence. Une jeunesse qui a comme issue et moyen d’être libre le retour à l’état de nature. Des films paraboles qui symbolisent la fracture générationnelle avec beaucoup de poésie et de force. 

Amanda Nell Eu malaisienne de naissance a fait la majorité de sa scolarité à Londres notamment dans le prestigieux Central Saint Martins avant d’aller à la London Film School. Passionnée de conte et de mythologie, elle retourne vivre en Malaisie peu de temps après la fin de ses études pour s’inspirer du folklore local. Dans son premier court métrage It's Easier to Raise Cattle en 2017, elle s’inspire de la figure de la pontianak, un esprit vengeur de femme enceinte qui n’a pas pu mettre bas, puis en 2018 dans Vinegar Baths, elle s’empare du mythe de la Penanggalan, le fantôme d’une belle femme dont il ne reste que la tête qui traîne ses organes internes accrochés à cette dernière. Amanda Nell Eu dit se sentir proche de ses créatures mythologique puissantes et horrifiantes. Tiger Stripes n’échappe pas à la règle et s’inspire du Harimau jadian, une sorte de tigre garou.

Photo : The Projector

Les petites filles sont des punks qui parfois se transforment en tigre, et qui clairement ont envie d’en découdre avec le monde. Tiger Stripes est dans l’air du temps, ce qui en fait un film peu original, oui, mais jubilatoire. Une belle proposition de cinéma pour un premier film d’une jeune réalisatrice au propos fort et clair.


Éléonore Tain