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[CRITIQUE] : L'étoile filante


Réalisatrice • teur : Dominique Abel et Fiona Gordon
Avec : Dominique Abel, Fiona Gordon, Kaori Ito, Philippe Martz,…
Distributeur : Potemkine Films
Budget : -
Genre : Comédie.
Nationalité : Français, Belgique.
Durée : 1h38min

Synopsis :
Boris est un barman qui vit dans la clandestinité après son implication dans un attentat. Son passé refait surface quand une victime le retrouve pour se venger. La rencontre avec le dépressif et solitaire Dom, son sosie, est le moyen parfait pour échapper à la vengeance. Mais Boris ignore l’existence de Fiona, détective privée, qui enquête sur la soudaine disparition de son ex-mari Dom.


Critique :

Il y a d'abord une histoire de duo, Dominique Abel et Fiona Gordon les deux acteurs et cinéastes. Extension de leur collaboration à l'écriture, puis à la mise en scène, leurs personnages forment régulièrement une paire. Que ce soit une fée et l'humain qu'elle accompagne, deux passionnés de danse, ou un couple. Dans L'étoile filante, ils sont à nouveau un couple. A chaque fois, leur paire consiste à ce que le personnage de l'un soit une réponse à l'autre, qu'ils se complètent. Ici, il est aussi question d'un double. En plus du duo Dom et Fiona, il y a Boris autre personnage incarné par Dominique Abel. Les deux ont fuit leur vie, l'un pour survivre et l'autre par dépression. Sauf qu'ils se complètent également. Boris est plutôt mal attentionné tandis que Dom est un naïf un peu perdu. Que ce soit dans le duo ou dans le double, un miroir se crée.

Chacun est séparé de l'autre, mais finissent par se (re)trouver. La distance ne tient alors que de l'expérience nouvelle pour retrouver leur propre plénitude individuelle. Cet écho entre le duo et le double, c'est aussi l'écho entre le réel et la fiction. Pour abolir ces distances, il faut d'abord que le réel côtoie les démons qui guettent. Il faut que Dom côtoie Boris et sa petite bande. Il doit prendre la place de ce barman en fuite recherché pour être impliqué dans un attentat. Le méchant double y voit une occasion d'échapper à la vengeance d'une victime qui l'a retrouvé, bien aidé par Kayoko la femme fatale et Tim l'homme de main. Mais tous trois ignorent l'existence de Fiona, détective privée et épouse de Dom qui part à sa recherche.

© Potemkine

Au cœur de cette histoire rocambolesque, trois gags sont récurrents. Le premier étant le recours évident à quelques mimétismes ici et là entre les doubles Boris et Dom. Une façon cocasse de relier deux personnages dépossédés de ce qui les anime (les animait). L'un était un activiste politique perdu dans le monde présent dont il est en décalage, l'autre a un combat plus personnel avec un deuil compliqué à traverser. Mais les deux sont dans la marge, les deux errent dans un monde qui continue d'avancer et de lutter sans eux. Un deuxième gag reprend cette idée de l'idéal cassé. Il s'agit du bras mécanique dysfonctionnel de Georges, le personnage vengeur. Déjà que son cœur risque de le lâcher à tout moment, il n'arrive pas à maîtriser son bras mécanique. Au bout de sa fausse main, un revolver. Mais l'arme tire un peu n'importe où, le bras se tord dans tous les sens, et Georges est à la fois obligé de fuir et de revenir.

Peu importe donc le nombre de fois qu'une réparation du système s'impose, il y a toujours un réglage qui saute, un déraillement qui survient. Le troisième gag contient ce motif de la (mauvaise) surprise. Lorsque Georges le vengeur entre dans le bar donnant son nom au titre du film, Kayoko se cache systématiquement sous le comptoir du bar. Tout comme Boris ou Dom essaient d'esquiver. Tout comme l'homme de main Tim semble pris au dépourvu et n'arrivant pas à trouver la moindre solution pour riposter, bien qu'il en ait l'envie. Ce gag ramène instantanément l'angoisse du réel dans cette bulle fictionnelle symbolisée par le bar, faisant dérailler les idéaux, faisant dérailler le vernis du film noir en inversant le rapport de force. Comme si la fiction était impuissante face au pouvoir du réel.

La violence du réel se connecte alors à la fantaisie, appliquant un ton plus amère à l'atmosphère du film noir. Chaque parcelle de fantaisie, et donc de cauchemar, est reliée à une fêlure dans le réel. L'étoile filante n'en est pourtant pas un film tragique ou cruel. Parce que le duo Abel et Gordon n'oublient pas la naïveté de leur approche qui fait leur réputation. Dans la mélancolie intime de ses personnages, les cinéastes trouvent le burlesque de la maladresse. Des êtres qu'ils qualifient eux-mêmes d'ineptes, tant ils n'arrivent jamais à se sortir sereinement des tours de passe-passe qu'ils essaient de mettre en place. Ou même tant ils n'arrivent pas à s'émanciper dans une nouvelle vie. C'est aussi la limite du film. Quand bien même Abel et Gordon prennent soin d'aller jusqu'au bout de chaque gag burlesque, ils essaient toujours de s'accrocher à une trame narrative rappelant sans cesse que les personnages sont en mauvaise(s) posture(s).

© Potemkine

Difficile alors de statuer si le burlesque est un prétexte gratuit entre deux séquences narratives, ou si les différentes étapes du récit sont un prétexte anti-abstraction entre deux idées visuelles de fantaisie. Pourtant, le film est bien plus intéressant lorsqu'il s'éloigne de son intrigue et se livre complètement à faire vivre / errer ses personnages dans la fantaisie, dans les trouvailles esthétiques de son burlesque naïf. Parce qu'à chaque gag, le monde réel semble plus intense quand il est pris dans une spirale de folie, quand il est pris dans un mutisme où les corps s'affolent jusqu'à l'épuisement. Le film est plus intéressant quand il fonce totalement dans le burlesque, dont les trouvailles visuelles ne sont pas sans rappeler un certain Aki Kaurismäki. Il y a ce sens d'un univers généreux mais amère, tendre mais morose, poétique mais sinistre. Sans le même soucis du détail dans les espaces, mais tout de même avec l'idée qu'ils sont eux-mêmes dépossédés.

Il y a évidemment un aspect théâtral dans L'étoile filante, où le monde urbain est à nouveau détourné dans une fable où tout ce qui entoure les personnages fait partie d'une étrangeté générale (et communicante). Là vient l'esprit de troupe qui règne à nouveau dans ce nouveau film de Abel et Gordon. Ce collectif à la fois rêveur (la fantaisie, le burlesque, le théâtre, les couleurs) et dépressif (le réel qui rattrape la fantaisie, les fêlures des personnages, la distance entre eux, etc) se déploie constamment dans des chorégraphies qui envoient cet univers dans une angoisse organique, pour éviter de le laisser dans des ressorts mentaux. Cependant, trop de distance entre les personnages finit par nuire à la douceur amère que la lutte réel / fantaisie mènent. Bien que la maladresse de chacun amène à des gags vraiment drôles, ils remplissent tous des fonctions dont le seul but est de les détourner, au détriment d'humaniser les fêlures qui servent avant tout de prétexte narratifs. Les personnages sont autant confinés dans leurs gags burlesques que le film s'enferme dans ce bar. Comme si la légèreté ne pouvait qu'être un point exceptionnel dans l'ensemble du paysage, comme une timidité face aux cauchemars qu'il faut combattre.


Teddy Devisme



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