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[CRITIQUE] : La Nouvelle Femme


Réalisatrice : Léa Todorov
Avec : Jasmine Trinca, Leïla Bekhti, Rafaëlle Sonneville-Caby, Raffaele Esposito,…
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Drame, Historique
Nationalité : Français, Italien
Durée : 1h41min

Synopsis :
En 1900, Lili d’Alengy, célèbre courtisane parisienne, a un secret honteux - sa fille Tina, née avec un handicap. Peu disposée à s’occuper d’une enfant qui menace sa carrière, elle décide de quitter Paris pour Rome. Elle y fait la connaissance de Maria Montessori, une femme médecin qui développe une méthode d’apprentissage révolutionnaire pour les enfants qu’on appelle alors « déficients ». Mais Maria cache elle aussi un secret : un enfant né hors mariage. Ensemble, les deux femmes vont s’entraider pour gagner leur place dans ce monde d’hommes et écrire l’Histoire.


Critique :



Leïla Bekhti interprète le rôle d’une courtisane parisienne prisée dans le premier long métrage de fiction de Léa Todorov, La Nouvelle Femme. Mais alors que l’on suit le personnage jusqu’à Rome, le film se penche de plus en plus sur Maria Montessori, figure scientifique phare de la pédagogie des enfants. En embrassant tout le romanesque de cette vie hors-norme, au début d’un XXème siècle encore très corseté, Léa Todorov signe un biopic qui n’a pas l’air d’un biopic.

Copyright Geko Films Tempesta

Pour emprunter le titre d’un des derniers films d’Almodovar, La Nouvelle Femme nous montre deux mères parallèles, nageant dans les eaux sombres de la maternité hors mariage. La première, Lili (Leïla Bekhti), ne voit pas d’un bon œil l’arrivée de sa fille illégitime, Tina, née avec un handicap, qu’elle cache par peur du quand dira-t’on. Nous apprenons par la suite que le personnage a été marié mais que son mari a préféré annuler ledit mariage dès le verdict médical de Tina, ne laissant d’autre choix à Lili que de laisser sa fille à sa mère et de partir sur Paris pour gagner sa vie. La deuxième, Maria (Jasmine Trinca), est une doctoresse italienne sur le point de développer une méthode subversive pour les enfants handicapés, appelés “déficients” ou “idiots” à l’époque. Par ambition professionnelle, elle a dû donner son fils à une nourrice. Un fils tout aussi illégitime que Tina parce qu’elle sait que les mots “épouse” et “médecin” ne se conjuguent pas ensemble pour son genre. L’une cache son enfant par honte, l’autre par nécessité. Deux femmes pour qui la maternité ne leur a pas apporté la douce joie que l’on prête aux jeunes mères.

Le personnage de Lili prend de l’importance par ce biais et permet à la réalisatrice de faire un parallèle entre les idées de Maria et le vécu de Lili. Le but de Maria Montessori était de remettre les mères au centre de l’éducation des enfants à une époque où les femmes n’étaient que poules pondeuses aux yeux des hommes. Ses théories prennent vie devant nos yeux parce qu’elles donnent l’occasion à Lili de redécouvrir sa fille dans des séquences où la tension émotionnelle se relâche et où le mélodrame contenu dans le récit se déverse par vague. Le film s’autorise ces épanchements mièvres. Ils viennent contrebalancer, avec beaucoup de chaleur, les éléments scientifiques et factuels de la vie de Maria Montessori ; biopic partiel oblige.

Copyright Geko Films Tempesta

Avec ce long métrage de fiction, Léa Todorov poursuit son exploration de pédagogies alternatives, inventées dans l’entre-deux guerres, qu’elle avait débuté dans le documentaire Révolution École (2016), dont elle est la co-scénariste (le film est disponible en VOD sur Arte Boutique). En se focalisant sur les prémisses des idées révolutionnaires de Maria Montessori, la cinéaste se focalise de ce fait sur l’aspect intime (et féministe) du personnage plutôt que sur l’aspect scientifique. Ainsi, le film élargit son propos en parlant des conditions des femmes des années 1900 plutôt que des difficultés propres à Maria. La caméra se fait tendre avec ces femmes que l’on juge tout aussi déficientes que les enfants, bonnes qu’à engranger des progénitures (neurotypiques si possible) et à faire figure de bibelot dans les soirées mondaines. La plupart (dont Lili et Maria) connaissent les rouages patriarcaux de leur condition, mais ne peuvent y faire grand chose. Alors elles prennent ce qu’elles peuvent, sans aucun esprit sororal (cela pourrait leur être fatal). Lili prend plaisir à mener les hommes en bateau, tant qu’ils lui payent son loyer et entretiennent ses goûts de luxe. Maria accepte de travailler gratuitement et de voir son collègue masculin obtenir des compliments qui devraient lui revenir tant qu’elle peut exercer son métier et peaufiner sa méthode d’apprentissage. C’est quand Lili et Maria se mettent à échafauder un plan, de concert, pour que cette dernière puisse ouvrir son école expérimentale que les deux femmes subvertissent totalement leur place dans la société, découvrant en même temps la puissance du collectif, quitte à ce que cela sonne comme un happy-end facile et attendu dans la narration. La Nouvelle Femme explore cette découverte, dans un ton romanesque prenant et un classicisme qui convient tout à fait à un film en costume. Le titre fait d’ailleurs référence au terme qu'employaient les hommes pour parler de ces femmes intelligentes et entreprenantes du début du XXème. 

Léa Todorov n’utilise pas les symboles un poil éculé de l’aliénation des femmes de l’époque, en se concentrant sur la prison du corps par le vêtement. La réalisatrice préfère parler de prison mentale et peut ainsi faire un parallèle entre les enfants neuroatypiques de l’école de Maria avec les conditions des femmes. Ce qui leur manque, principalement, c’est la confiance en leur capacité, à force de traiter les enfants d’idiots ou de dire que les femmes ne sont bonnes à rien. Cela s’infiltre sous l’épiderme et devient un masque social que l’on doit porter sous menace de représailles. La Nouvelle Femme s’intéresse à cet endoctrinement universel et nous montre comment l’émancipation est affaire d’apprentissage, tout comme le savoir et l’éducation. Léa Todorov réussit le pari de proposer un biopic sans en avoir l’air et signe un premier film de fiction qui sonne comme une promesse pour la suite de sa carrière.


Laura Enjolvy