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[CRITIQUE] : Ferrari

 

Réalisateur : Michael Mann
Acteurs : Adam Driver, Penélope Cruz, Shailene Woodley, Gabriel Leone, Patrick Dempsey,...
Distributeur : Amazon Prime Vidéo France
Budget : -
Genre : Biopic, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h10min.

Synopsis :
C'est l'été 1957. Derrière le spectacle de la Formule 1, l'ancien coureur Enzo Ferrari est en crise. La faillite menace l'usine que lui et sa femme, Laura, ont construite à partir de rien dix ans plus tôt. Leur mariage instable a été ébranlé par la perte de leur fils, Dino, un an plus tôt. Ferrari a du mal à reconnaître son fils Piero avec Lina Lardi. Pendant ce temps, la passion de ses pilotes pour la victoire les pousse à la limite alors qu'ils se lancent dans la périlleuse course de 1 000 miles à travers l'Italie, la Mille Miglia.




Critique :



Tout la beauté du cinéma de Michael Mann réside dans le romantisme meurtri de ses personnages confrontés à l'inévitabilité de l'existence, de ses êtres qui ne peuvent que perdre dans la grande course qu'est la vie, peut importe s'ils luttent corps et âmes pour inverser la donne.
Une filmographie contrepointée de défaites et de morts, dans laquelle la destinée de Enzo Ferrari ne pouvait décemment pas dénoter, tant il a constamment roulé sa bosse, intimement comme professionnellement, à quelques mètres du ravin.

Copyright Lorenzo Sisti

Produit dans la douleur (plus de trente ans de gestation, littéralement le projet d'une vie pour le cinéaste), le coeur de Ferrari est on ne peut plus Mannien : se focaliser sur une année fatidique - 1957 - pour mieux pointer toute la tragédie d'une vie, dans ce qui peut autant se voir comme un mélodrame conjugal, qu'un formidable portrait d'homme en crise, entre un mariage qui prend l'eau (trente quatre ans d'union écornée par le deuil et l'adultère), une entreprise au bord de la faillite (avec un ennemi, Maserati, en passe de de renforcer), et la perte de la chair de sa chair - Dino, un fils nommé comme son défunt frère.

Un homme qui se cache parmi les fantômes, comme s'il en faisait déjà partie (il parle tous les jours à Dino, lui révélant tout ce qu'il n'ose dire à d'autres), tant la mort ne semble jamais l'abandonner : le film débute justement sur un décès, avant de se clôturer sur la tragédie de Guidizzolo (aux Mille Miglia, le marquis Alfonso de Portago perd le contrôle de sa Ferrari 335S à plus de 250km/h suite à la crevaison de son pneu avant gauche, sa voiture sortira de la route et tuera neuf spectateurs - dont cinq enfants - et fera 28 blessés).

Copyright Lorenzo Sisti

Tout n'est qu'une question de mort dans Ferrari, celle de toute une époque (la fin de la mythique Mille Miglia, la reconstruction et l'essor économique de l'Italie), émotionnelle (le coeur fané d'un mariage, ceux desséchés de parents endeuillés), morale (se vendre aux plus offrants pour survivre) physique et même métaphorique, à travers l'ivresse de la vitesse (celle qui nous permet de nous dépasser comme de nous faire fuir les tragédies du passé), tant on ne fait flirter avec elle jusqu'à ce qu'elle nous emporte, dans une violence sourde et implacable.
Il est impossible de regarder en arrière à 250km/h, de se laisser emporter par le douloureux souvenir de la tragédie, sous peine de louper un virage et de rejoindre ceux que l'on pleure.
 
Véritable anti-biopic, bien plus que pouvait l'être Ali, Ferrari se fait l'odyssée épique d'un héros sans héroïsme, d'un homme tout en fêlure, dont les défauts n'ont de cesse de se mêler à ses peurs, quand bien même il tente continuellement à les enterrer sous le tapis au moindre virage.
Un homme à la fois gagnant et perdant, qui caresse les courbes d'un bonheur utopique impossible, puisque continuellement rattrapé par la vitesse de sa propre destinée, prisonnier qu'il est d'un temps qu'il veut continuellement déjouer, repousser.

Copyright Lorenzo Sisti

Certes, le film n'est peut-être pas forcément là ou l'on l'attendait (ni n'est exempt de gros défauts, comme l'incapacité toujours intact du cinéaste à écrire des personnages féminins qui ne soient pas des clichés ambulants), mais il est définitivement là ou Mann voulait qu'il soit, une nouvelle exploration des atermoiements d'une âme confrontée à l'inévitabilité de l'existence, une nouvelle plongée sur le fil tenu de la vie et de la mort, une nouvelle danse mortelle où la toile froissée, les cercueils de ferraille croisent les cœurs meurtris et les désirs chimériques d'immortalité.

Une formidable quête existentielle mortifère et métaphysique, autant dans son témoignage d'un grand cinéma néo-classique perdu (ou presque), que dans celui d'un cinéaste conscient que l'horloge continue de tourner, et bien plus vite que lui.
Quelle frustration immense donc, qu'elle soit uniquement cantonné au petit écran par chez nous.


Jonathan Chevrier


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