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[CRITIQUE] : Rosalie


Réalisatrice : Stéphanie Di Giusto
Avec : Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay, Guillaume Gouix, Juliette Armanet,…
Distributeur : Gaumont Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Historique, Romance
Nationalité : Français, Belge
Durée : 1h55min

Synopsis :
Rosalie est une jeune femme dans la France de 1870 mais ce n’est pas une jeune femme comme les autres, elle cache un secret : depuis sa naissance, son visage et son corps sont recouverts de poils. De peur d’être rejetée, elle a toujours été obligée de se raser. Jusqu’au jour où Abel, un tenancier de café acculé par les dettes, l’épouse pour sa dot sans savoir son secret. Mais Rosalie veut être regardée comme une femme, malgré sa différence qu’elle ne veut plus cacher. En laissant pousser sa barbe, elle va enfin se libérer. Elle veut qu’Abel l’aime comme elle est, alors que les autres vont vouloir la réduire à un monstre. Abel sera-t-il capable de l’aimer ? Survivra-t-elle à la cruauté des autres ?


Critique :


En 2016, la bédéiste Pénélope Bagieu dévoilait ses Culottées aux yeux du monde. Des portraits de femmes qui ont fait voler en éclats les préjugés, ont bravé les enclaves des normes de genre et se sont bâties un destin hors des sentiers patriarcaux. L’une de ses Culottées était Clémentine Delait, plus connue sous le diminutif de “la femme à barbe”. Une femme que la réalisatrice Stéphanie Di Giusto a appris à connaître elle-aussi. Elle lui rend hommage dans son deuxième long métrage Rosalie qui, même s’il n’est pas un biopic, s’inspire librement de sa vie.

Copyright 2023 TRESOR FILMS - GAUMONT - LDRPII - AR TÉMIS PRODUCTIONS

La réalisatrice poursuit, avec cette histoire, l’exploration d’une transformation féminine hors des normes. Rosalie attaque de plein fouet les questions de genre avec le sujet de la pilosité, une pilosité faciale ici, ainsi que sur le torse et le dos, que le personnage cache en se rasant tous les matins et en portant des robes sur-mesure. Réfugiée dans les girons de son père depuis sa tendre enfance, celui-ci décide de la marier, pour qu’elle puisse avoir la possibilité de vivre une vie “normale”. Rosalie rêve d’avoir un mari qui l’aime, elle veut des enfants. Ce mariage est alors une aubaine et elle prie pour qu’il fonctionne. Vêtue d’une robe blanche virginale, des fleurs dans les cheveux, de la poudre blanche pour cacher les marques de rasage sur son visage, elle marche vers sa nouvelle vie de femme mariée, son mari Abel sous le bras.

Évidemment, ce mari, bien que gentil, n’apprécie pas les vices de la “marchandise”. La dot de Rosalie n’enlève ni la surprise ni le dégoût qu’il ressent face au corps de sa femme. Il refuse de dormir dans le même lit, il refuse de lui faire l’amour, il refuse de lui parler. Un rejet difficilement acceptable pour les spectateur⋅ices, déjà allié⋅es à sa cause. Comment ne pas l’aimer cette Rosalie, avec sa douceur, sa naïveté, son envie d’être aimée et acceptée. Si son mari la rejette, la caméra, elle, l’aime et l’enveloppe d’un regard tendre. La lumière magnifie son visage, imberbe ou non, l’image étant travaillée pour que Rosalie soit toujours lumineuse et à son avantage. Nadia Tereszkiewicz n’est pas étrangère à la sympathie que l’on ressent pour Rosalie. Ses grands yeux bleus, le magnétisme que l’actrice dégage, l’énergie qui émane de son corps, sa voix douce et sucrée… Nadia Tereszkiewicz est superbe et ce ne sont pas des poils qui pourront y changer quoi que ce soit. Benoît Magimel n’est pas en reste, malgré une interprétation plus ambivalente. D’abord dans le rejet, puis dans l’acceptation et enfin, dans l’amour, Abel nous attendrit par ce corps cassé qu’il répare seul et par son envie de protéger sa femme du regard des autres, car il sait qu’un corps hors norme est un sujet de moquerie. On peut noter cependant qu’il accepte de faire l’amour avec elle une fois qu’un médecin lui est confirmé que sa femme est bien une femme…

Copyright 2023 TRESOR FILMS - GAUMONT - LDRPII - AR TÉMIS PRODUCTIONS

Là où le bât blesse est dans la propension du film à ne pas sortir des sentiers battus. Avec l’académisme du film en costume (le récit s’installe au XIXème siècle), la mise en scène de Rosalie reste bien sage tandis que son personnage se démène, infatigable, pour être reconnu et apprécié parmi ses pairs. La narration est même d’une naïveté disneyesque, avec ce maître des lieux (Benjamin Biolay, qui se demande ce qu’il fait ici… On aimerait bien le savoir nous aussi !) méchant et un antagoniste, Guillaume Gouix, posé comme un cheveu sur la soupe des péripéties. On peut difficilement accepter ce manichéisme malhabile face à la complexité du sujet des normes de genre. Surtout quand le film se refuse à présenter Rosalie comme un monstre, malgré l’aspect forain d’une partie du film, totalement consenti par Rosalie elle-même. Ce revirement du regard des villageois, jusqu’ici accueillant, est trop scolaire pour être crédible. La recherche du mélodrame à tout prix, jusqu’à ce climax violent, rend artificiel tout ce que le film a pu construire.

De Rosalie, on retiendra ce visage tendre et barbu, qui recherche d’abord l'approbation des autres avant de se découvrir une vraie témérité de guerrière.


Laura Enjolvy