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[CRITIQUE] : O Corno, une histoire de femmes


Réalisatrice : Jaione Camborda
Avec : Siobhan Fernandes, Janet Novás, Carla Rivas, Daniela Hernán Marchán,…
Distributeur : Epicentre Films
Budget :
Genre : Drame
Nationalité : Espagnol, Portugais, Belge.
Durée : 1h45min.

Synopsis :
1971, Espagne franquiste. Dans la campagne galicienne, María assiste les femmes qui accouchent et plus occasionnellement celles qui ne veulent pas avoir d’enfant. Après avoir tenté d’aider une jeune femme, elle est contrainte de fuir le pays en laissant tout derrière elle. Au cours de son périlleux voyage au Portugal, María rencontre la solidarité féminine et se rend compte qu'elle n'est pas seule et qu'elle pourrait enfin retrouver sa liberté…


Critique :



Le corps des femmes ne cesse d’être un sujet sensible. Disséqué (métaphoriquement… ou non), analysé, corseté, abusé, violenté, hautement désiré. Le documentaire de Claire Simon, Notre Corps, avait essayé de montrer, pendant trois heures, tout ce que pouvait subir le corps des femmes, médicalement parlant. Maladie, avortement, grossesse, accouchement, transition de genre, douleur, détresse et bonheur. Le nouveau film de Jaione Camborda, O Corno, une histoire de femmes, contient cette même volonté : montrer le corps des femmes comme on l’a jamais vu.

Copyright Epicentre Films

Dans l’Espagne franquiste des années 70, le secret demeure. Si le corps travaille dur à l’extérieur, dans les champs, dans l’eau pour ramasser les coquillages, la douleur reste à l’intérieur, tue. Il est tout à fait possible de disséquer le corps d’une femme pour du divertissement, à l’image d’un spectacle de magie lors d’une fête du village. Une dissection sans douleur, sans cri, parfaite métaphore de l’époque. En contrepoint, la caméra de la réalisatrice dissèque non pas le corps mais un accouchement, dans un incipit aussi organique que précieux. Rares sont les images qui redonnent ses lettres de noblesse à cet acte de vie, cherchant la beauté et l’animalité derrière la douleur. Durant une dizaine de minutes, sans que l’on sache qui sont ces femmes, nous assistons à la mise au monde d’un enfant, presque comme si nous y étions. Une séquence intense où la caméra accompagne autant qu’elle filme, la mise en scène épousant le rythme de la femme qui accouche. Son souffle, ses cris, ses mouvements, sa sueur, sa délivrance.

Aussi organique soit sa mise en scène, Jaione Camborda fait le choix surprenant de ne pas montrer l’accouchement en tant que tel, comme elle ne montrera aucune image de l’avortement qui se passera quelques séquences plus tard. Les deux actes sont réalisés par Maria, une pêcheuse du village mais aussi la femme que l’on vient voir pour tout ce qui est question du corps féminin. Personnage mystérieux, portant une cicatrice le long de son ventre dont on ne connaîtra jamais la provenance, Maria semble détenir un secret. Et il n’est pas facile de le lui arracher. Entourée de femmes, elle est comme toutes les autres. Elle travaille dur, baisse la tête et se fond dans la communauté du village. Dans l’intimité, elle est une autre : une accoucheuse, une faiseuse d’ange, une femme sans attache, ni mari, ni enfant. Elle est aussi la seule à accéder au plaisir sexuel dans le film. Pendant le fameux spectacle de magie, où une femme se fait découper menue, enfermée dans une boîte, Maria fait l’amour avec un inconnu dans les champs. Un acte encore enfermé dans le secret, mais la réalisatrice y met autant de sensualité que possible.

Copyright Epicentre Films

Alors que l'on pense savoir où le film nous emmène, O Corno étonne par une structure narrative brute et incisive. Parce que son secret est découvert, Maria devient une vraie femme sans attache, partant à l’aventure jusqu’aux frontières portugaises. Ce départ donne l’occasion au récit d’élargir son propos et de montrer une réelle sororité, secrète elle-aussi, qu’importe où le personnage ira. Ce qu’on pensait propre à la dynamique d’un petit village se révèle une vraie toile d’araignée que tissent les femmes entre elles. De la voisine de Maria venue la prévenir, à la travailleuse du sexe noire prenant le personnage sous son aile, la sororité que filme Jaione Camborda semble naturelle, dénuée de tout héroïsme dont le cinéma aime parfois nous abreuver. Le film se trouve être beau et tendre, malgré l’évolution tragique du destin de Maria, grâce à une mise en scène toujours délicate qui prend soin d’être plus dans le symbole que dans la violence. Le but n’est pas de choquer, de montrer la souffrance et le déchirement. Seules quelques gouttes de sang suffisent à la compréhension. Jaione Camborda fait une totale confiance à la puissance du hors-champ.

O Corno, une histoire de femmes doit tout à son personnage principal, interprété par Janet Novás, danseuse de profession. Elle met son corps au service de son premier rôle de cinéma et permet, par son magnétisme, d’accompagner un récit déroutant mais sensible sur ces femmes dont le combat secret est enfin révélé au grand jour.


Laura Enjolvy